Maire-info
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Édition du mardi 17 septembre 2019
Justice

Le tribunal correctionnel de Lyon légitime l'action des « décrocheurs » et les relaxe

Le tribunal de Grande instance de Lyon a rendu hier un jugement qui fait déjà couler beaucoup d’encre, en relaxant purement et simplement des prévenus qui avaient décroché et emporté des portraits du président de la République dans la mairie du 2e arrondissement de Lyon. Les prévenus comparaissaient pour « vol en réunion ». Le juge a estimé que leur action était « légitime », eu égard au fait que l’État français n’agit pas suffisamment sur les questions climatiques.
Pour rappel, des « décrochages »  de portraits d’Emmanuel Macron ont eu lieu dans plusieurs communes du pays entre février et l’été, à l’appel de plusieurs collectifs écologistes, afin de protester contre « l’inaction du président de la République »  en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Ces portraits ont été notamment brandis par les militants lors du dernier G7, à Biarritz, ce mois d’août. 

Faits avérés
Le jugement – mis en ligne par le site Reporterre – montre que l’enquête de police a clairement identifié les prévenus comme étant, en effet, les « décrocheurs »  de la mairie de Lyon, et que ceux-ci ont, du reste, revendiqué leur geste : « M. Pierre G. a reconnu avoir personnellement emporté le portrait. »  Les faits sont donc avérés : « L’infraction de vol est matérialisée, (…) les prévenus ont soustrait volontairement un objet (…) appartenant à la commune en opérant en groupe nombreux et décidé »  ; l’action était préméditée, et la Cour note « le refus des prévenus de restituer le bien et leur volonté de s’en servir dans un proche futur pour défendre leur cause ». 
Face à ces attendus, il semblait probable que le juge reconnaisse les prévenus coupables et les condamne en suivant les réquisitions du ministère public (500 euros d’amende).
Mais pas du tout. Le juge cite tout d’abord le témoignage de Cécile Duflot, qui a expliqué à la barre que la France ne respectait pas les accords de Paris « par manque de volonté politique », et que plusieurs associations ont déjà déposé devant le Conseil d’État « un recours en carence de l’État ». Puis il relate les arguments des prévenus, lesquels ont justifié leur « acte de désobéissance civile non violente »  par « un état de nécessité justifiant un acte délictueux proportionné à l’éloignement d’un danger grave et imminent ». 
Puis le juge fait part de ses propres réflexions : « Le dérèglement climatique est un fait constant qui affecte gravement l’avenir de l’humanité. (…) La France s’est engagée à respecter des objectifs, mais (…) ces objectifs ne seront pas atteints », détaille-t-il, en citant plusieurs chiffres, notamment le dépassement par la France du niveau d’émissions de gaz à effet de serre prévu pour 2018 ou la non-atteinte des objectifs en matière de production d’énergies renouvelables.

« Substitut d’un dialogue impraticable » 
Vient ensuite la partie la plus inattendue : « Face au défaut de respect par l’État d’objectifs (…) minimaux dans un domaine vital, la mode d’expression des citoyens (…) ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique. »  Le juge constate le caractère « très modéré »  du trouble à l’ordre public et va plus loin : « Dans l’esprit de citoyens profondément investis dans une cause servant l’intérêt général, le décrochage et l’enlèvement de ce portrait (…) doivent être interprétés comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple. » 
Le juge note enfin que la commune de Lyon ne s’est pas constituée partie civile dans cette affaire, ce qui « jette le doute sur sa volonté de récupérer son bien ». Il estime, en conclusion de tous ces arguments, « qu’aucune sanction »  ne doit être prononcée et relaxe les prévenus. 
Le parquet a immédiatement fait appel de cette décision, dont tous les juristes sont persuadés qu’elle sera certainement cassée en appel. Mais une dizaine d’autres procès de ce type doivent avoir lieu prochainement dans tout le pays, pour les mêmes faits. Il sera intéressant de regarder si le jugement du juge de Lyon inspire ses collèges des autres juridictions.

F.L.

Télécharger le jugement.


 

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