Lanceurs d'alerte : certaines communes doivent désormais établir une procédure interne
Par A.W.
Dans un décret publié ce matin au Journal officiel, le gouvernement vient de fixer les modalités selon lesquelles les procédures internes de recueil des signalements venant de lanceurs d’alerte, désormais obligatoires, doivent être établies.
Ce texte vient en application de la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, qui a elle-même été adoptée dans le but de transposer la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne.
Collectivités concernées
Pour mémoire, cette loi a pour objet de donner une meilleure définition des lanceurs d’alerte, en reformulant certaines dispositions de la loi du 9 décembre 2016 sur la lutte contre la corruption, de la façon suivante : « Une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général (…) ». Sont exclus du « régime de l’alerte » ainsi défini : les éléments couverts par le secret défense, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête ou celui des avocats.
De plus, cette loi impose désormais qu’un certain nombre de structures mettent en place « une procédure interne de recueil et de traitement des signalements ». Outre l’Etat et les entreprises employant au moins 50 salariés, les collectivités concernées sont celles correspondant aux « personnes morales de droit public employant au moins 50 agents, à l'exclusion des communes de moins de 10 000 habitants, des établissements publics qui leur sont rattachés et des établissements publics de coopération intercommunale qui ne comprennent parmi leurs membres aucune commune excédant ce seuil de population ».
En clair, toutes les communes de plus de 10 000 habitants et les EPCI comprenant au moins une commune de plus de 10 000 habitants, s’ils emploient plus de 50 agents, doivent dorénavant mettre en place cette procédure interne « dans des conditions et selon des modalités précisées par ces autorités et conformément aux règles qui les régissent, après consultation des instances de dialogue social ».
Modalités
Le décret explique ainsi que cette procédure instaure « un canal de réception des signalements » qui permet notamment aux membres du personnel « d'adresser un signalement par écrit ou par oral ».
Si la procédure prévoit la possibilité d'adresser un signalement par oral, celle-ci doit préciser qu’il peut s'effectuer « par téléphone ou par tout autre système de messagerie vocale et, sur la demande de l'auteur du signalement et selon son choix, lors d'une visioconférence ou d'une rencontre physique organisée au plus tard vingt jours ouvrés après réception de la demande ».
« Le canal de réception des signalements permet de transmettre tout élément, quel que soit sa forme ou son support, de nature à étayer le signalement […] qui se sont produits ou sont très susceptibles de se produire dans l'entité concernée », indique le texte, qui précise que « l'auteur du signalement est informé par écrit de la réception de son signalement dans un délai de sept jours ouvrés à compter de cette réception ».
« L'intégrité et la confidentialité des informations recueillies, […] notamment l'identité de l'auteur du signalement, des personnes visées par celui-ci et de tout tiers qui y est mentionné », doivent être garanties. En outre, « l'accès à ces informations aux membres du personnel qui ne sont pas autorisés » est interdit, entre autres règles définies par le décret.
Les signalements effectués oralement doivent être consignés, avec le consentement de son auteur, soit par « un enregistrement de la conversation sur un support durable et récupérable », soit par « un procès-verbal précis », l'auteur du signalement devant avoir « la possibilité de vérifier, de rectifier et d'approuver la transcription de la conversation ou le procès-verbal par l'apposition de sa signature ». Ils ne peuvent être conservés que « le temps strictement nécessaire et proportionné au traitement du signalement et à la protection de leurs auteurs, des personnes qu'ils visent et des tiers qu'ils mentionnent ».
Si des « compléments d’information » peuvent être demandés à l’auteur du signalement afin, notamment, d’évaluer « l’exactitude des allégations », la procédure doit prévoir que « l'entité communique par écrit à l'auteur du signalement, dans un délai raisonnable n'excédant pas trois mois à compter de l'accusé de réception du signalement ou, à défaut d'accusé de réception, trois mois à compter de l'expiration d'une période de sept jours ouvrés suivant le signalement, des informations sur les mesures envisagées ou prises pour évaluer l'exactitude des allégations et, le cas échéant, remédier à l'objet du signalement ainsi que sur les motifs de ces dernières ».
A noter que si ces communes et EPCI emploient moins de 250 agents, ils pourront mutualiser cette procédure.
Risque de « délation abusive » à l’encontre des élus
Des dispositions rejetées par le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen) qui a émis un avis défavorable, lors de sa séance du 15 septembre dernier.
« Sans contester le bien-fondé de la protection des lanceurs d’alerte », les représentants des élus envisagent qu’elle pourrait être « source de dérives susceptibles de porter préjudice au fonctionnement des services publics et de la fonction publique, qui plus est dans un contexte géopolitique incertain ». Ils craignent notamment que les élus locaux deviennent « les cibles privilégiées de dénonciations non fondées émanant de citoyens contestataires » et appellent donc à « une vigilance accrue sur les risques de délation abusive ».
De son côté, le ministère de la Justice fait valoir que la directive, « extrêmement contraignante, impose notamment d’assurer la traçabilité de la procédure du signalement et laisse peu de marge de manœuvre en droit interne pour transposer » et souligne que « les entités recevant le signalement auront, certes, une charge organisationnelle plus importante, mais ne seront pas davantage exposées ».
Les représentants du collège des élus ont également reproché au gouvernement l’absence de « prise de contact avec les associations nationales représentatives des élus locaux », la concertation s’étant « limitée à un appel émanant du cabinet de la Première ministre, le lundi 12 septembre 2022 ». Ce qui traduit, aux yeux des membres du collège des élus, « une certaine indélicatesse à leur égard ».
En outre, le collège des élus a, de nouveau, appelé le gouvernement à « la vigilance sur les risques de sur-transposition des directives européennes » puisque « ce phénomène, de plus en plus fréquent, est à l’origine d’une inflation normative qui prospère face à l’ineffectivité des actions prises par les pouvoirs publics pour en limiter les effets ». Concernant les sur-transpositions induites par la loi du 21 mars 2022, il signale que « la procédure mise en place apparaît plus complexe laissant présager des lourdeurs administratives importantes dans la mise en œuvre de la règlementation ».
Enfin, cela devient une habitude, les membres du Cnen ont, une nouvelle fois, déploré le recours à la procédure de saisine en extrême urgence (« déclenchée le lundi 12 septembre 2022 et nécessitant l’organisation d’une séance ad hoc dès le 15 septembre 2022 », empêchant les membres du Cnen de se prononcer « en connaissance de cause » ) par le gouvernement, et rappelé à ce dernier que celui-ci « doit rester, par définition, exceptionnel ».
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Carburant : les raisons d'une pénurie qui devient préoccupante
Les communes rurales encouragées à adopter le dispositif « Cantines à 1 euro »
Couverture mobile dans les territoires : l'Arcep cartographie désormais les zones à couvrir
Valorisation des déchets, eau potable, énergies renouvelables : la FNCCR fait ses propositions