Pour Martial Foucault, directeur du Cevipof, « les violences sapent l'autorité politique et morale des élus locaux »
Par Xavier Brivet
L’enquête du Cevipof, à laquelle quelque 10 000 élus ont répondu, souligne une forme de lassitude et de découragement chez les maires. Comment l’expliquez-vous ?
Les maires sont engagés dans l’exercice de leur mandat mais ils sont de plus en plus «empêchés ». Ils l’ont été dès le début de leur mandat, en 2020, par la crise sanitaire puis par la crise économique et l’inflation. Ils le sont depuis des années par un cadre règlementaire et normatif qui ralentit et/ou complexifie la réalisation de leurs projets. Les relations difficiles avec les services déconcentrés de l’Etat, moins présents à leurs côtés, n’arrangent rien. Cette accumulation de freins, qu’il leur est quasi impossible d’expliquer à leurs administrés, toujours plus exigeants, provoque en grande partie leur lassitude. Le découragement se traduit par le nombre exceptionnellement élevé de démissions d’élus - 1300 maires et plusieurs dizaines de milliers de conseillers municipaux – depuis 2020.
La montée des violences à leur encontre n’explique-t-elle pas aussi les démissions ?
Incontestablement, c’est un facteur aggravant. Au total, 69 % des maires que nous avons interrogés déclarent avoir déjà été victimes d’incivilités, soit 16 points de plus par rapport à 2020 ! Selon les données du ministère de l’Intérieur, les agressions contre les élus, essentiellement les maires, ont augmenté de 32 % entre 2021 et 2022, et encore de 15 % en 2023. Et près de 550 communes ont connu des dégradations et des violences lors des émeutes au début de l’été dernier.
L’ensemble de ces faits sapent l’autorité politique et morale des élus locaux. Ils abîment la fonction républicaine du maire, sa légitimité. Les maires en ont assez d’être surexposés à la vindicte populaire. Ce contexte délétère peut avoir un impact sur leur engagement.
La revalorisation des indemnités n’est plus une question taboue chez les élus. Pourquoi ?
Il y a un consensus chez les élus pour dire qu’ils ne sont pas là pour gagner de l’argent. Mais ils ne veulent pas en perdre non plus. Ce constat vaut particulièrement pour ceux qui cumulent leur mandat avec une activité professionnelle -ils sont 60 % aujourd’hui. Certains ont pu remédier à la perte de revenu en cumulant certaines fonctions, électives ou non. Mais pour la plupart des élus, leur engagement républicain se traduit par un sacrifice financier. Ceci explique pourquoi ils sont aujourd’hui 48 % à juger leur indemnité insuffisante, contre seulement 25 % en 2020. Beaucoup ont découvert, depuis 2020, le fort décalage entre leur engagement dans un mandat et le niveau de l’indemnité qu’ils perçoivent.
Comment procéder dans ce contexte ?
Les élus locaux, comme le gouvernement, sont sur une ligne de crête : si la revalorisation de leur indemnité, aussi justifiée soit-elle, est trop importante, les élus craignent le jugement de leurs concitoyens qui les assimileraient à des professionnels de la politique locale. A l’inverse, si le gouvernement ne revalorise pas leur indemnité au niveau de leur dévouement pour l’intérêt général, en tenant compte du temps qu’ils consacrent à leur mandat et/ou des revenus de leur activité professionnelle à compenser, les vocations pourraient se tarir.
Est-ce la fin du « bénévolat républicain » ?
Non, cette forme de bénévolat existe et continuera d’exister. Je doute que l’Etat compense à sa juste mesure le caractère chronophage et la complexité de la fonction de maire. Il faudrait pour cela accorder aux maires le traitement d’un cadre supérieur - ce que certaines associations d’élus demandent du reste-, comme cela se pratique dans certains pays européens (Espagne, Allemagne, Suède, Finlande, Danemark, notamment). En France, le quasi bénévolat républicain est consubstantiel à leur engagement. En revanche, les élus veulent une «juste » indemnisation dont il reviendra au gouvernement de déterminer le niveau et le référentiel de calcul en concertation avec leurs associations.
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