Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 15 septembre 2023
International

Culture, coopération décentralisée : la France suspend tous les projets impliquant les pays du Sahel touchés par des coups d'État 

Le gouvernement a annoncé hier, à la stupéfaction du monde culturel, l'interdiction de toute coopération culturelle avec le Mali, le Niger et le Burkina-Faso. Une décision qui pourrait directement toucher nombre de festivals ou d'événements organisés par les communes. La décision a choqué à tel point que le gouvernement tente ce matin un rétropédalage.

Par Franck Lemarc

L’annonce est tombée sans préavis avant-hier : sur requête du Quai d’Orsay, le secrétariat général du ministère de la Culture a fait envoyer par les Drac (Directions régionales des affaires culturelles) un message à toutes les structures conventionnées. « Tous les projets de coopération  qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants [du Niger, du Mali et du Burkina Faso] doivent être suspendus sans délai et sans aucune exception. (…) Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. »  Le message indique par ailleurs que « la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays, sans exception. »  Les artistes de ces trois pays, si l’on comprend bien les intentions du gouvernement, vont donc être collectivement punis parce que des militaires de leur pays ont procédé à un coup d’État. 

Ce message a sidéré les acteurs de la culture, qui rappellent que même après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le gouvernement français n’a jamais interdit l’accès du territoire français aux artistes russes – et a même cherché à les soutenir et les protéger, dès lors qu’ils ne s’affichaient pas comme des soutiens actifs de Vladimir Poutine. 

Dès hier, le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), associé à d’autres structures comme l’Association des centres chorégraphiques nationaux, l’Association des centres dramatiques nationaux ou l’Association des scènes nationales, a publié un communiqué véhément pour dénoncer cette instruction « comminatoire, (…) totalement inédite par sa forme et sa tonalité ». Ces structures jugent que « cette interdiction totale n’a aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire (…) : affirmer avec force la solidarité de la France avec les artistes ».  

Beaucoup se sont immédiatement demandés si cette instruction des Drac devait conduire à annuler ou déprogrammer des événements – concerts, représentations théâtrales, festivals, expositions. Les trois pays touchés par cette interdiction étant francophones, de très nombreux festivals tournant autour de la francophonie sollicitent en effet leurs artistes. La question a été posée par exemple par les organisateurs du festival lyonnais Sens interdits, qui doit se tenir à la mi-octobre et prévoit cinq représentations données par des artistes maliennes. 

Le gouvernement a répondu, hier, à cette interrogation, de façon un peu rassurante, et à rebours du courrier des Drac : « Aucune déprogrammation d’artistes, de quelque nationalité que ce soit, n’est demandée ni par le ministère des Affaires étrangères, ni par le ministère de la Culture. (…) Cette décision n’affecte pas les personnes qui seraient titulaires de visas délivrés avant cette date »   – ce qui est le cas, par exemple, des artistes invitées au festival Sens interdits. En revanche, puisque la France ne délivrera plus de visas « jusqu’à nouvel ordre », des artistes qui seraient déjà programmés mais n’auraient pas, à ce jour, déjà obtenu un visa, devront de facto être déprogrammés. 

Tentative de déminage

La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, invitée ce matin sur RTL, a tenté de désamorcer la bombe en affirmant que la France « ne boycotte jamais d’artistes, nulle part ». La ministre a plaidé que la délivrance des visas, sur place, n’est « matériellement plus possible », ce qui empêche de fait la venue des artistes, mais qu’il n’est « pas question d’arrêter d’échanger avec des artistes, des lieux culturels, des musées, des théâtres dans ces pays ». 

On ne peut que constater que ces déclarations paraissent parfaitement contradictoires avec le message diffusé la veille et la formule selon laquelle « tous les soutiens financiers doivent être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple »  – ce qui n’a rien à voir avec des questions de visa. 

En fin de matinée, aujourd'hui, la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC) a publié un communiqué intitulé : « Pourquoi rompre les liens avec les artistes ? ». La Fédération rappelle que « dans leur grande majorité, les institutions culturelles destinataires de cette demande sont également placées sous la tutelle politique de collectivités territoriales ». Elle demande donc à connaître les raisons qui ont conduit le gouvernement à prendre « une décision (...) sans précédent ».

L’aide au développement également bloquée

Cela conduit à se poser la question de ce qu’il doit advenir des projets de coopération décentralisée entre les collectivités françaises et les trois pays concernés. On sait en effet que l’État français a suspendu toute aide au développement vers le Niger, dès l’annonce du coup d’État fin juillet, comme il l’avait fait pour le Mali en novembre 2022. 

Mais qu’en est-il des projets d’aide au développement des collectivités locales ? Ces décisions n’engagent-elles que l’État, ou les collectivités doivent-elles, elles aussi, « suspendre »  les projets réalisés dans le cadre du 1 % Santini-Oudin ? Les projets sont nombreux dans la région : selon les données du rapport 2022 sur l’aide publique au développement des collectivités territoriales françaises, les cinq pays du Sahel représentent à eux seuls 15 % de l’effort des collectivités. Celles-ci ont consacré 3,2 millions d’euros à l’aide au Burkina Faso, 2,8 millions à l’aide au Mali et presque 980 000 euros à celle au Niger, majoritairement pour des projets liés à l’eau et l’assainissement.  

La réponse est claire : selon nos informations, la Commission nationale de la coopération décentralisée a bien été informée que les collectivités doivent suspendre tous leurs projets de coopération décentralisée vers ces pays, à l’exception de quelques-uns d’entre eux qui sont déjà trop avancés. Maire info reviendra sur ce sujet plus précisément dans une prochaine édition.

Une mauvaise nouvelle pour les populations locales qui attendaient tel projet d’alimentation en eau ou de construction d’une école, et qui ne sont, pas plus que les artistes, responsables des actes des différentes juntes militaires. 

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