Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 19 juin 2024
Collectivités locales

Ingénierie des petites communes : le Sénat critique le recours systématique aux appels à projets

« Corollaire du "pouvoir d'agir" des élus locaux », l'ingénierie territoriale des communes comptant moins de 2 000 habitants reste limitée. Un rapport de la délégation aux collectivités territoriales a été publié par le Sénat. Il dénonce un recul de l'État territorial et formule trois recommandations.

Par Lucile Bonnin

« Au 1er janvier 2023, 85 % des quelque 35 000 communes du pays comptaient moins de 2 000 habitants. Pour donner corps à la démocratie locale, chaque maire devrait pouvoir mener à bien les projets répondant aux besoins de ses administrés. »  Pourtant, ces petites communes ne disposent pas des moyens d'organiser leurs propres services d'ingénierie, ce qui rend difficile la concrétisation de projets locaux. 

Daniel Gueret, sénateur de l'Eure-et-Loir et Jean-Jacques Lozach (Creuse), socialiste, écologiste et républicain, se sont saisis du sujet dans un rapport d’information flash mené pour la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat. 

Les sénateurs dressent un état des lieux de la situation insatisfaisante et proposent notamment de « renforcer la coordination des acteurs intervenant en matière d'ingénierie, en faisant prévaloir le principe de subsidiarité, et de continuer à diffuser les bonnes pratiques pour éviter de "réinventer" des solutions duplicables. » 

Les petites communes insuffisamment soutenues 

Premier constat : « Les petites communes ont particulièrement souffert du désengagement de l'État territorial ». « La diminution progressive à partir de 2001 puis la suppression de l'aide apportée aux petites collectivités par les services techniques déconcentrés de l'État ont en effet laissé nombre d'entre elles démunies en matière de conception et de conduite de projet » , selon la Cour des comptes.

Le Sénat incrimine également la révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a entraîné « la forte décrue des effectifs de l'administration territoriale (- 14 % en équivalents temps plein travaillés) »  et « a pénalisé l'accomplissement par les sous-préfets de leur mission de conseil aux collectivités territoriales. »  Puis, en 2014, l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat) a été supprimée, laissant les petites communes démunies.

« Dans ce contexte de désengagement de l'État territorial, l'offre d'ingénierie publique s'est structurée principalement au niveau départemental, au risque toutefois d'entretenir des inégalités selon les territoires » , peut-on lire dans le rapport. Dans 26 départements, selon une étude d'une filiale de la Caisse des Dépôts, on constate « un manque critique en expertise pour porter des projets territoriaux » . Résultat : la carence de l’État territorial ne peut pas être totalement compensée. 

« Villages d’avenir » : un dispositif qui doit faire ses preuves 

La publication de ce rapport est aussi l’occasion de faire un premier point d’étape du programme « Villages d’avenir »  piloté par l’ANCT. En 2024, 2 458 communes rurales lauréates de moins de 3 500 habitants ont été sélectionnées dans le cadre de la première vague de labellisation pour bénéficier d’un appui de 12 à 18 mois. Plusieurs types de projets ont été sélectionnés pour bénéficier de cet accompagnement. Dans la grande majorité, ce sont des projets de réhabilitation qui sont portés pour environ 1 300 communes labellisées (lire Maire info du 22 décembre). 

Les sénateurs estiment que ce programme est « un complément nécessaire mais insuffisant »  notamment parce qu'il soulève quelques interrogations. En plus de comporter des « limites inhérentes à la logique d’appels à projets » , les sénateurs regrettent à propos de ce nouveau dispositif « l'absence d'enveloppe financière dédiée au financement des projets »  qui risque d’ « engendrer des désillusions si la mobilisation des financeurs dans la phase de concrétisation des projets n'est pas à la hauteur des attentes » . Par ailleurs, « l'assistance à maîtrise d'ouvrage des communes dans la phase de mise en œuvre opérationnelle – nécessaire pour concrétiser les projets – « ne semble pas avoir été clairement appréhendée ».

Bonnes pratiques et recommandations 

La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation souscrit à un « principe de subsidiarité intelligent »  consistant à « trouver des réponses au plus près des besoins et à ne pas déstabiliser l'ingénierie mobilisable localement » . Ainsi, les sénateurs appellent à « améliorer la coordination des dispositifs d’ingénierie afin de prévenir la cacophonie et mieux orienter les élus locaux »  notamment en privilégiant la logique du guichet unique

Partant du principe que la logique d’appels à projets engendre « une incertitude sur les financements futurs », le Sénat propose de créer un fonds national d'ingénierie à destination des petites communes. « Enfin, [les] rapporteurs, reprenant à leur compte l'une des 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, plaident pour que les dépenses en "ingénierie d'animation" comptent parmi les dépenses éligibles à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), qui devrait donc être subséquemment élargie. » 

Pour finir, comme l’a indiqué Françoise Gatel à l’occasion d’une table ronde sur le sujet en mai dernier, « si l'État doit accompagner nos territoires, les territoires savent aussi inventer des organisations. »  Ainsi, la délégation encourage « la diffusion des bonnes pratiques pour ne pas perdre d'énergie à "réinventer" des solutions et garantir, en parallèle de la logique d'appels à projets qui irrigue les programmes nationaux, un service public de l'ingénierie ». 

Consulter l'Essentiel du rapport. 

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