A69 : manoeuvres tous azimuts à l'Assemblée nationale
Par Franck Lemarc
Cela devient une habitude. Pour la deuxième fois en quelques jours, des députés ont voté une motion de rejet sur un texte qu’ils avaient eux-mêmes mis en débat, pour éviter un long débat et passer directement à l’étape de la commission mixte paritaire. Une manière de procéder qui pose de nombreuses questions.
Manœuvre
La méthode a déjà été utilisée au moment du débat sur la proposition de loi Duplomb sur l’agriculture, fin mai (lire Maire info du 27 mai). La manœuvre est simple : si une motion de rejet est déposée par les opposants d’un texte, ses partisans la votent… pour mettre fin aux débats. Cela permet, si le texte a déjà été adopté par le Sénat, de passer directement à la commission mixte paritaire (7 députés et 7 sénateurs), et d’éviter d’avoir à débattre de centaines d’amendements.
C’est ce qui s’est encore passé hier, à l’occasion de la discussion sur la proposition de loi déposée par la droite et relative à « la raison impérative d’intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse ».
Séparation des pouvoirs
Pour comprendre ce texte, il faut se rappeler les raisons pour lesquelles le tribunal administratif de Toulouse a stoppé, le 27 février dernier, le chantier de l’autoroute A69 (lire Maire info du 28 février). L’argument du tribunal pour casser les arrêtés préfectoraux autorisant le chantier était que celui-ci ne répondait pas à une « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM). Pour mémoire, la loi n’autorise désormais un chantier qui a des incidences fortes sur l’environnement et la biodiversité que si celui-ci répond à cette notion – hélas juridiquement très floue – de raison impérative d’intérêt public majeur.
La proposition de loi initiale déposée au Sénat le 18 mars était assez abrupte : elle se contentait de valider a posteriori les arrêtés préfectoraux et d’affirmer que le chantier répondait bien à une RIIPM. Ce texte a été adopté par le Sénat le 15 mai dernier.
Témoin de l’engagement du gouvernement pour faire reprendre ce chantier au plus vite, le texte a été aussitôt inscrit à l’agenda de l’Assemblée nationale. En commission, le 21 mai, le texte a été adopté après avoir été quelque peu musclé sur le plan juridique. Mais le fond restait le même : l’idée est que le législateur vote une loi, après une décision de justice, pour infirmer celle-ci.
C’est sur le fond, justement, que les opposants à ce texte (notamment Insoumis et écologistes) se sont insurgés, estimant que la proposition de loi était « une atteinte au principe de séparation des pouvoirs ». Ces députés ont donc non seulement déposé quelque 700 amendements à ce texte – ce qui est inouï pour un texte de trois paragraphes – mais, de plus, une motion de rejet préalable, portée par le groupe LFI.
Dans son discours de présentation de la motion de rejet, la députée Insoumise Anne Stambach-Terrenoir l’a expliquée ainsi : « Le pouvoir législatif prétend s’allier à l’exécutif pour soumettre le pouvoir judiciaire. (…) Au-delà de ce que vous pensez de l’A69, je vous demande de mesurer ce que vous êtes en train de faire. Normalement, une loi de validation de ce type sert à corriger à la marge des vices de procédure. Ici, elle prétend faire passer en force ce que la justice a censuré : elle vise à écraser la décision du tribunal administratif de Toulouse, à déclarer légal ce qui est illégal et à interférer dans le dénouement d’un litige en cours. »
Le gouvernement, par la voix du ministre chargé des Transports Philippe Tabarot, a répondu, en passant, que la dernière décision de justice en la matière n’est pas celle du 27 février, qui a stoppé le chantier, mais celle du 28 mai, qui a reconnu la RIIPM. C’est exact, mais l’argument est un peu spécieux, dans la mesure où la proposition de loi a été déposée bien avant cette deuxième décision.
Sur le fond – la question de savoir si ce texte remet en question la séparation entre pouvoir législatif et pouvoir judiciaire – le Républicain Guillaume Lepers a répondu : « Dois-je vous rappeler que le pouvoir législatif est la plume de la loi et que l’autorité judiciaire en est la bouche ? ». Autrement dit, c’est bien le Parlement qui écrit les lois, la justice n’étant là que pour l'interpréter.
Il aurait pu y avoir un réel débat, intéressant, sur le fond de cette question – mais il n’aura pas eu lieu. Le parti insoumis ayant choisi de déposer une motion de rejet, ce que rien ne l'obligeait à faire s'il voulait un vrai débat, les partisans du texte se sont engouffrés dans la brèche et ont appelé, ravis, à la voter. Dénouement que les Insoumis ne pouvaient ignorer, quinze jours après la loi Duplomb.
Unanimité
C’est ainsi que l’on a pu voir, ou plutôt revoir, cette situation totalement baroque où le rapporteur du texte, Jean Terlier (Ensemble pour la République), a pu déclarer qu’il ne « partageai(t) rien » de ce que l’oratrice insoumise avait dit à la tribune pour défendre sa motion de rejet, mais qu’il « demandait à ses collègues de la voter » ! En effet, a-t-il poursuivi, « compte tenu de l’obstruction que vous avez pratiquée en déposant tous ces amendements, il n’y a malheureusement pas d’autre solution, pour aboutir à un vote, que de convoquer une CMP ».
L’extrême droite elle-même – Rassemblement national et ciottistes – tout en se répandant en violentes diatribes contre « l’ultra-gauche écologiste » et en dénonçant la motion de rejet comme « une débandade désespérée », a également appelé à la voter.
Résultat : la motion de rejet a été adoptée… à l’unanimité. Si le Parti socialiste a choisi de ne pas participer au vote, dénonçant une « mascarade », et les écologistes ont quitté l’hémicycle, écœurés, avant celui-ci, les députés restant ont tous voté la motion de rejet – adoptée par 176 voix contre zéro.
Visiblement satisfaits du tour qu’ils avaient joué à la gauche, les députés du bloc central ont multiplié, après le vote, les boutades envers celle-ci sur le thème de « l’arroseur arrosé ». Ainsi Jean-René Cazeneuve a-t-il lancé à la gauche : « À malin, malin et demi ! Je tiens à vous remercier, car grâce à vous, l’examen du texte sera beaucoup plus rapide, et grâce à vous, l’A69 verra le jour beaucoup plus vite que prévu ! Merci ! ».
Situation absurde
Au-delà de ces joutes verbales, la méthode interroge bel et bien. Le gouvernement et sa majorité, en utilisant deux fois en 15 jours cette manœuvre inédite, semblent avoir inventé une nouvelle forme de 49-3 qui ne dit pas son nom, plaident les députés de gauche – et qui a l’avantage, contrairement au 49-3, de pouvoir être utilisé à l’infini. De surcroît, ce jeu de « l’arroseur arrosé », pour reprendre les termes utilisés par les macronistes, risque de conduire à ce que, par prudence, l’opposition n’ose plus déposer de motion de rejet, ce qui est pourtant de droit, craignant que celle-ci se retourne contre elle.
Enfin, on peut estimer que ces manœuvres abîment la notion même de vote des députés. Quel sens a un vote lorsque le député donne sa voix à une motion dont il rejette chaque terme ? Quel sens cela a-t-il lorsque l’on est un député élu, de voter pour des idées totalement opposées aux siennes, aux seules fins d’empêcher un débat ? L’Insoumise Mathilde Panot, en fin de débat, a eu beau jeu de relever que le bloc central, la droite et l’extrême droite, en votant cette motion de rejet très clairement opposée à l’A69, avaient donc validé par leur vote le caractère « inutile et nuisible » de ce chantier. « Le seul vote dont l’A69 a fait l’objet à l’Assemblée », a conclu la députée, a donc conduit au refus de celle-ci.
Cette situation absurde est une nouvelle démonstration du blocage politique auquel a conduit la dissolution, et donne une image peu reluisante du Parlement. Cela ne peut, en aucun cas, être une bonne nouvelle pour l’image, déjà bien écornée, de la procédure parlementaire.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2

Les Outre-mer gravement menacés par le réchauffement climatique
Résilience des réseaux : à quoi faut-il se préparer pour les prochaines années ?
La « bataille » des mairies contre les meublés touristiques commence à faire ses preuves
