Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 26 octobre 2022
Finances locales

Inflation : la conjoncture économique contraint les collectivités à naviguer à vue, selon la Cour des comptes

Les magistrats financiers prévoient que la situation à la fin de l'année ne sera « certainement pas meilleure qu'en 2021 ». Si les recettes des collectivités devraient continuer de croître en 2022, la dépendance de leurs ressources à la situation économique s'est encore accentuée avec les dernières réformes de la fiscalité locale.

Par A.W.

Au début du mois, Bercy estimait, dans une « note confidentielle »  rendue publique, que « l'année 2022 s'achèvera sans difficulté »  pour les collectivités, et envisageait même « des perspectives favorables pour 2023 »  permettant de faire face à l’inflation.

Trois semaines plus tard, la Cour des comptes est loin d’être aussi affirmative et reste plutôt prudente devant les incertitudes liées à la conjoncture économique actuelle. Dans son dernier rapport, la juridiction de la rue Cambon préfère donc, à deux mois de la fin de l’année, ne pas se prononcer avec certitude sur la santé financière des administrations territoriales, que ce soit aussi bien pour 2022 que pour 2023.

« Perspectives incertaines » 

Une chose semble toutefois déjà actée : la situation à la fin de l'année ne sera « certainement pas meilleure qu'en 2021 », a-t-elle concédé lors de la présentation de son rapport à la presse. Après une année 2021 jugée par l'institution « très favorable »  pour les finances locales, la dégradation rapide de la situation économique mondiale (inflation, coût des biens et services, difficulté de mettre en œuvre des projets d’investissement, multiplication des appels d’offres infructueux...) cumulée aux inéluctables nouvelles dépenses (point d’indice, revalorisation de la catégorie C, rénovation énergétique) auxquelles sont confrontées les collectivités ont rendu, à ses yeux, toutes perspectives financières particulièrement « incertaines ». 

Bien que « les comptes provisoires à fin août ne témoignent pas d’une forte dégradation », ces perspectives restent bien « conditionnées à l’évolution du contexte économique », selon elle.

Une dépendance accrue à la conjoncture économique

Si elle se montre rassurante sur les recettes des collectivités qui devraient « rester assez dynamiques »  cette année avec « une hausse des produits de la fiscalité locale et économique », elle pointe une « sensibilité des ressources des collectivités à la situation économique »  qui a été « accentuée »  par les dernières réformes de la fiscalité locale engagées durant le quinquennat précédent d’Emmanuel Macron.

La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et la réforme des impôts de production ont conduit à affecter aux régions, aux départements et aux EPCI des compensations sous forme de fractions de TVA qui permet ainsi à leurs recettes d'augmenter mécaniquement quand le montant de la TVA collecté augmente

Si les communes sont encore « relativement préservées »  avec seulement 7,2 % de leurs recettes de fonctionnement exposées à la conjoncture, ce n’est déjà plus le cas des régions et des départements qui sont les plus dépendants à la situation économique, à hauteur respectivement de 77,4 % et 55 % de leurs recettes de fonctionnement. 

Concernant les EPCI, qui disposent toujours de produits de taxe foncière, ceux-ci « bénéficient désormais de produits de TVA qui s’élevaient à 15,6 % de leurs recettes de fonctionnement en 2021. En tenant compte des produits de CVAE et du versement mobilité, plus d’un tiers de leurs recettes de fonctionnement (34,7 %) sont dépendantes de la conjoncture », explique la Cour.

Les communes plus sensibles à l’inflation 

Du côté des dépenses, la situation est tout autre compte tenu notamment de l’inflation. Selon la Cour, la situation internationale devrait ainsi peser sur les charges des collectivités, « de manière directe (coût des achats et services) ou indirecte (mesures salariales dont la hausse du point d’indice) ».

Et si les collectivités doivent ainsi faire face à la hausse de leurs dépenses énergétiques et de leurs achats alimentaires, en particulier celles dont les contrats arrivent à échéance en 2022, les magistrats financiers estiment que « la part de ces dépenses dans leurs dépenses de fonctionnement reste toutefois limitée ». 

Cependant, les finances des collectivités locales sont « inégalement sensibles »  à la hausse de l’inflation, et ce sont les communes qui voient la part de leurs dépenses énergétiques et alimentaires peser le plus dans leurs dépenses de fonctionnement. Les achats en matière d’eau et assainissement, d’énergie et de chauffage urbain représentaient ainsi 4 % des dépenses de fonctionnement des communes en 2021, 1,9 % des dépenses de leurs groupements et respectivement 0,4 % et 0,5 % de celles des départements et des régions. 

Pour ce qui des combustibles et des carburants (0,8 %), ainsi que de l’alimentation (0,9 %), là aussi les communes sont les plus sensibles alors que ces dépenses ne représentaient que seulement 0,5 % et 0,01% pour les régions.

Les régions devraient proportionnellement donc moins souffrir que les communes de la hausse des prix de l'énergie et des produits alimentaires en 2022. Même chose pour ce qui est de l'impact de la revalorisation du point d'indice, les frais de personnel représentant 53,8 % des dépenses des communes (et 32 % pour les EPCI), contre 19 % pour les régions.

La Cour estime d’ailleurs que « l’incidence de ces mesures sur les finances locales est potentiellement plus importante que celle des achats énergétiques et alimentaires, compte tenu du poids relatif de ces dépenses dans les budgets locaux ». Si elle est « fondée s’agissant de 2022 », cette assertion serait à nuancer « pour nombre de grandes villes [pour lesquelles] ce ne sera plus le cas en 2023 eu égard à l’explosion des prix de l’électricité (de 300 à 500 % d’augmentation budgétée au titre des achats énergétiques) », avance France urbaine dans sa réponse à la Cour : « Pour les collectivités ayant été contraintes de renouveler leurs achats ces tous derniers mois, les conséquences sur leur niveau d’épargne sont bel et bien conséquentes, dès la fin de cet exercice 2022 et a fortiori pour 2023 ».

« Ouvrir le débat »  sur la DGF

Dans ce contexte, expliquent les magistrats financiers, « l’évolution de la situation financière des collectivités locales dépendra des dynamiques respectives de leurs charges et produits de fonctionnement, mais également du coût de l’emprunt et des contraintes pesant sur l’investissement local (renchérissement des marchés, difficultés d’approvisionnement, etc.) ».

Ceux-ci envisagent même « d’ouvrir le débat sur la dotation globale de fonctionnement, dont l’enveloppe globale est gelée depuis 2018 », si le contexte inflationniste venait à persister, alors que plusieurs associations d’élus, dont l'AMF, réclament depuis un certain temps l’indexation de cette dotation sur l’inflation. Pour les magistrats, l’enveloppe globale de la DGF « pourrait faire l’objet d’ajustements conjoncturels, le cas échéant ciblés, sans préjudice d’une réforme de cette dotation à moyen terme ».

En outre, devant la grande hétérogénéité des situations des collectivités, l’institution juge « nécessaire »  une plus grande solidarité entre elles et appelle à une meilleure prévisibilité de leurs ressources.

Elle réclame ainsi une « meilleure répartition »  des ressources entre collectivités, notamment « à travers un renforcement de la péréquation horizontale et la révision des indicateurs financiers utilisés pour la répartition des dotations ». 

De plus, elle préconise « d’améliorer la prévisibilité des recettes locales, alors que leur plus grande sensibilité à la conjoncture économique est susceptible d’entraîner des variations importantes du niveau des ressources annuelles affectées à chaque collectivité ».

Les magistrats financiers considèrent ainsi que « deux modèles contracycliques sont possibles, l’un consistant à encadrer la dynamique de recettes, l’autre à développer des mécanismes d’autoassurance collective ou individuelle », tout en relativisant toutefois ces deux approches, « destinées à compenser la volatilité croissante des recettes locales ». Selon eux, celles-ci ne sont « pas nécessairement adaptées à toutes les catégories de collectivités »  et « ne constituent pas non plus l’unique réponse à la diversité des structures de ressources des collectivités ».

La Cour a, par ailleurs, réalisé une analyse consacrée à l’intercommunalité, dans lequel elle juge notamment que « les relations financières entre EPCI et communes membres gagneraient à être clarifiées et rééquilibrées ». Maire info reviendra sur ce chapitre dans une prochaine édition.

Télécharger le rapport.

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