Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du vendredi 13 mai 2022
Forêts

Incendies, agressions, menaces : les travailleurs forestiers s'indignent

Dans une tribune publiée le 26 avril dans l'Obs, les représentants de la filière forêt-bois alertent sur les agressions qui sont régulièrement commises à l'encontre des forestiers. Cette dénonciation inédite amorce un véritable dialogue entre les élus et les forestiers qui souhaitent trouver des solutions pour mettre fin à ces actes violents. 

Par Lucile Bonnin

Ce fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le 17 mars 2022, sur la commune de Brassy dans la Nièvre, la Coopérative forestière CFBL a été victime dans la nuit d’un incendie criminel, brûlant un engin forestier. 

À la suite de cet incident, une réunion d’urgence a été organisée le lundi 21 mars avec le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Agriculture et l’interprofession nationale France Bois Forêt, qui ont unanimement condamné ces actes. Puis s’en est suivi la publication d’une tribune à la fin du mois d’avril dans l’Obs intitulée Stop aux agressions des travailleurs en forêt ! 

Briser l’omerta 

Le phénomène n’était pas médiatisé jusqu’alors. « Les forestiers sont traditionnellement des gens qui ne communiquent pas beaucoup, indique Lionel Say, directeur général de la coopérative forestière CFBL, interrogé par Maire info. Nous préférions ne pas en parler avant mais ces violences existaient déjà depuis plusieurs années. Puis nous nous sommes rendu compte que garder le silence n’était pas la solution. » 

« Le temps du silence n'est plus le bon temps, ajoute de son côté Bertand Servois, président de l’Union de la coopération forestière française (UCFF). C'est un phénomène qui s'amplifie depuis quelques années. Des machines sont brûlées, des jeunes plantations prévues par le plan de relance sont arrachées... Il y a de plus en plus d'attentats commis et d'atteintes portées envers les forestiers qui se font menacer et insulter. » 

Rien qu’à l’échelle des régions Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine, depuis fin 2018, plus d’une vingtaine d’engins forestiers ont été incendiés ou sabotés et de multiples actes de malveillance à l’encontre des travailleurs forestiers sont constatés par les différents signataires de la tribune. Ces dégâts sont d’ailleurs estimés à plusieurs millions d’euros. 

« Ces actes malveillants sont inacceptables et conséquents en termes de coûts et d’impacts psychologiques », confie Dominique Jarlier, président de la Fédération nationale des Communes forestières et maire de Rochefort-Montagne (63).

Un problème de société 

Lorsque l’on interroge les acteurs de la filière sur les origines de ces attaques, les explications sont plurielles. Lionel Say analyse la situation à travers deux prismes : « D’abord, le monde devient de plus en plus urbain et les citoyens ont de moins en moins de connaissances en cultures et agriculture. D’un autre côté, il y a une montée de discours extrémistes qui considèrent qu’une coupe ou une plantation serait mauvaise pour l’environnement. C’est un discours réducteur qui méconnaît le milieu de la forêt. » 

Les réseaux sociaux seraient un vivier important pour ces idées. « La tentation serait de dire que la forêt est le dernier lieu d'espace naturel et donc qu'il ne faudrait pas y toucher du tout, explique Bertrand Servois. Cette idée circule beaucoup sur internet disant qu’il faudrait laisser la forêt en libre évolution. Or une forêt primaire relâche du carbone si on laisse mourir les arbres. La récolte permet la séquestration du carbone dans le bois. » 

Lionel Say explique aussi que l’activité est importante car elle crée de l’emploi dans les territoires ruraux. Il en profite pour faire un petit rappel historique : « De nombreuses forêts françaises ont été plantées par l’homme. C’est le cas par exemple de la forêt de Tronçais qui a été plantée sous Colbert. Peu de gens le savent ! » 

Cette méconnaissance générale et grandissante de l’environnement forestier se conjugue avec la montée d’une « conception radicale de la place de l’humain dans les espaces forestiers ». Ces actes criminels ne sont pas le fait direct d’ONG mais sont généralement commis par des « personnes non-écolos qui profitent de mouvements d'opinions pour atteindre des objectifs par des moyens dangereux et non démocratiques », comme l’observe le président de l’UCFF. 

Sensibiliser et dialoguer 

La publication de cette tribune est aussi l’occasion de répondre à ces attaques idéologiques en affirmant que « les forêts sont des réservoirs de biodiversité qui stockent du carbone et atténuent les effets du changement climatique ». Les acteurs de la filière déclarent être évidemment prêts à débattre autour « des techniques sylvicoles et de la fourniture du bois »  mais que « rien ne saurait justifier le recours à la violence ».

Et c’est justement sur ce point qu’il faut agir. « Il y a un travail de fond à mener sur la sensibilisation du grand public, selon Bertrand Servois. En plus des procédures de signalement mises en place contre ces agissements, il faut une prise de conscience de la part des citoyens. Il faut créer un dialogue sur le terrain avec les habitants, les ONG et surtout les enfants ! » 

Dominique Jarlier encourage notamment le programme La forêt fait école qui est mis en place dans 1 000 communes et qui « s’inscrit dans l’acculturation à la préservation, la protection des milieux et de la biodiversité, et la gestion forestière. L’accompagnement des classes du primaire est une des compétences de la commune, rappelle t-il. Cette action est une des composantes des actions de médiation en direction de la société. » 

« Positionner l’élu local et en particulier le maire comme acteur essentiel de la médiation c’est utiliser son statut – l’institution démocratique la plus reconnue par les citoyens – et son expérience pour nuancer les postures excessives caricaturales et expliquer, décrire la sylviculture, l’usage du bois et la fonction d’accueil de la forêt », précise le président de la Fédération nationale des Communes forestières. 

Une main est tendue vers les élus. « Le maire est le plus à même de sensibiliser la population car il a une posture de médiateur et est en première ligne, rappelle Dominique Jarlier. Deux points doivent être précisés par eux : d’abord, ils peuvent rappeler que les forestiers n’ont pas la volonté de détruire la nature. Puis, ils peuvent nuancer les messages radicaux qui circulent. » 

Sensibiliser, c’est aussi communiquer sur l’évolution des forêts de la commune. Ainsi, pour le président de l’UCFF, « les élus peuvent tenir au courant la population de l'évolution de la forêt (plantations, coupes, etc.) via les réseaux sociaux. » 

Des élus qui se mobilisent 

Alliés des forestiers, les élus ont été réactifs sur ces questions d’agressions. « Ce qui m’a frappé à la suite de la publication de la tribune, c’est que les élus se sont indignés de ce qui se passait et ont avoué ne pas avoir pris conscience du problème auparavant, puis ont remonté l’information rapidement auprès des préfets, témoigne Lionel Say. J’ai été positivement impressionné par ces réactions. Il y a une vraie sympathie des élus pour les forestiers et ces évènements ont révolté les maires. » 

Face à cette dénonciation, les acteurs de la filière ont également constaté une mobilisation inédite des pouvoirs publics, « nouvelle mais réelle ». Lionel Say conclut : « L’État doit affirmer sa position sur ces questions pour ne pas que ça se reproduise. » 
 

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