Le Sénat confirme la suppression de l'aide médicale d'ÉtatÂ
Par Franck Lemarc
Dès le début de la séance d’hier au Sénat, il a été acté que l’ordre de discussion des articles de ce texte serait modifié : les articles 3 à 7 du projet de loi seront mis en « réserve », selon le jargon parlementaire, et discuté après l’article 13. L’article 3, qui vise à instaurer un dispositif de régularisation provisoire des étrangers en situation irrégulière qui travaillent dans un secteur en tension, et dont Les Républicains exigent la suppression pour voter le texte, sera donc discuté plus tard. On ne peut prédire quand, mais probablement pas aujourd’hui, dans la mesure où l’examen n’en était encore, hier en fin de séance, qu’à l’article 2.
Contrairement à ce qu’envisageait Maire info hier, ce n’est pas le gouvernement qui a été à l’initiative de ce report, mais la commission des lois du Sénat. Le gouvernement, ceci dit, aurait pu s’y opposer en vertu de l’article 44-6 du règlement du Sénat : « Lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve (…) est de droit, sauf opposition du gouvernement ». Il s’en est bien gardé : ce délai supplémentaire a été décidé dans l’espoir que centristes et LR trouvent un compromis sur une rédaction de l’article 3 qui serait acceptable pour les deux parties, ce qui sera décisif pour l’adoption du texte, ou pas, par le Sénat.
AME vs AMU
Le Sénat a par ailleurs validé hier la décision de supprimer l’aide médicale d’État, mesure qui ne figurait pas dans le texte du gouvernement mais que la commission des lois a introduite après l’article 1er.
Il faut rappeler ce qu’est l’AME. Ce dispositif, créé en 1999 et qui représente 0,5 % du budget de la sécurité sociale, vise à permettre aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins, sous conditions de ressources et pour un an. Pour en bénéficier, un étranger doit résider sur le territoire national depuis au moins trois mois et gagner (pour une personne seule) moins de 9 719 euros par an, soit 810 euros par mois.
La commission des lois du Sénat a décidé de remplacer cette AME par une AMU (aide médicale d’urgence). Il s’agit de remplacer un accès au soin universel par une prise en charge très limitée : « traitement des maladies graves et des douleurs aigües », soins liés à la grossesse, vaccinations réglementaires et examens de médecine préventive. Par ailleurs, l’accès à cette AMU subordonné au versement d’un « droit annuel », qui serait fixé par décret.
Arguments éthiques, économiques et sanitaires
Cette disposition, en séance publique, s’est heurtée à une très large désapprobation : cinq groupes du Sénat sur huit s’y sont montrés formellement opposés, avec des arguments de plusieurs ordres.
« Éthiques », d’abord. « Où sont nos valeurs communes d’égalité et de fraternité ? », a demandé Anne Souyris (EELV). « Comment y voir autre chose qu'une mesure idéologique, déshumanisante et mâtinée de xénophobie ? », s’est interrogée Raymonde Poncet Monge (EELV). « Enfin tout de même ! Soigner les gens quand ils sont malades : cela ne devrait pas faire débat ! », s’est exclamé le communiste Ian Brossat. Mais l’indignation ne vient pas que de la gauche : chez les Radicaux et les sénateurs Renaissance, le rejet s’est exprimé de la même façon. La suppression de l’AME serait « une faute éthique, sanitaire, économique », a plaidé François Patriat (Renaissance).
En effet, de nombreux sénateurs ont également pointé les enjeux sanitaires et économiques : la suppression de l’AME « risque d’avoir de graves conséquences sur notre système de santé, car les pathologies prises en charge tardivement sont plus coûteuses », a défendu Ahmed Laouedj (RDSE). « Prise à temps, une bronchite se soigne avec six jours d'antibiotiques ; si vous laissez traîner, le malade risque de se retrouver en réanimation, ce qui coûtera bien plus cher ! », a renchéri Véronique Guillotin (RDSE). Il s’agira de plus d’un « transfert » des dépenses de l’État vers la Sécurité sociale, puisque les personnes iront se faire soigner à l’hôpital. « En 2012, l'Espagne a supprimé un dispositif équivalent pour le réintroduire en 2018, après avoir constaté une explosion des dépenses de santé », a rappelé le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli.
Sans compter que des étrangers qui ne seraient plus en mesure de se faire soigner en ville représenteront aussi un « risque sanitaire et épidémiologique », ont fait remarquer plusieurs sénateurs. « Nous parlons de VIH, de tuberculose, c'est-à-dire de santé publique et de risque épidémique, pas de soins de confort ! », s’est agacée la socialiste Marion Canalès.
Enfin, les sénateurs opposés à cette disposition ont cherché à battre en brèche l’idée défendue par la droite selon laquelle l’AME serait « un appel d’air » à l’immigration clandestine, estimant que cette idée n’est prouvée par aucune étude statistique et que « les migrants ne risquent pas leur vie en traversant la Méditerranée pour bénéficier de l’AME ». Plusieurs sénateurs ont également opposé à cette idée le très fort taux de non-recours à l’AME, qui serait de 50 % selon des statistiques officielles, voire de 80 % selon Médecins du monde. « Le problème est plus le non-recours que l’abus », a constaté Xavier Iacobelli.
Le gouvernement entre deux eaux
Face à cette avalanche d’arguments, les défenseurs de la mesure ont tenu bon. Muriel Jourda, rapporteure LR pour la commission des lois, a estimé « normal que nous débattions d'un dispositif dont les soins sont pris en charge dans notre pays », qui a « 3 000 milliards d’euros de dette ». Elle a estimé le panier de soins prévu pour l’AMU « tout à fait convenable » : « Nul délaissement de la santé des étrangers, nul risque pour celle des Français. Ramenons les choses à leur juste mesure. (…) Les considérations financières ne sont pas neutres. Est-ce un appel d'air ? Ce qui est certain, c'est qu'on a bien envie de continuer à bénéficier du système français quand on a commencé à y goûter... C'est un motif de maintien sur le territoire. »
Bruno Retailleau, pour le groupe LR, a déclaré n’avoir « aucune leçon d’humanité à recevoir de personne », et jugé que ce panier de soins AMU est « sans équivalent en Europe ». Alain Joyandet, également LR, a estimé que la suppression de l’AME est « une mesure d’intérêt général » que son groupe n’a « aucun mal à assumer ». En 2012, « l’AME ne coûtait que 588 millions d’euros [contre 1,2 milliard aujourd’hui – NDLR]. Ensuite, les vannes ont été ouvertes, et le dispositif est devenu un appel d'air pour l'immigration ! ».
Quant au sénateur ex-RN Stéphane Ravier, particulièrement virulent, il s’est adressé ironiquement aux élus de gauche : « Par votre acharnement à défendre l'AME – des soins gratuits réservés aux clandestins, des hors-la-loi dont le nombre s'élève à 423 000, soit l'équivalent de la ville de Toulouse, qui ne cotisent rien et perçoivent tout – vous prenez acte de leur présence irréversible sur notre territoire. Les candidats à l'émigration savent qu'ils trouveront en France des élus de gauche qui s'évertueront à ce qu'ils restent sur le territoire, qui vont même à la rencontre des clandestins pour leur faire connaître leurs droits, quand ils n'ont qu'un devoir : rentrer dans leur pays d'origine ! C'est là-bas qu'ils doivent être soignés. »
Dernier épisode de ce débat enflammé – et pas le plus compréhensible : la position illisible du gouvernement. Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargée notamment des professions de santé, s’est longuement exprimée contre la suppression de l’AME – ce qui est la position de son ministre de tutelle, Aurélien Rousseau. Elle a déroulé pas moins de « cinq arguments », éthiques, économiques, sanitaires, épidémiologiques et y compris législatifs, estimant que cette disposition n’avait « pas sa place dans ce texte » : « Mélanger les débats sur l'AME et ceux qui ont trait au contrôle de l'immigration est un non-sens. » Tout cela pour… ne pas donner d’avis favorable du gouvernement sur les amendements de suppression et s’en remettre « à la sagesse du Sénat ». Ce qui a provoqué « l’étonnement » ou « la stupéfaction » des sénateurs de la gauche, qui ont dénoncé « une posture » du gouvernement.
À l’issue de ce débat, les amendements de suppression ont été rejetés par 191 voix contre 140, et le Sénat a donc confirmé la suppression de l’AME.
Il est à noter enfin que les sénateurs ont rétabli le « délit de séjour irrégulier », supprimé sous François Hollande, qui punit de 3 750 euros d’amende et trois ans d’interdiction du territoire « le fait pour tout étranger âgé de plus de dix-huit ans de séjourner en France au-delà de la durée autorisée par son visa ». Ils ont en revanche repoussé la demande de Stéphane Ravier de punir ce délit par de la prison ferme.
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