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Édition du jeudi 27 février 2025
Immigration

Immigration : François Bayrou annonce de nouvelles mesures de « contrôle » et hausse le ton vis-à-vis de l'Algérie

François Bayrou a présidé hier un Comité interministériel de contrôle de l'immigration, avec une dizaine de ses ministres, lors duquel un certain nombre de mesures ont été décidées pour « renforcer le contrôle de l'immigration en France ». Le Premier ministre a également menacé de « remettre en cause » les accords passés avec l'Algérie. Décryptage.

Par Franck Lemarc

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© Matignon

C’est pendant sa déclaration de politique générale, mi-janvier, que le Premier ministre avait promis de « réactiver »  le Comité interministériel de contrôle de l’immigration – une instance créée en 2005 et tombée peu à peu en désuétude. Le 22 janvier, un décret a été publié pour préciser les missions – « fixer les orientations de la politique gouvernementale en matière de contrôle des flux migratoires »  –  et la composition de ce comité – les dix ministres directement concernés par les questions d’immigration et les directeurs d’une quarantaine d’administrations centrales. 

« Un demi-million d’immigrés supplémentaires » 

Au sortir de la réunion d’hier, le Premier ministre a pris la parole devant la presse, entouré notamment de Gérald Darmanin, Bruno Retailleau et Élisabeth Borne. Il a notamment déclaré que la France avait accueilli « plus d’un demi-million d’immigrés supplémentaires »  en 2024, dont 160 000 demandeurs d’asile, jugeant que ce niveau « inédit »  prouve que la procédure d’asile serait « dévoyée ». 

François Bayrou estime que cette « dynamique migratoire »  dépasse les capacités d’accueil de la France. Il a, par ailleurs, énuméré les « problèmes d’ordre public »  ainsi que les « crimes et délits »  qui seraient la conséquence de cette arrivée d’immigrés : à Mayotte, sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord, ainsi que le très récent meurtre commis à Mulhouse par un déséquilibré d’origine algérienne, fiché au répertoire des personnes radicalisées. 

Dans ce contexte, le gouvernement entend répondre « aux attentes de nos concitoyens »  et « renforcer le contrôle de l’immigration ».

Les principales mesures annoncées

La première mesure annoncée par François Bayrou est la généralisation de la « Force frontière », un dispositif expérimenté depuis deux ans dans les Hautes-Alpes et les Alpes-Maritimes pour surveiller la frontière franco-italienne. Ce dispositif regroupe plusieurs administrations (police et gendarmerie nationales, douane), avec éventuellement l’appui de l’armée (force Sentinelle). Il sera donc étendu « à l’ensemble de l’Hexagone », avec « un état-major national », afin de mobiliser « plusieurs centaines de renforts à nos frontières ». 

Pour ce qui concerne le contrôle de l’immigration illégale à Mayotte, l’urgence, a poursuivi le Premier ministre, est de « reconstituer »  les moyens détruits par le cyclone, notamment les radars de contrôle maritime permettant de repérer les embarcations. D’ici « le mois de juin », de nouveaux radars seront installés ainsi qu’une « surveillance par satellite ». 

Troisième mesure : un « plan d’action pour renforcer le niveau d’exécution des OQTF »  (obligations de quitter le territoire français). Rappelons que l’an dernier, sur environ 140 000 OQTF qui ont été prononcées, moins de 7 % ont été exécutées. François Bayrou a notamment évoqué des « évolutions juridiques »  pour « pouvoir maintenir en rétention les publics dangereux jusqu’à leur expulsion ». 

Enfin, le gouvernement souhaite agir à l’échelle européenne et internationale. Vis-à-vis de l’Union européenne, il va soutenir « une révision de la directive Retour »  de 2008, qui fixe les normes et procédures d’expulsion dans tous les États membres. Ce cadre, selon François Bayrou, est devenu « trop complexe »  et empêche « l’exécution immédiate »  des OQTF. 

Il souhaite par ailleurs mettre en œuvre une nouvelle méthode de négociation vis-à-vis des États étrangers, dans une sorte de logique de « donnant-donnant » : « La délivrance des visas tiendra compte de la qualité de la coopération migratoire des pays d’origine, s’agissant en particulier de la réadmission de ceux de leurs ressortissants que nous expulsons. »  Cette déclaration vise notamment l’Algérie, qui a de plus en plus tendance à refuser d’admettre sur son sol ses ressortissants expulsés de France, et les renvoie immédiatement, comme cela a été récemment le cas pour l’influenceur Doualemn. Selon le Premier ministre, l’Algérie aurait refusé « à 14 reprises »  l’expulsion de l’auteur de l’attentat de Mulhouse. 

Évolution délétère

Les relations entre la France et l’Algérie, qui se sont fortement dégradées ces derniers mois, ont été largement évoquées lors du comité interministériel, le Premier ministre allant jusqu’à menacer de « remettre en cause »  les accords migratoires passés entre les deux pays. 

C’est le choix fait par la France, il y a six mois, de soutenir le Maroc, dans le conflit qui l’oppose à l’Algérie à propos du Sahara occidental, qui est à l’origine du regain de tensions entre Paris et Alger. Ulcérée par cette décision, l’Algérie se sert, depuis,, de la question des « réadmissions »  – qu’elle refuse presque systématiquement – pour manifester son mécontentement. L’arrestation à Alger de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, en novembre, a été ressentie en France comme une autre provocation du régime algérien. 

C’est l’évolution délétère de ces rapports – et sans doute, aussi, quelques arrière-pensées liées à la situation politique en France – qui a conduit à ce qu’aujourd’hui, une personnalité centriste comme François Bayou propose de remettre en cause les accords franco-algériens sur les flux migratoires, alors qu’il y était personnellement opposé il y a encore un an. 

Que reste-t-il vraiment de « l’accord de 1968 » ?

La dénonciation de « l’accord de 1968 »  est une très ancienne revendication de l’extrême droite française, reprise par la droite classique plus récemment et aujourd’hui par des figures macronistes comme Gabriel Attal et donc François Bayrou.

Cet accord, signé six ans après l’indépendance, fixe un certain nombre de règles qui dérogent au droit qui s’applique aux immigrés venant d’autres pays. Il n’est toutefois pas inutile de rappeler que cet accord, à l’époque, a été signé non pour faciliter l’arrivée des Algériens en France mais… pour la freiner. En effet, les accords d’Évian de 1962 disposaient que tout Algérien muni d’une carte d’identité pouvait librement entrer et séjourner en France – cette disposition tendant à l’origine à faciliter le retour en France des Pieds Noirs.

Les accords du 27 décembre 1968 ont donc instauré des quotas : 35 000 Algériens pouvaient être admis en France chaque année. Chacun avait 9 mois pour trouver un emploi, ce qui leur ouvrait droit à une carte de séjour spécifique, le « CRA »  (certificat de résidence d’Algérien) de cinq ans. 

Depuis 1968, cet accord a été plusieurs fois modifié (en 1986, 1994 et 2001). Aujourd’hui, il n’en reste plus grand-chose, le droit des Algériens ayant été en grande partie aligné sur celui des autres étrangers. Certaines dispositions favorables subsistent encore – comme la carte de séjour de 10 ans qui ne demande qu’un an de séjour pour être accordée contre trois ans pour les autres étrangers. Mais il subsiste aussi des dispositions défavorables aux Algériens, en dessous du droit commun aux autres étrangers : par exemple, les Algériens ne peuvent bénéficier des « passeports talents »  ni de la régularisation par le travail prévue par la loi de 2004. 

Il est donc discutable de dire, comme l’a fait le Premier ministre hier, que ces accords « comportent des avantages considérables pour les Algériens ». 

Sauf, peut-être, si l’on ne parle pas de l’accord général de 1968 mais d’un certain nombre de protocoles particuliers qui ont été conclus entre les deux pays au fil des années. C’est le cas par exemple d’un accord de 2013 permettant aux dignitaires algériens munis d’un passeport diplomatique ou d’un passeport « de service »  de pouvoir rentrer en France sans visa et d’y circuler librement. Bruno Retailleau et Gérald Darmanin se sont plusieurs fois prononcés, ces dernières semaines, en faveur de la suppression de cette facilité. 

Hier, François Bayrou a donné un ultimatum de six semaines au gouvernement algérien pour revenir à des pratiques plus conformes aux accords passés entre les deux pays – avec notamment une liste « de ressortissants devant être remis aux autorités algériennes ». Faute de quoi, « la France se réserve le droit de remettre en cause ces accords ». 

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