Immigration : Emmanuel Macron défend le texte, les départements de gauche refusent de l'appliquer
Par Franck Lemarc
La formule a été inaugurée par le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, hier : il y a dans le texte Immigration et intégration des dispositions « que nous n’aimons pas, mais qui ne nous déshonorent pas » . Le mot a été repris par Emmanuel Macron, hier, pendant son interview dans l’émission C à vous : ce texte n’est pas « déshonorant » , il est au contraire « courageux ».
Emmanuel Macron a choisi de contre-attaquer en fustigeant les « bonnes âmes » qui critiquent ce texte, estimant que ces critiques viennent des rangs de ceux « qui ont gouverné le pays pendant quarante ans et qui ont fait quoi ? Ils ont réglé le problème du chômage ? Ils ont réglé le problème de désindustrialisation du pays ? ».
S’il a reconnu que « le débat s’est embrasé » et que certaines mesures peuvent « heurter les consciences », Emmanuel Macron a appelé à « calmer les esprits » et a rejeté toute « rupture » dans l’idéologie de son parti, toute concession à « la préférence nationale » , toute connivence avec les idées du Rassemblement national. Au contraire, il juge que ce texte constitue un « bouclier » contre « ce qui nourrit le Rassemblement national » , seule façon selon lui d’empêcher que ce dernier « arrive aux responsabilités » . Il a revendiqué « de porter le projet qui est le plus à l’opposé de ce que fait le RN » .
Le chef de l’État a également essayé de contrer l’image d’un gouvernement réduit à l’impuissance par sa majorité relative et contraint de chercher en permanence des alliances tantôt à gauche, tantôt à droite : « On a avancé, on a fait. Il n’y a pas d’impuissance, au contraire (…) Reprendre le contrôle, eh bien, c’est ce qu’on fait. »
Le recours au Conseil constitutionnel
Emmanuel Macron a néanmoins critiqué certains aspects de ce texte, comme la « caution demandée aux étudiants étrangers » qui n’est « pas une bonne idée » : « On a besoin de continuer d’attirer des talents et des étudiants du monde entier. » Le chef de l’État compte par ailleurs sur le Conseil constitutionnel pour corriger, à la marge, certaines « dispositions qui ne sont pas conformes à la Constitution ».
Cet espoir est partagé par tous les porte-paroles de la majorité depuis mardi soir – et même avant, puisque Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, avait déjà indiqué aux sénateurs, mardi après-midi, que certaines dispositions du texte étaient « manifestement et clairement contraires à la Constitution » . Emmanuel Macron, hier, a répondu à ceux qui s’étonnent d’avoir vu des sénateurs et des députés de la majorité voter un texte dont le ministre de l’Intérieur lui-même indiquait qu’il était pour partie inconstitutionnel : « Est-ce parce qu’il y avait des articles qui n’étaient pas conformes à notre Constitution qu’il fallait dire “on n’est pas d’accord et donc il n’y a pas de texte” ? Ma réponse est non » , a déclaré le chef de l’État.
Le recours au Conseil constitutionnel, après coup, pour « adoucir » ce texte, apparaît néanmoins problématique à certains constitutionnalistes, qui dénoncent une « instrumentalisation politique » des Sages. Demander à des juges de « légitimer une loi », estime par exemple le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, pourrait, à terme, « avoir des conséquences dramatiques sur notre ordre républicain ». Le sénateur LR Bruno Retailleau, sur Europe 1, allait dans le même sens hier : « (Emmanuel Macron) veut se servir du Conseil constitutionnel dans un face à face avec le Parlement. Je mets en garde sur cette pratique. Le Conseil constitutionnel n'est pas une instance d'appel du Parlement. »
La manœuvre n’est, par ailleurs, pas sans risque politique pour le gouvernement. Elle peut alimenter l’idée, qui sera forcément brandie par le RN et LR, que la Constitution ne permet pas de « lutter contre l’immigration » et qu’il faut la changer, par référendum. Bruno Retailleau l'a d'ailleurs déjà dit hier : « S'il y a des censures, ce sera la preuve qu'il faut une réforme constitutionnelle. »
Une autre porte de sortie pour le gouvernement se dessinera avec les textes d’applications de la loi. Un exemple parmi d’autres : la caution étudiante, dont « les modalités » doivent être précisées par décret. Rien n’empêche le gouvernement – et la Première ministre l’a elle-même évoqué hier – de fixer par décret une caution à « 10 euros » pour la rendre symbolique.
Fronde des départements de gauche
En attendant, la journée d’hier a également été marquée par l’annonce peu commune faite par les présidents des département dirigés par la gauche (au nombre de 32). Dans un communiqué, ils indiquent qu’ils « refusent l’application du volet concernant l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) de cette loi » . L’APA est en effet concernée par l’article de la nouvelle loi instaurant une durée de résidence minimale de cinq années pour pouvoir toucher certaines prestations sociales.
Plusieurs présidents de départements qui se sont exprimés hier dans les médias rappellent que l’on parle ici d’une allocation versée à des personnes âgées en situation de grande dépendance, qu’il faut « laver, aider à se nourrir, à se coucher » . « Humainement, ce n’est pas entendable pour moi », déclarait hier Serge Rigal, président du conseil départemental du Lot. Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, a également déclaré hier : « Nous continuerons de verser l’APA aux étrangers en situation régulière ».
Cette position est partagée, notamment, par la maire de Paris Anne Hidalgo, qui a indiqué que « la Ville de Paris ne pratiquera pas la préférence nationale pour nos aînés en ce qui concerne l’allocation personnalisée d’autonomie. »
Ces prises de position ont provoqué une réaction immédiate de la ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure : « Parce que la loi sera la loi, et parce que la responsabilité de chacun est de l’appliquer, je fais confiance aux présidents de départements pour l'appliquer. » Autre réaction : celle du patron des Républicains, Éric Ciotti, qui a ce matin sévèrement pris à partie les présidents de département concernés, jugeant cette décision « ahurissante et scandaleuse ». « C'est de la sédition ! Il y aurait des petits roitelets locaux qui décideraient de ne plus appliquer les lois de la République ? Tout le monde doit appliquer les lois de la République, et a fortiori les élus locaux. »
Les présidents de gauche semblent avoir trouvé une parade pour contourner la loi : Serge Rigal, dans le Lot, expliquait hier qu’au mois de février, son conseil départemental votera « une nouvelle allocation d’autonomie universelle » pour soutenir les personnes âgées dépendantes, qui « donnera exactement les mêmes droits aux Lotois qui seraient exclus par cette loi » . Avec, évidemment, l’inconvénient majeur – vu l’état des finances des départements – que cette aide devra être financée sur les fonds propres des départements. « Nous doterons ce fonds des moyens nécessaires », indiquait pourtant Serge Rigal dans La Dépêche d’hier.
Il reste maintenant à attendre l'avis du Conseil constitutionnel et la promulgation de la loi stabilisée. Maire info reviendra alors sur les mesures prévues par ce texte qui concernent directement les maires et les communes.
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