Les sénateurs demandent que l'État prenne en charge les AESH pendant la pause méridienne à la place des collectivités
Par Franck Lemarc
Depuis les lois de 2005 et de 2013, l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap, c’est-à-dire leur droit à être scolarisé en milieu ordinaire, a été consacrée. Conséquence : le nombre de ces enfants en milieu ordinaire a quadruplé en vingt ans, atteignant 478 000 à la rentrée 2023.
Un certain nombre de ces enfants nécessitent d’être accompagnés et aidés. C’est le rôle des AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap), dont le nombre a lui aussi explosé (86 500 ETP en 2023).
La rémunération de ces AESH sur le temps scolaire revient à l’Éducation nationale, c’est-à-dire à l’État. Mais qu’en est-il du temps périscolaire, et en particulier de la pause méridienne, notamment pour les enfants qui ont des difficultés à se nourrir seuls, dans la mesure où ce sont les collectivités locales, et non l’État, qui sont responsables de ces temps périscolaires ? La question a été plutôt brutalement tranchée par une décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020.
Innombrables difficultés
En 2016, un parent d’élève d’une école maternelle d’Ille-et-Vilaine a demandé à la direction des services départementaux de l’académie de Rennes que l’AESH assistant son enfant pendant le temps scolaire puisse également le faire lors des activités périscolaires organisées par la commune de Bruz. Refus du Dasen d’Ille-et-Vilaine, au motif que « l'ensemble des temps périscolaires relève de la responsabilité exclusive de la collectivité territoriale qui les organise et qu'il lui appartient d'en supporter la charge financière ». Saisi, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision pour « excès de pouvoir ». Le ministère de l’Éducation nationale a alors saisi le Conseil d’État pour statuer sur cette décision.
La haute cour administrative a rendu sa décision le 20 novembre 2020, et elle a donné raison au Dasen d’Ille-et-Vilaine. Elle est claire : considérer que l’État doit prendre en charge financièrement l’accompagnement des enfants en situation de handicap en dehors du temps scolaire est « une erreur de droit ». Cette charge incombe aux collectivités qui organisent (de façon facultative) des activités pendant le temps périscolaire.
Cette décision, plaide l’auteur de la proposition de loi, le sénateur LR de la Savoie Cédric Vial, a marqué « un profond changement de paradigme en exonérant l’État d'assumer les dépenses d'aide humaine nécessaire à la scolarisation des enfants en situation de handicap sur le temps méridien ».
Depuis cette décision, ajoute le sénateur, certains enfants « se sont retrouvés subitement sans aide humaine à la pause méridienne, obligeant leurs parents à prendre le relais, à leur propre détriment (pose de jour de congé ou de maladie, restriction ou arrêt d'activité...), voire à recourir à des accompagnants privés pour ceux dont les moyens le permettent, et, dans certains cas, à une déscolarisation ». Même si, dans la plupart des cas, ce sont les collectivités qui ont pris le relais et assumé elles-mêmes cette charge. Avec à la clé d’innombrables difficultés : les AESH se retrouvent souvent à avoir deux employeurs pour la même journée (l’État pendant les heures de cours et la collectivité pendant la pause méridienne) ; et les communes ont dû assumer une charge financière importante.
Comme le note la commission de la culture et de l’éducation du Sénat, dans sa note sur cette proposition de loi, cette décision a également conduit à des différences de traitement, notamment entre élèves scolarisés dans le public et dans le privé : dans le public, les collectivités peuvent payer les AESH ; mais dans les établissements privés sous contrat, « les fonds perçus au titre du forfait scolaire ne peuvent pas servir à couvrir des dépenses qui interviennent sur le temps périscolaire ». Les établissements doivent donc trouver eux-mêmes les financements nécessaires, ce qui les conduit en général ou bien à augmenter le prix de la cantine pour tous, ou bien à faire payer les familles concernées.
Se pose également le problème des classes Ulis (unités locales d’inclusion scolaire). Le Sénat rapporte des cas d’élèves affectés par l’Éducation nationale dans des classes Ulis situées en dehors de leur commune : « Certains maires, au motif qu’ils n’ont pas donné leur accord à cette scolarisation en dehors de la commune de résidence, refusent de prendre en charge l’accompagnement humain sur le temps périscolaire, notamment méridien. Cette situation est source de tensions entre les élus. Des communes refusent désormais la création d’une classe ULIS dans leurs écoles en raison du reste à charge financier qu’elle entraîne. »
Transfert de compétence
En 2023, le cabinet du ministre de l’Éducation nationale a rappelé (sure demande de l'AMF) que trois options existent pour la prise en charge des élèves en situation de handicap : la mise à disposition de l’AESH employé par l’Éducation nationale, après signature d’une convention ; le recrutement direct d’AESH par la collectivité ; ou le recrutement en commun d’AESH par l’État et la collectivité. Toutes ces solutions sont complexes et, en tout état de cause, elles ne règlent pas le problème dans les établissements privés sous contrat.
La solution la plus simple et la plus efficace serait donc de revenir à une prise en charge par l’État des AESH pendant toute la journée, pause méridienne comprise. C’est l’objectif de la proposition de loi, dont l’auteur juge que l’État est responsable de l’inclusion scolaire, et que c’est donc à lui d’en assumer la charge financière.
La proposition de loi est brève : elle propose de modifier le Code de l’éducation en y inscrivant que l’État est responsable « de la rémunération du personnel affecté à l’accompagnement des élèves en situation de handicap sur le temps scolaire et sur le temps de pause méridienne ».
La commission de la culture et de l’éducation du Sénat a accueilli très favorablement ce texte, en l’adoptant sans modification. Elle a estimé que ce nécessaire transfert de compétences devra, par la suite, être complété de façon « urgente » d’une « réforme systémique et concertée de l’école inclusive, aujourd’hui au bord de la rupture ».
Reste à savoir quel sera l’accueil réservé par le gouvernement à ce texte, qui risque d’être moins chaleureux. Mais la configuration particulière de l’Assemblée nationale, en ces temps de majorité relative, peut laisser de l’espoir aux maires : le texte sera logiquement soutenu par la gauche et par Les Républicains, qui en sont à l’initiative, ce qui lui laisse une chance d’être adopté même si le parti présidentiel se prononçait contre lui.
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