Le Sénat plaide pour une prise en charge des élèves en situation de handicap (ESH) « plus qualitative et continue »
Par Lucile Bonnin
Alors qu’Emmanuel Macron a présenté le 26 avril dernier un nouveau plan handicap comprenant 70 mesures visant « l’accessibilité universelle » (lire Maire info du 27 avril), la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a confié à Cédric Vial une mission de contrôle « visant à dresser un état des lieux de la scolarisation des élèves en situation de handicap (ESH), en abordant son fonctionnement organisationnel, son approche culturelle de la prise en compte du handicap, et le rôle de ses personnels-chevilles ouvrières, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). »
Le sénateur constate en premier lieu qu’entre 2004 et 2022, le nombre d’ESH a considérablement augmenté, passant de 134 000 à 430 000 élèves scolarisés en milieu ordinaire. Cette augmentation représente une progression de l’ordre de 6 à 7 % par an et va de pair avec une hausse des moyens dédiés à l’accompagnement humain (les effectifs des AESH ont croît de plus de 50 % entre 2017 et 2022).
Si ce constat est, à première vue, positif, le rapporteur estime néanmoins que ce « phénomène de massification de l’aide humaine traduit aussi les dysfonctionnements d’un système d’inclusion scolaire » . Ce dernier privilégie « une logique quantitative, à travers le développement exponentiel de mesures de compensation, au détriment d’une démarche qualitative, qui appelait à mettre une égale priorité sur les enjeux d’accessibilité. »
Un système qui « atteint aujourd’hui ses limites »
La commission du Sénat a adopté les 20 recommandations formulées par le sénateur de la Savoie. Toutes appellent à « inverser l’ordre des valeurs » , c’est-à-dire à faire que l’école s’adapte aux besoins de l’enfant et non l'inverse. « La possibilité de recourir à l’aide humaine ne doit pas conduire l’institution scolaire à s’exonérer de sa responsabilité pédagogique » , peut-on lire dans le rapport d’information.
Le rapporteur pointe plusieurs « défauts » du système d’inclusion scolaire actuel. D’abord, certaines « prescriptions d’accompagnement humain » sont éloignées du handicap de l’enfant. Le sénateur regrette aussi le fait que l’Éducation nationale soit dans « l’incapacité de mettre en œuvre, de manière efficiente, le flux des prescriptions émanant des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ». Il déplore enfin la gestion « inadaptée voire défaillante » de l’organisation des AESH par l’Éducation nationale.
D’ailleurs, ce constat rappelle celui dressé dans un rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) publié il y a un an : la hausse du nombre d’Aesh ne peut pas être un facteur suffisant pour l’inclusion scolaire ; il faut désormais développer et systématiser l’accessibilité des matériels pédagogiques et construire « une organisation administrative corrigée ».
Vers une meilleure articulation entre les MDPH et l’Éducation nationale
Pour mémoire, « la gouvernance du système d’inclusion scolaire repose sur une organisation duale » avec d’un côté un prescripteur – les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) –, chargé d’instruire les dossiers de demande d’aide à la scolarisation et de l’autre, un opérateur-payeur – l’Éducation nationale –, responsable de mettre en œuvre, sur ses moyens, les prescriptions des MDPH. Cette organisation est loin d’être satisfaisante puisque le sénateur relève des dysfonctionnements qui « nuisent in fine à une prise en charge transversale et cohérente des ESH. »
De plus, les moyens des MDPH n’ont pas, depuis leur création par la loi de 2005, été réévalués afin de tenir compte du développement important de leurs missions. Conséquence : « Certaines MDPH ont tendance à formuler une prescription conforme à la demande des familles afin de s’éviter, par manque de ressources pour les traiter, le risque de recours administratif de ces dernières ».
La mission propose donc de réévaluer ces moyens, de simplifier les procédures administratives d’aide à la scolarisation des ESH et d’améliorer les procédures d’instruction et de prescription des MDPH.
Enfin, le Sénat rappelle l’Éducation nationale à ses obligations en matière de moyens matériels et d’accessibilité de l’école : « l’Éducation nationale s’est abritée derrière l’essor de la compensation et a « externalisé » la prise en charge des situations de handicap aux AESH ». C’est une « dérive » qui doit être corrigée car « l’accessibilité de l’école est de la responsabilité pleine et entière de l’Éducation nationale ».
Les dépenses d’aide humaine des ESH sur le temps périscolaire
En début d’année 2023, de nombreux parlementaires ont alerté le gouvernement sur une décision du Conseil d’État datant de novembre 2020 qui créé des situations complexes concernant le financement des Aesh sur le temps périscolaire (lire Maire info du 27 mars).
En effet, le « Conseil d’État a dégagé l’Éducation nationale de toute responsabilité dans le financement des emplois d’AESH en dehors du temps scolaire, transférant ainsi la charge aux collectivités territoriales dans le cadre de l’enseignement public et aux établissements dans le cadre de l’enseignement privé sous contrat ».
Pour le rapporteur, « cette décision induit une rupture dans la prise en charge quotidienne de ces enfants, ce qui est contraire (…) à l’objectif d’inclusion. Depuis sa publication, certains se sont retrouvés subitement sans aide humaine à la pause méridienne, obligeant leurs parents à prendre le relais, à leur propre détriment (pose de jour de congé ou de maladie, restriction ou arrêt d’activité…), voire à recourir, dans certains cas, à des accompagnants privés pour ceux dont les moyens le permettent. »
Le Sénat recommande par conséquent « la reprise en charge par l’État, au titre de la solidarité nationale, du financement des dépenses d’accompagnement humain des ESH sur le temps méridien, pour éviter les ruptures dans la prise en charge quotidienne de ces enfants ».
Cette recommandation répond à une demande initiale de l’AMF qui a considéré, en lien avec Territoires unis, dans un courrier du 11 février 2022 adressé au Premier ministre, que la charge des AESH (recrutement et rémunération) devrait relever de l’Etat, en tant que garant de la scolarisation et de la continuité de la prise en charge de l’enfant en situation de handicap à l’école, dans une logique d’inclusion, comme l’avait indiqué le Conseil d’Etat dans une décision antérieure du 20 avril 2011.
Un surcoût pour les communes qui ont des dispositifs Ulis
D’ailleurs, cette décision du Conseil d’État a fait naître une autre problématique à l’échelle des communes : « Il n’existe, à ce jour, aucune disposition législative ou règlementaire [relative] au problème de la prise en charge de l’aide humaine, sur le temps périscolaire, de l’enfant scolarisé en dispositif Ulis et dont la commune de résidence n’est pas celle qui héberge ce dispositif. Seul le forfait scolaire, qui n’inclut pas le temps périscolaire, peut être refacturé ». Le rapporteur rappelle pourtant qu’il ne s’« agit pas d’une dérogation, mais bien d’une affectation de ces enfants par le ministère de l’Éducation nationale dans l’établissement concerné ».
Le rapport dénonce alors « le surcoût » qui « incombe aux communes d’accueil de ces dispositifs », « qu’elles estiment injuste » . Il est même indiqué dans le rapport que « certaines communes, notamment rurales, ont d’ores et déjà fait part de leur souhait de ne plus accueillir ce type de dispositif, en l’absence de solution pour une prise en charge des enfants originaires d’une autre commune » . Le Sénat recommande donc d’ « acter le principe de la prise en charge, par la commune de résidence de l’enfant scolarisé au sein d’un dispositif Ulis situé dans une autre commune, des personnels dédiés à son accompagnement sur le temps périscolaire. »
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