École inclusive : une « réussite » qui ne permet pas de « couvrir l'ensemble des besoins de manière équitable »
Par A.W.
Si le système scolaire a largement intégré les élèves en situation de handicap depuis une vingtaine d’années, de « nombreuses fragilités » subsistent, relève la Cour des comptes dans un rapport publié hier.
Celui-ci analyse ainsi la politique mise en œuvre par l’Éducation nationale depuis 2005 et la loi qui impose comme un droit la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le milieu scolaire ordinaire.
Des effectifs qui ont triplé depuis 2006
Sur le plan « quantitatif », la Cour estime que ce tournant a été une « réussite indéniable » et que « le système scolaire a su se transformer ». En près de 20 ans, les effectifs d’élèves en situation de handicap en milieu scolaire ont ainsi triplé, passant de « 155 361 élèves à la rentrée 2006 à 436 085 en 2022 ».
En constante augmentation dans les différents types d’établissements, les élèves en situation de handicap sont les plus nombreux, en proportion, dans les lycées professionnels puisqu’ils représentaient près de 5 % des effectifs en 2021 (dernière année présentée par la Cour). Dans les collèges, ils constituaient 4,4 % des effectifs, 3,2 % en école primaire et moins de 1 % en lycées généraux et technologiques.
Néanmoins, sur le plan qualitatif, expliquent les magistrats financiers, les transformations engagées par le système scolaire s’avèrent « hétérogènes selon les territoires et, dans bien des cas, incomplètes ou inabouties ». Résultat, de « nombreuses fragilités subsistent » et « le parcours des élèves et de leurs familles reste complexe ».
L'accessibilité en question
L’ensemble des besoins des élèves n'est ainsi globalement pas couvert de manière « efficace et équitable », selon la Cour.
D’abord, l’une des principales « faiblesses » mise en avant par la Cour provient de « la coexistence » du secteur éducatif et du secteur médico-social « dont la coordination et les interactions ne sont pas satisfaisantes ». Il y a donc « des difficultés [qui] subsistent pour assurer le parcours scolaire des élèves en situation de handicap tout en tenant compte de leurs besoins médico-sociaux des élèves ».
Le manque de places dans des instituts médico-sociaux « conduit, en raison de l’obligation de scolarisation, les établissements scolaires à accueillir des élèves présentant des troubles face auxquels les intervenants éducatifs se sentent démunis », observe la Cour.
Sur le plan de l’accessibilité aux bâtiments scolaires et aux équipements sportifs et culturels – de la responsabilité des collectivités – , la haute juridiction estime qu'il y a « souvent un manque de planification concertée, nécessaire pour répondre aux besoins ».
« L’évaluation de la Cour fait apparaître l’absence fréquente de programmation qui permettrait, sur la base d’un diagnostic partagé entre l’Éducation nationale et les collectivités territoriales, de planifier les besoins restant à couvrir en termes d’accessibilité bâtimentaire, mais aussi d’aménagement des espaces scolaires en mobiliers adaptés aux élèves en situation de handicap », écrivent ainsi les magistrats.
Comme le souligne très simplement la version « Falc » (facile à lire et à comprendre) du rapport : « Les écoles ont besoin de faire des travaux pour accueillir les élèves handicapés », mais « il manque de l’argent pour faire [ces] travaux ».
Enseignants et AESH « pas suffisamment outillés »
De leur côté, les enseignants se sentent « souvent démunis pour diversifier leur action pédagogique » en raison de « l’absence de supports pédagogiques adaptés », mais aussi « des effectifs d’élèves par classe qu’ils jugent trop nombreux » ainsi que « les délais généralement trop longs pour disposer des équipements nécessaires ».
Par ailleurs, les magistrats soulignent un « recours massif » aux accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), « au détriment des dispositifs d’accessibilité qui restent insuffisamment aboutis ».
Les AESH sont ainsi devenus « le deuxième métier de l’Éducation nationale » après les enseignants, avec 78 816 agents en équivalents temps plein.
Outre un certain « mal-être dans leur pratique quotidienne », les enseignants et les AESH estiment « ne pas être suffisamment outillés et préparés, que ce soit en termes de formation initiale ou continue, pour faire face à des situations qui, selon eux, dépassent parfois leurs compétences et leurs moyens d’action ». Ceux-ci souhaitent ainsi bénéficier « de conseils et d’appuis de spécialistes », mais aussi de meilleures formations.
Des « parcours discontinus »
L’institution de la rue Cambon se dit, en outre, plutôt « réservée » sur la question de « la réussite scolaire et l’insertion sociale et professionnelle des élèves en situation de handicap », et celle de savoir si « le système d’inclusion scolaire français peut être considéré comme efficient et performant ».
Les magistrats rappellent notamment que les familles rencontrées au cours de l’évaluation ont « quasi unanimement » qualifié la scolarisation de leurs enfants de « parcours du combattant », celles-ci devant notamment « reformuler, à plusieurs reprises, des demandes de prise en charge auprès des MDPH ».
À ce jour, « de nombreux élèves en situation de handicap connaissent des parcours discontinus, qui sont source de sentiments de mal-être et d’incertitudes sur leur avenir », constatent les magistrats.
Les « limites de l’appareil de formation français à donner à tous les jeunes les mêmes chances en termes de trajectoire professionnelle » sont parfaitement illustrées par le taux de chômage des personnes en situation de handicap sur le marché du travail qui reste encore « près de deux fois supérieur à celui des autres actifs » (12 % contre 7 % en 2022).
Sans compter que, face aux différentes données « lacunaires », « aucun élément ne permet de comparer les effets d'une scolarisation en classe ordinaire » par rapport à celle en établissement spécialisé médico-social. Il n’est ainsi « guère possible de se prononcer sur les performances du modèle français d’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap », conclut la Cour, qui détaille, par ailleurs, la situation de cinq départements (Hauts-de-Seine, Lozère, Maine-et-Loire, Nord et Rhône) dans ces « cahiers territoriaux » .
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