Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 17 septembre 2024
Grand âge

Ehpad : les maires bretons passent à la seconde étape et attaquent l'État en justice

Après avoir tenté une médiation, 16 communes bretonnes viennent de déposer des requêtes contre l'État, pour manquement au financement de leurs Ehpad. Les départements bretons se rallient à leur action. Une quarantaine d'autres dossiers pourraient suivre.

Par Emmanuelle Stroesser

Les élus bretons réunis au sein du collectif (en cours de devenir association) des « Maires et territoires en résistance pour le grand âge »  avaient promis qu’ils ne « lâcheraient rien ». Ils ont donc travaillé « tout l’été »  avec leurs cabinets conseils sur la problématique des Ehpad.

Poursuivant la démarche engagée au printemps (lire Maire info du 3 mai et du 21 mai), ces maires se mobilisent pour exiger de l’État qu’il donne les moyens de traiter dignement les personnes hospitalisées en Ehpad. Si la mobilisation continue, c’est que le constat sur la situation des Ehpad n’a pas évolué, en tout cas pas dans le bon sens. « Cela craque de partout », résume Jean-Louis Even, maire de La Rauche-Jaudy (Côtes-d’Armor). 

Les conseils départementaux solidaires

L’été a été profitable au moins sur un point : le ralliement des quatre conseils départementaux bretons, qui désormais les soutiennent dans la démarche judiciaire. « Nous avons pu échanger avec eux, ils nous ont fait part de leurs difficultés, ils ont les mêmes que nous », explique Jean-Louis Even.

« Nous sommes arrivés au bout d’un système. Malgré tous nos efforts, les actions mises en place pour soutenir les Ehpad ne suffisent plus », acquiesce la vice-présidente des Côtes-d’Armor, chargée de l’Autonomie, Véronique Cadudal. Les conseils départementaux se sont engagés à se porter observateurs dans cette procédure, et produire un « relevé de conclusion »  en justice, en soutien. Ils ne sont pas assignés en justice.

L’État poursuivi au tribunal

Ce qui n’est pas le cas de l’État et de l’Agence régionale de santé de Bretagne. La tentative de médiation n’a rien donné. « C’est simple, zéro retour », résume le maire de Plouah, Xavier Compain. Après le dépôt de leurs demandes d'indemnités préalables (DIP), mi-juillet, les élus ont attendu les deux mois légaux un accord ou au moins une réponse. 

À défaut, les 16 maires viennent donc de déposer, vendredi 13 septembre, les premières requêtes introductives d’instance auprès du tribunal administratif de Rennes. Celles-ci s’appuient sur les lois, codes et règlements (notamment le Code de l’action sociale et des familles) pour tenter de démontrer trois préjudices : financier (qui peut aller jusqu’à plusieurs millions d’euros par établissement), de gestion (car « cela devient impossible de travailler sereinement quand on ne connait qu'à la fin d’année les crédits non reconductibles donnés par l’ARS » ) et enfin d’image. Les maires doivent en effet endurer « les reproches »  de la population sur l’état des Ehpad.

Prochaine étape : « Le juge va contacter l’ARS et l’État qui sont cités en partie adverse », explique Jean-Louis Even. 

« Les territoires en résistance »  se développent

La mobilisation, elle, continue. « Ne lâchons rien ! », lance le maire de Bruz (Ille-et-Vilaine), Philippe Salmon. Une vingtaine de demandes d’indemnités préalables sont prêtes à être à leur tour déposées. 

Le collectif continue à recruter, et lance même un appel à tous les maires intéressés, « au-delà des communes ayant des Ehpad en gestion via leurs CCAS et au-delà de la Bretagne ». Déjà, des communes de l’Hérault, de Gironde, comme des fédérations et réseaux telles que la FEHAP, la Fnadepa, l’Unccas ou l’Uniopss les ont rejoints. 

Proches du terrain et de leurs administrés les plus âgés, ces maires ne sont pas loin de l’écœurement face aux situations vécues par les personnes âgées dépendantes. « Nous ne voulons pas être les fossoyeurs (1), avec des établissements où, parce qu’il manque du personnel, des personnes ne sont pas changées, ni levées, les volets non ouverts », s’emporte Jean-Louis Even.  

Ils le répètent, maires comme présidents ou vice-présidents de conseil départemental, « nous refusons de laisser le marché lucratif mettre la main sur nos établissements », ce qui conduirait à ce que les Ehpad ne soient plus destinés « qu’aux plus fortunés ». « L’État doit l’égalité territoriale sur la dépendance », reprend le maire de Plouah. Les élus réclament une loi Grand âge, pour porter « une vision à 30 ans ». Ils appellent le prochain gouvernement à en faire sa priorité. Un appel doublé d’une lettre co-signée de plus d’une trentaine de parlementaires bretons pour être reçus par le Premier ministre. 

Mobilisations le 24 septembre pour une loi Grand âge

Un même cri d’alerte a été lancé par les assises nationales des Ehpad, réunies en fin de semaine dernière, et par l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). « Mettre immédiatement à l’agenda parlementaire la loi Grand âge autonomie pourrait stopper la spirale désastreuse des déficits des établissements et services, des conditions de travail toujours plus accidentogènes et d’un niveau d’accompagnement très en deçà des aspirations des personnes âgées, de leurs proches comme de l’ensemble de nos concitoyens », plaide cette dernière. Un crédo qui sera repris lors de la journée de mobilisation nationale du 24 septembre prochain « Les vieux méritent mieux ! »  au côté de 15 autres organisations du secteur dont la Fnadepa, à l’origine de cette manifestation lancée il y a trois ans.

Lire aussi le dossier de Maires de France n° 424, juin 2024, Personnes âgées. Les élus confrontés au casse-tête de l’hébergement. 

(1)   Référence au titre du livre du journaliste Victor Castanet, paru en 2022, qui dénonçait les mauvais traitements subis par des personnes hébergées dans les Ehpad du groupe Orpéa notamment. 

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