Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 10 septembre 2025
Gouvernement

Sébastien Lecornu nommé Premier ministre et chargé de « trouver un accord » avec les oppositions

Emmanuel Macron n'a mis cette fois que quelques heures pour nommer un nouveau Premier ministre, hier, en la personne de Sébastien Lecornu – l'ancien maire de Vernon. Le chef de l'État fait donc le choix de la continuité, tout en affirmant vouloir que le gouvernement soit ouvert à d'autres forces.  

Par Franck Lemarc

Maire-Info

Finalement, cela n’aura été ni un socialiste, ni un technicien, ni un « préfigurateur » : Emmanuel Macron n’a pas choisi la rupture en nommant à Matignon un de ses plus fidèles compagnons de route – Sébastien Lecornu ayant la particularité d’être la seule personnalité politique qui soit restée membre d’un gouvernement de façon continue depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017.

Entêtement et demi-concessions

François Bayrou a remis sa démission au chef de l’État à 13 h 30 hier, et c’est aux alentours de 20 heures que l’Élysée a annoncé la nomination de Sébastien Lecornu, qui constitue tout sauf une surprise : à chaque remaniement depuis plusieurs années, son nom circule. Déjà l’an dernier, après la chute de Michel Barnier, Emmanuel Macron avait l’intention de nommer Sébastien Lecornu à la tête du gouvernement, avant de se résoudre à confier le poste à François Bayrou, sous la pression de celui-ci. C’est donc un très proche du président que celui-ci a choisi – Sébastien Lecornu a été son directeur de campagne en 2022 –, ce qui apparaît comme une manière pour le chef de l’État de reprendre la main, après avoir successivement nommé un Premier ministre LR et un MoDem. 

Si les ministres démissionnaires venus de la droite, dont Bruno Retailleau  et Gérald Darmanin, se sont immédiatement félicités de ce choix, la déception est vive dans l’opposition, notamment au Parti socialiste dont les leaders ont, semble-t-il, réellement cru qu’ils allaient être appelés par le président de la République. Au Rassemblement national, qui espérait une « dissolution rapide », Jordan Bardella s’est contenté de twitter « On ne change pas une équipe qui perd ». 

L’attitude du chef de l’État peut, il est vrai, apparaître comme une forme d’entêtement, après que deux Premiers ministres eurent été renversés en à peine plus d’un an : privé de majorité à l’Assemblée nationale, voire confronté à un isolement de plus de plus important au Palais-Bourbon (Michel Barnier a été renversé par 331 voix l’an dernier, François Bayrou par 364 voix), faisant face à une impopularité jamais vue, Emmanuel Macron, en nommant le plus fidèle de ses soutiens à Matignon, envoie pourtant un message clair aux oppositions : il n’a l’intention de changer ni de ligne ni de politique.

Tout juste accepte-t-il de changer de méthode : Sébastien Lecornu est chargé de trouver – ou tenter de trouver – un « accord »  avec « les forces politiques représentées au Parlement »  avant de nommer son gouvernement. C’est, de la part du président de la République, une demi-concession à son parti, Renaissance. Celui-ci, par la voix de Gabriel Attal, avait demandé lundi un « changement de méthode », en posant « la question du ‘’quoi’’ avant celle du ‘’qui’’ » : Gabriel Attal souhaitait la désignation d’un « négociateur »  chargé de trouver un accord sur les grands axes du budget, et la nomination d’un Premier ministre seulement après cet accord trouvé. Emmanuel Macron, apparemment soucieux d’avoir un Premier ministre en exercice avant le début de la journée de protestation d’aujourd’hui, n’a pas entièrement cédé à cette demande, mais il charge, en quelque sorte, Sébastien Lecornu d’être le « négociateur »  demandé par Renaissance. 

Reste à savoir quel « accord »  pourrait bien être trouvé entre le bloc central, la gauche et le RN, tant les positions des uns et des autres sont antagonistes. Le président de la République, dans son communiqué d’hier soir, se dit « convaincu qu’une entente est possible entre les forces politiques ». Mais cette « entente politique »  n’ayant été trouvée ni par Michel Barnier ni par François Bayrou, on ne voit pas bien comment elle pourrait l’être par Sébastien Lecornu, tout habile négociateur qu’il soit – puisqu’au fond, ni le camp présidentiel ni les oppositions ne sont prêts à faire de réelles concessions.

Fin connaisseur des collectivités locales

Une chose est certaine en tout cas, et ce sera peut-être un motif de satisfaction pour les élus locaux : Sébastien Lecornu est un indiscutable connaisseur de la question des collectivités locales : maire de Vernon pendant un an et demi en 2014, premier vice-président de l’agglomération pendant six ans, deux fois président du conseil départemental de l’Eure en 2015 et 2021, Sébastien Lecornu a surtout été ministre chargé des Collectivités territoriales entre 2018 et 2020. 

Homme incontestablement de droite – il a pris sa carte à l’UMP à 16 ans et est devenu assistant parlementaire à 19 ans –, d’abord proche de Bruno Le Maire puis de François Fillon, Sébastien Lecornu a rejoint Emmanuel Macron dès l’élection de celui-ci à l’Élysée, en 2017, dans les pas du Premier ministre d’alors, Édouard Philippe. Dans le premier gouvernement de ce dernier, il est secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, éphémère ministre de la Transition écologique et solidaire. 

Lors de l’important remaniement ministériel d’octobre 2018, à l’occasion de laquelle un ministère chargé des Relations avec les collectivités territoriales est créé, Sébastien Lecornu hérite de ce portefeuille auprès de Jacqueline Gourault. Après le mouvement des Gilets jaunes, il fut l’un des principaux animateurs du « Grand débat national »  voulu par Emmanuel Macron, qui se tint entre janvier et avril 2019. À l’issue de cette séquence, lors de laquelle plus de 10 000 débats locaux se sont tenus, souvent organisés par les maires, Sébastien Lecornu expliquait qu’il était urgent de « réhabiliter le rôle du maire, réhabiliter les communes »  et « rouvrir le dossier de la loi Notre ». 

Cela aboutira, quelques mois plus tard, à l’adoption par le Parlement d’un projet de loi resté sous le nom de loi Lecornu – de son nom officiel « loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique »  (27 décembre 2019). Ce texte de 120 articles, dont Maire info donnait les principaux éléments dans cet article, a notamment donné naissance à la conférence des maires, changé certaines règles en matière de transfert de compétences, permis d’augmenter les indemnités de fonction, créé la prise en charge des frais de garde et rendu obligatoire la protection fonctionnelle, renforcé les pouvoirs de police du maire…

Dans le gouvernement de Jean Castex, Sébastien Lecornu a été ministre des Outre-mer pendant deux ans. Il a ensuite été nommé ministre des Armées, peu après le début de la guerre en Ukraine – poste qu’il occupe de façon continue depuis mai 2022, et où il a été le pilote de la loi de programmation militaire et de son budget en très forte augmentation. 

Propulsé hier à Matignon et chargé de faire adopter un budget dans une situation politique critique, il reste à savoir si l’ancien maire de Vernon gardera l’écoute et l’attention vis-à-vis des élus locaux dont il a fait preuve lorsqu’il était leur ministre. 

Dead-line

On doit aussi se demander combien de temps dureront les « consultations »  que le nouveau locataire de Matignon va mener avec les partis en vue de trouver un accord – ou de constater l’impossibilité d’en trouver un. Avec plusieurs dead-line : la reprise des travaux du Parlement, d’abord. La session ordinaire doit reprendre le 1er octobre, mais idéalement, il faudrait qu’une session extraordinaire soit convoquée dès la dernière semaine de septembre pour qu’un certain nombre de textes en souffrance puisse être examiné avant le début du débat budgétaire. Mais le Premier ministre pourra-t-il mener les consultations, trouver un éventuel accord et nommer son gouvernement dans ce délai ? Rien n’est moins sûr.

Deuxième date butoir : la présentation du budget. Celui-ci, pour pouvoir être examiné et adopté dans les temps, devrait être déposé à l’Assemblée nationale au plus tard le 7 octobre (premier mardi d’octobre). Si le nouveau Premier ministre se contente de reprendre la copie de son prédécesseur, ce délai est sans doute tenable. Mais s’il relève le défi fixé par le chef de l’État, à savoir établir un budget qui satisfasse au moins en partie les autres « « forces politiques », ce sera une autre affaire, puisque cela supposera de récrire en grande partie le projet de loi de finances concocté sous François Bayrou, et ce, après plusieurs jours ou semaines de négociations. Dans ces conditions, la tenue du débat budgétaire paraît difficile à envisager dans les délais habituels. 

Selon plusieurs médias, le nouveau Premier ministre, bien que la passation officielle de pouvoir n’ait lieu qu’en milieu de journée, a débuté ses consultations dès ce matin. 

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