Maire-info
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Édition du vendredi 3 octobre 2025
Gouvernement

Renoncement au 49-3 : le pari risqué de Sébastien Lecornu

Quelques minutes avant de commencer un ultime round de négociations avec les partis politiques, le Premier ministre a sorti une carte surprise de sa manche en annonçant qu'il « renonçait » à utiliser l'article 49-3.

Par Franck Lemarc

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© Matignon

Prendre de court ses interlocuteurs. C’était manifestement l’intention du Premier ministre en convoquant, un quart d’heure avant son premier rendez-vous politique de la matinée (Marine Le Pen), une conférence de presse sur le perron de Matignon. Lors de cette prise de parole de 6 minutes, Sébastien Lecornu a annoncé avoir « décidé de renoncer à (utiliser) l’article 49-3 ». 

Premières « pistes » 

Au bout de 21 jours à Matignon, le Premier ministre promet qu’il va proposer un gouvernement « dans les prochains jours »  – l’extrême limite étant le 7 octobre, jour où doivent en théorie s’ouvrir les travaux de la nouvelle session parlementaire. Depuis sa nomination, il a multiplié les rencontres avec les partis politiques et les syndicats, confronté à l’inquiétude d’une situation sociale possiblement en train de se tendre – avant que l’échec relatif de la troisième journée de mobilisation sociale, hier, vienne le rassurer sur ce point. Le Premier ministre, qui a promis dès sa nomination des « ruptures », n’avait jusque-là pris qu’un seul engagement ferme : celui de porter, dès l’automne, un projet de loi de décentralisation ambitieux. 

Au fil des jours, il a aussi égrené un certain nombre de « pistes », notamment sur le terrain social et celui du pouvoir d’achat, qui ont pour beaucoup un petit goût de « retour vers le futur »  : ainsi, hier, Matignon a annoncé la volonté du Premier ministre de « réfléchir »  au retour à la défiscalisation des heures supplémentaires (mesure datant du mandat de Nicolas Sarkozy) ou de la réactivation de la « prime Macron »  ou « prime de partage de la valeur » , mise en place après le mouvement des Gilets jaunes. Il serait également question d’une mesure d’allégement fiscal pour « les couples payés au smic »  – ce qui serait d’une portée extrêmement limitée puisque l’essentiel des couples dont chaque membre est payé au salaire minimum n’est pas imposable. 

Le gouvernement « n’écrira pas la copie » 

Dans sa déclaration de ce matin, Sébastien Lecornu a fait le point sur ses discussions avec les différentes forces politiques, celles du « socle commun »  et celles des oppositions, et révélé que « dans le secret du bureau, les compromis sont possibles » . Une façon de dire que les oppositions n’ont pas le même langage dans son bureau et dans leurs déclarations publiques – ce qui n’est de toute façon pas démontrable. « Une coalition aurait donc été possible, un accord de non-censure » , estime le Premier ministre, mais « cette possibilité n’a pas pu prospérer » . Il fait donc le constat que, faute de coalition gouvernementale, « chacun va devoir faire un geste, sans se renier, pour faire avancer le pays ». Sébastien Lecornu a appelé les partis à sortir des discours « binaires », « pour ou contre la réforme des retraites », « pour ou contre la taxe Zucman », « pour ou contre l’immigration » , et à se mettre autour d’une table pour débattre de « comment avancer »  sur tous ces sujets. 

C’est dans ce cadre qu’intervient l’annonce du « renoncement »  au 49-3 : le Premier ministre affirme que « chaque député doit avoir du pouvoir et de la responsabilité », et que pour que ceux-ci puissent pleinement s’exercer, le gouvernement « ne peut pas passer en force » . L’article 49-3 de la Constitution a été conçu, au départ, pour permettre au gouvernement de « contraindre sa propre majorité » , a rappelé le Premier ministre, et ne lui semble donc guère adapté à une Assemblée sans majorité. Le 49-3 permet au gouvernement « d’interrompre les débats et d’écrire lui-même la copie » . Ce ne sera pas le cas, lors de ce débat budgétaire, a promis Sébastien Lecornu, qui a précisé que les ministres qui entreront au gouvernement devront « accepter de rentrer dans cette nouvelle méthode de partage du pouvoir ». « Le gouvernement va devoir changer de méthode, bâtir des compromis avant, pendant et après les séances [du Parlement] ».

Maintenant que cet engagement a été pris, a averti le Premier ministre, « il n’y a plus aucun prétexte pour que les débats ne démarrent pas la semaine prochaine »  à l’Assemblée nationale. 

Quels objectifs ?

Cette dernière phrase est une allusion directe au fait que La France insoumise a d’ores et déjà annoncé qu’elle déposerait, dès l’ouverture des débats, une motion de censure contre le gouvernement. Le Premier ministre dit aux députés : il n’y a pas de raison de censurer, puisque les débats sont ouverts et que le gouvernement ne passera pas en force – à chacun, donc, de faire valoir ses arguments, ses amendements, et de convaincre. L’argument a porté, semble-t-il, dans une partie de la gauche, puisque dans la foulée de cette déclaration, le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, déclarait qu’il serait « un peu dur »  de censurer d’emblée alors que les débats n’ont pas encore commencé. 

Sans doute va-t-il négocier aujourd’hui avec les partis politiques qui vont se succéder à Matignon sur cette base d’un « donnant-donnant » : je m’engage à ne pas passer en force, engagez-vous à ne pas censurer.

Mais derrière cette décision du Premier ministre se cache peut-être une manœuvre bien plus tactique : celle de faire porter la responsabilité de l’échec des débats aux parlementaires eux-mêmes. 

Dans la situation politique actuelle en effet, l'expérience a montré que les chances de faire adopter un budget sans recours au 49-3 sont plus que minces, dans une Assemblée nationale divisée en trois blocs aux positions – pour l’instant du moins – parfaitement irréconciliables. Le RN ne votera pas un budget qui ne contienne pas un durcissement des mesures sur l’immigration, que refusera la gauche. La gauche n’acceptera pas un budget de rigueur et sans mesures sociales, que refusera le bloc central. Le bloc central ne votera pas un budget qui rompe avec la « politique de l’offre », ce que pourraient refuser et la gauche, et le RN. La situation est, et restera, bloquée, et sans recours au 49-3, comme ont dû s’y résigner, successivement, Michel Barnier et François Bayrou, il n’y aura sans doute pas de budget voté à la fin de l’année. Sauf à penser que le bloc central finisse par se résigner à passer un accord avec le RN – ce qui ne semble pas totalement inimaginable au vu des tractations qui ont eu lieu au moment de l’élection du Bureau de l’Assemblée nationale (lire article ci-contre). 

Le Premier ministre espère donc, sans doute, pouvoir affirmer au bout des débats que l’enlisement de ceux-ci et l’impossibilité de voter un budget relève de la responsabilité des seuls parlementaires, alors qu’il leur avait tendu la main et fait appel à leur sens des responsabilités. 

Mais après ? Quelle option restera-t-il si le budget ne peut être voté ? Il ne restera plus que le choix de dissoudre à nouveau l’Assemblée – sans certitude aucune que des élections anticipées donnent lieu à une Assemblée moins fragmentée – ou … d’utiliser quand même le 49-3, ce qui apparaîtrait comme un énormer risque politique, du fait du reniement d’une promesse qui fera, dès demain, la une de toute la presse. 

Le Premier ministre a, semble-t-il, le goût du risque. 

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