Le rejet du projet de loi immigration par les députés ouvre une crise politique
Par Franck Lemarc
Les sourires radieux affichés en même temps par Mathilde Panot (La France insoumise) et Marine Le Pen (RN), hier en fin d’après-midi, en disent plus qu’un long discours sur le caractère baroque de la situation politique.
En votant pour la motion de rejet du projet de loi Immigration et intégration porté par Gérald Darmanin, les oppositions de gauche, de droite et d’extrême droite ont uni leurs voix pour des raisons totalement inverses. Mathilde Panot, au sortir de la séance, se réjouissait que ce vote « ait évité au pays 15 jours de propos racistes et xénophobes à l’Assemblée nationale », tandis que Marine Le Pen, au même moment, estimait être parvenue à rejeter un texte « qui aurait permis une nouvelle vague migratoire ».
Décision de dernière minute
Rappelons que ce projet de loi avait eu, auparavant, un parcours législatif déjà chaotique : déposé par le gouvernement au Sénat, il a d’abord été presque entièrement récrit par celui-ci, dans le sens d’un considérable durcissement. Le Sénat avait notamment imposé le rétablissement des quotas d’immigration et du délit de séjour irrégulier, la suppression de l’aide médicale d’État, l’allongement à cinq années de la durée de séjour régulier permettant de toucher les prestations sociales, ou encore le durcissement des conditions du regroupement familial.
Le texte est ensuite passé en commission des lois de l’Assemblée nationale, la semaine du 27 novembre, où l’essentiel des mesures ajoutées par les sénateurs a été annulé, pour revenir à un texte assez proche de la version initiale. Le texte est arrivé en séance publique avec plus de 2 500 amendements en discussion, et celle-ci aurait dû se dérouler entre hier et le 21 décembre.
Mais deux groupes ont déposé, hier, une « motion de rejet », qui permet, si elle est adoptée, de mettre fin sans débat à l’examen du texte. Le règlement de l’Assemblée nationale ne permet de voter que sur une seule motion de rejet par texte ; dans le cas où plusieurs motions ont été déposé, une seule d’entre elle est donc tirée au sort. C’est la motion déposée par le groupe écologiste qui l’a emporté et qui a donc été soumise au vote des députés. S’il ne faisait aucun doute que toute la gauche (LFI, PCF, écologistes et PS) allait voter cette motion, par opposition à un texte jugé « discriminatoire », « stigmatisant » et même « abject », il a fallu attendre les derniers instants avant le vote pour connaître la position des groupes LR et RN. Les deux groupes s’étaient chacun réunis, quelques minutes auparavant, pour arrêter une position. Au moment où Edwige Diaz, pour le RN, et Olivier Marleix, pour LR, ont annoncé qu’ils voteraient la motion de rejet, l’arithmétique parlementaire rendait presque inéluctable le rejet de ce texte. Presque – parce qu’au sein de chaque groupe, des décisions individuelles pouvaient encore changer la donne.
Un vote serré
C’est ce qui a failli se passer, puisque la motion n’a finalement été adoptée que d’extrême justesse : la majorité absolue était à 268 voix, et la motion de rejet en a obtenu 270.
D’un strict point de vue comptable, si les députés avaient tous respecté les consignes de vote de leur groupe, la victoire de la motion de rejet aurait dû être bien plus large : les quatre groupes opposés à la motion de rejet (Renaissance, MoDem, Horizons et Liot) représentent 272 députés ; en face, les 6 groupes ayant annoncé leur volonté de voter la motion (LFI, PCF, PS, écologistes, LR, RN) en comptent 301. Mais entre les absents et les députés qui ont choisi de voter contre l’avis de leur groupe, les choses ont été plus serrées.
Dans le groupe Renaissance, en particulier, 5 députés n’ont pas participé au vote, sans que l’on sache si cela relève d’un choix politique ou d’une absence indépendante de leur volonté. Toujours est-il que leur non-participation au vote a été déterminante : avec ces 5 voix, le résultat aurait été de 270 contre 270, ce qui aurait empêché l’adoption de la motion.
C’est au sein du groupe LR que les divisions ont été les plus apparentes : seuls 40 des 62 membres du groupe ont voté selon les directives de leur président Olivier Marleix, 11 se sont abstenus, 2 ont voté contre et dix étaient absents.
À gauche, seule l’ancienne ministre de François Hollande Delphine Batho a assumé un vote contre la motion de rejet, pour ne pas « mêler (sa) voix à celles du Rassemblement national ».
Impasse
Juste après l’annonce du résultat, on a vu un Gérald Darmanin crispé, tentant de faire bonne figure en lançant du bout des lèvres un « Bien joué ! » à la gauche, avant de quitter l’Hémicycle pour se rendre directement à l’Élysée, où il a proposé sa démission à Emmanuel Macron, qui l’a refusée. Le ministre de l’Intérieur a par la suite expliqué, sur le plateau de TF1, que le chef de l’État lui avait demandé, à lui et à la Première ministre, de « proposer des solutions pour lever les blocages ». Le ministre a dénoncé à cette occasion « l’incohérence absolue » des oppositions et le choix de « la politique du pire » par ses anciens amis de LR.
Trois options étaient possibles pour le gouvernement : abandon du texte (la moins probable), retour du texte au Sénat pour une nouvelle navette ou convocation d’une commission mixte paritaire (7 députés et 7 sénateurs) chargée de trouver un compromis. On apprend ce matin à la sortie du conseil des ministres que c'est la troisième option qui a été retenue par le gouvernement. L’aboutissement de cette séquence pourrait se retourner contre la gauche, qui n’avait peut-être pas raison d’afficher hier un tel triomphalisme : le texte risque d'être à nouveau durci dans le cadre de la commission mixte paritaire – la droite étant forcément majoritaire dans celle-ci. Le gouvernement souhaite, selon le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, que cette commission mixte paritaire se réunisse « au plus vite ».
Au final, cet épisode marque certainement le début d’une crise politique profonde pour l’exécutif. Alors qu’au moment de la réforme des retraites, au printemps dernier, le gouvernement avait, de justesse, évité l’adoption d’une motion de censure, les oppositions ont, cette fois, démontré qu’il est possible de réunir une majorité à l’Assemblée contre le gouvernement. Maintenant que le pas a été franchi, cet épisode pourrait changer la donne lors d’une future motion de censure par exemple.
Le gouvernement a donc toutes les raisons de craindre une paralysie législative qui pourrait durer jusqu’en 2027, sans avoir réellement d’autre option à mettre sur la table. Mis à part une dissolution qui, dans les circonstances actuelles, s’apparenterait à un suicide politique pour le parti présidentiel, et qui ne profiterait qu’au Rassemblement national.
Une situation qui ressemble fort à une impasse.
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