Le gouvernement censuré : et maintenant ?
Par Franck Lemarc
Sans surprise, les voix du NFP et du RN se sont additionnées, dès la première motion de censure débattue hier dans l’Hémicycle. Quasiment aucune voix n’a manqué, puisque la motion de censure a recueilli 331 voix sur les 332 que représentent les deux coalitions – LFI, PCF, PS, écologistes, d’un côté, RN et ciottistes de l’autre.
Les orateurs qui se sont succédé à la tribune, avant le vote, ont longuement insisté sur le fait qu’il ne s’agissait nullement d’une « alliance » entre la gauche et l’extrême droite mais d’un simple vote de circonstance : Boris Vallaud, pour le PS, a de nouveau fait mention « les viles obsessions du RN » , tandis que Marine Le Pen qualifiait LFI de « Che guevaristes de carnaval » , expliquant que son parti s’était résolu à « utiliser la motion de censure de LFI comme un outil ».
Finalement, les appels à la « responsabilité » lancés par les orateurs du « socle commun » et par le Premier ministre lui-même, dans une allocution aux allures de discours d’adieu, n’auront rien changé : vers 20 h 30, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, le visage fermé, annonçait l’adoption de la motion de censure, impliquant le rejet du projet de loi de finances de la Sécurité sociale et la démission du gouvernement.
Quel Premier ministre ?
C’est donc le retour à la case départ de l’été dernier, avec un gouvernement réduit à la gestion des affaires courantes et la relance des consultations frénétiques pour trouver un Premier ministre. La tâche étant sans doute un peu plus difficile encore : l’exemple du sort réservé à Michel Barnier pourrait décourager plus d’un candidat de tenter l’expérience.
Il y a de fortes chances pour que le chef de l’État – qui s’exprimera ce soir à la télévision – nomme un Premier ministre beaucoup plus rapidement que l’été dernier. Les échéances ne sont en effet pas les mêmes, dans la mesure où se pose l’impérieuse obligation de faire adopter un budget, même provisoire, avant le 31 décembre. Il va donc falloir trouver très rapidement l’oiseau rare susceptible d’être accepté à la fois par le bloc central et par le RN. L’hypothèse du choix d’un Premier ministre du NFP n’est apparemment pas envisagée – même dans la forme prônée désormais par le Parti socialiste, à savoir un Premier ministre de gauche à la tête d’un gouvernement de coalition incluant Les Républicains et les macronistes.
Incertitudes sur la « loi spéciale »
Même si un nouveau gouvernement était nommé rapidement, il paraît impossible qu’une véritable loi de finances puisse être débattue et adoptée avant le 31 décembre. Il se pose, d’ailleurs, la question de savoir si les deux textes budgétaires qui étaient en cours de discussion (PLF et PLFSS) vont, ou non, pouvoir être remis en débat par le futur gouvernement. S’il semblait clair, ces derniers jours, que la chute du gouvernement faisait tomber automatiquement ces textes, certains constitutionnalistes et spécialistes du droit public sont, aujourd’hui, moins affirmatifs, et envisagent la possibilité d’une reprise de la navette après la nomination du gouvernement.
Quant à la possibilité de voter une « loi spéciale » permettant à l’État de percevoir des impôts et de faire des dépenses à partir du 1er janvier, les choses ne sont guère plus claires. Le périmètre de cette loi spéciale, très rarement utilisée jusqu’à présent, reste flou, et les experts ne sont pas d’accord entre eux sur ce qu’il est possible d’y faire figurer. Le débat s’est notamment cristallisé sur la question des impôts. Dans la mesure où la loi spéciale, en théorie, se contente de reconduire à l’identique le budget de l’année précédente, le gouvernement a largement communiqué sur le fait que cela conduirait à une augmentation mécanique des impôts pour des millions de ménages (« 17 millions de contribuables » , selon le ministre de l’Économie Antoine Armand).
Pourquoi ? Parce que le projet de budget pour 2025 prévoyait une indexation sur l’inflation des barèmes de l’impôt sur le revenu (+ 2 %). Sans indexation, les barèmes resteront ceux de l’an dernier, alors que les salaires ont augmenté cette année. De nombreux ménages payeraient donc des impôts à partir de revenus en hausse, mais sur des barèmes non actualisés… d’où l’augmentation « mécanique ».
Plusieurs voix se sont élevées ces derniers jours, du côté du NFP, du RN ou même du rapporteur général du budget, le centriste Charles de Courson, pour dire que ce n’est pas un problème, puisqu’il suffirait d’ajouter un article supplémentaire dans la « loi spéciale » pour indexer le barème des impôts.
Est-ce si simple ? Pas si sûr. Là encore, les experts en finances publiques se divisent, dans la mesure où peu de textes et encore moins de jurisprudences existent sur ce sujet. La Lolf (loi organique relative aux lois de finances), dispose à l’article 45 : la loi spéciale autorise le gouvernement « à percevoir les impôts existants ». « Existants » signifie-t-il « sans modification » ? Le site Vie-publique.fr est, lui, plus tranché : il explique que la loi spéciale ne permet de percevoir des impôts que « selon les barèmes en vigueur dans la loi de finances de l’année passée ».
Quoi qu’il en soit, les partisans de la censure arguent également que de toute façon, la loi spéciale n’est que provisoire, puisqu’elle ne sert qu’à faire la jonction avant le vote d’une véritable loi de finances. Les impôts sur le revenu étant calculés au printemps, il reste donc quelques mois pour s’accorder sur un budget.
Il reste que dans ce grand flou, il serait utile que les choses soient éclaircies – comme elles l’avaient été l’été dernier sur la question des pouvoirs d’un gouvernement démissionnaire – par une note ou un avis d’une instance qui fasse autorité, que ce soit le secrétariat général du gouvernement, le Haut Conseil des finances publiques, voire le Conseil d’État.
Les collectivités locales « dans le brouillard »
Cette situation inédite revêt un caractère particulièrement problématique pour les collectivités, qui vont se retrouver en grande difficulté pour préparer leurs budgets d’ici au 15 avril. Normalement, fin décembre, les choses sont claires, la loi de finances est publiée et les collectivités savent ce qui les attend – même quand les nouvelles sont très mauvaises, comme cela aurait été le cas si le projet de budget du gouvernement Barnier était allé au bout. Avec le vote de la loi spéciale au 1er janvier, le budget de l’an dernier sera reconduit, donc sans les coupes budgétaires prévues par le gouvernement Barnier. Mais pour combien de temps ? Si une loi de finances est finalement votée en janvier, février, voire mars, comment feront les collectivités pour voter leurs budgets ? Comme l’expliquait hier le président de l’AMF, David Lisnard, à l’AFP, « nous préparons nos budgets dans un contexte totalement chaotique, et par prudence comptable, nous sommes obligés de retenir les hypothèses budgétaires les plus défavorables. » Auprès de la même agence, André Laignel, n° 2 de l’association, prévenait hier : « Il est clair que le brouillard où nous sommes risque de peser très lourdement sur les décisions d'investissement des collectivités. »
On entre donc à nouveau dans une période d’attente et d’incertitudes, avec un Parlement suspendu, un gouvernement démissionnaire, des projets de loi à l’avenir incertain, et une visibilité sur l’avenir à peu près égale à zéro.
Première conséquence concrète de la fin du gouvernement : la parution, ce matin, d’une édition retardée et particulièrement volumineuse du Journal officiel (plus de 300 décrets et arrêtés), laissant à penser que le Premier ministre et les membres du gouvernement ont dû passer une partie de la nuit à signer des textes pour qu’ils paraissent avant la démission officielle du gouvernement, à 10 heures. Parmi ces décrets passés in extremis, l’un est d’une particulière importance, à un mois du début de la campagne de recensement 2025 : c’est le texte, très attendu, qui pérennise la possibilité pour les communes et EPCI de recourir à un opérateur privé pour réaliser les opérations de recensement. Maire info reviendra en détail sur ce texte dans son édition de demain.
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