Finances locales : une audition de Christophe Béchu particulièrement riche en informationsÂ
Par Franck Lemarc
Deux salles, deux ambiances. Après une séance de questions au gouvernement particulièrement houleuse, mercredi dernier, l’audition du ministre par la commission des lois s’est déroulée dans un climat apaisé, permettant aux sénateurs de poser des questions très précises et au ministre d’y répondre posément. Avec, à la clé, de nombreuses informations nouvelles.
Premier débat houleux
Lors de la séance de questions au gouvernement, face à l’hostilité de l’opposition, le ministre s’était montré assez fermé, voire cassant. Sur les contrats de Cahors, il dénonçait « l’irresponsabilité » de l’opposition, et expliquait, sous les huées, que la réintroduction de ces contrats, en catimini et par voie de 49-3, dans le PLF, était une façon de « susciter de nouveau le dialogue ».
La ministre chargée des Collectivités territoriales, Caroline Cayeux, a également suscité un certain émoi lors de cette séance, en semblant ouvrir la porte à la réforme « très ambitieuse » proposée par la Cour des comptes sur la DGF. Réforme qui, rappelons-le, consisterait à flécher la DGF sur les seules intercommunalités, charge à elles de les redistribuer aux communes.
Contrats de confiance
Tous ces points, et bien d’autres, ont été abordés à nouveau en commission des lois, le même jour, les protestations et le chahut en moins. Tour à tour, les membres de la commission ont pris la parole pour poser leurs questions et, bien souvent, vivement critiquer les dispositifs proposés par le gouvernement, avant que le ministre reprenne longuement la parole pour répondre, de façon très argumentée, à chacun.
Premier point, les contrats de Cahors, rebaptisés « contrats de confiance ». Christophe Béchu a clairement indiqué que depuis la prise de fonctions du gouvernement, il y a un désaccord entre son ministère et Bercy, et que lui-même a plaidé pour que les nouveaux contrats permettant de limiter la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités ne soient plus « individuels », comme c’était le cas pour les contrats de Cahors, mais conclus par strates. Il a surtout confirmé que le dispositif prévu dans le PLF sorti de l’Assemblée nationale était « provisoire », voire « théorique », et qu’il attendait du Sénat des propositions d’aménagements : « Nous sommes ouverts à trouver une manière d’être collectivement intelligents », indiquant que par exemple des évolutions peuvent se dessiner sur la question des sanctions.
Il faut donc attendre à présent ce qui va sortir du débat au Sénat sur ce point.
Fonds vert
Plusieurs sénateurs ont interrogé le ministre sur le « fonds vert », finalement porté à 2 milliards d’euros, et qui sera destiné à financer les projets des communes liés, d’une façon ou d’une autre, à l’environnement. Les sénateurs – comme les maires – se demandent quelle sera la porte d’entrée de ces financements, quels projets seront éligibles, quel délai sera laissé aux élus pour déposer leurs dossiers. Alain Richard (Val-d’Oise) a demandé si une « circulaire guide » allait paraître pour aider les élus à s’y retrouver.
Christophe Béchu a répondu positivement : « J’ai vu hier tous les préfets de France pour esquisser avec eux les contours de cette circulaire. » Si le gouvernement souhaite un maximum de « souplesse » pour ce dispositif, il va néanmoins « fixer des règles ». Il a annoncé qu’il y aurait « 14 portes d’entrée » à ce fonds vert, c’est-à-dire 14 thématiques ouvrant l’éligibilité au fonds. « Ce sera très simple. Vous avez un sujet recul du trait de côte ? Vous êtes éligible. Vous avez un sujet rénovation de l’éclairage public ? Vous êtes éligible. » La répartition des fonds, a précisé l’ancien maire d’Angers, ne se fera pas en revanche « sur la base des thèmes mais sur la base des territoires », ce qui a son importance.
Le ministre a également évoqué les « budgets verts » qui seront mis en place à partir de l’année prochaine. Mais ce qu’est un budget vert, « ce n’est pas Bercy qui va le définir, ce sont les associations d’élus », a-t-il affirmé, rappelant que les trois associations nationales d’élus ont été sollicitées sur ce point.
Filet de sécurité et amortisseur
Plusieurs sénateurs ont fustigé le dispositif du filet de sécurité face à la hausse des prix de l’énergie, qui serait, en l’état, ouvert aux communes et intercommunalités qui auront perdu plus de 25 % de capacité d’autofinancement. Trop compliqué, ont répété les sénateurs, et surtout beaucoup trop restrictif. Des chiffres stupéfiants ont été cités, venant des départements où la DGFiP a fait des simulations : dans la Loire, a rapporté la sénatrice Cécile Cukierman, « 13 communes sur 323 sont éligibles ! ». Dans le Bas-Rhin, selon André Reichardt, 21 sur 500.
Christophe Béchu a jugé ces chiffres « édifiants » et s’est engagé à « les faire remonter ». Il a convenu que le système n’est pas satisfaisant : si le gouvernement a budgeté plus de 400 millions d’euros pour ce dispositif, c’est en estimant qu’il bénéficierait à plus de 20 000 communes, a-t-il expliqué. « Si ces sommes ne devaient bénéficier qu’à 10 ou 15 % des collectivités, ce serait aberrant ». Il s’est donc dit très ouvert à des évolutions du dispositif, notamment en diminuant le taux de baisse de la capacité d’autofinancement. « À 25 %, la porte est manifestement trop étroite. Je pense même qu’à 20 % elle le serait toujours. »
Concernant « l’amortisseur électricité » annoncé par la Première ministre, plusieurs sénateurs ont souligné que « n’étant pas polytechniciens », à la différence d’Élisabeth Borne, ils n’y comprenaient « strictement rien ». Le ministre a donné quelques explications, reconnaissant lui-même que « sans paperboard » il ne pouvait guère aller plus loin. Il reste à espérer que, comme l’ont réclamé les sénateurs, un document explicatif clair soit fourni aux élus.
DGF et CVAE
Sur la question des dotations et de la fiscalité locale, le sénateur de la Manche, Philippe Bas, a fait le même raisonnement qu’André Laignel, la veille, avait fait lors de la conférence de presse de l’AMF (lire Maire info du 9 novembre) : certes, le gouvernement a fait un geste « non négligeable » sur la DGF, cette année, mais ce geste est très loin de compenser « l’érosion continue de la DGF depuis dix ans ». Le sénateur en a profité pour demander au gouvernement des chiffres « précis et consolidés sur l’évolution du pouvoir d’achat de la DGF » à l’issue de cette période.
Françoise Gatel (Ille-et-Vilaine) a également demandé au ministre s’il partageait l’ouverture de sa collègue Caroline Cayeux sur les propositions de la Cour des comptes.
Sur ce dernier point, Christophe Béchu a été clair : il n’est pas question de suivre la proposition de la Cour des comptes. « Il faut défendre l’intercommunalité, mais ce ne serait pas la défendre que de lui transférer la DGF. Ce serait en faire une cible pour toutes les communes qui estiment qu’elle a déjà pris trop de poids ». Fin du débat.
Le ministre a également longuement défendu, face aux interrogations des sénateurs, la suppression de la CVAE décidée par le gouvernement. En contestant, notamment, que cela représente une attaque contre « l’autonomie fiscale des collectivités » : « Les élus n’ont pas de pouvoir de taux sur la CVAE. Il n’y a donc pas de sujet d’autonomie ». Pour lui, le remplacement de la CVAE par une fraction de TVA sera gagnant pour les collectivités, parce que la TVA « est plus dynamique » que la CVAE, « a baissé pour la dernière fois en 2009 » et « augmente plus vite que la CVAE ».
Communes nouvelles
Christophe Béchu a également été interrogé sur les communes nouvelles, Françoise Gatel regrettant que le mouvement de création de communes nouvelles soit à l’arrêt, du fait notamment que désormais, « quand vous créez une commune nouvelle, vous perdez de l’argent. » Elle a demandé au ministre si le gouvernement allait « afficher de meilleurs intentions » à l’avenir.
L’ancien maire d’Angers a affirmé qu’il entendait « faire de la publicité » pour le dispositif très novateur de la commune-communauté, une disposition qui a malheureusement été « éclipsée par le covid-19 ». Il a également indiqué que dans le PLF issu du 49-3, un amendement du groupe Liot permettant de « maintenir la DPEL [dotation élu local] en cas de création de communes nouvelles » avait été conservé par le gouvernement.
Il est évident que parmi toutes les assertions du ministre, certaines seront partagées par les associations d’élus et d’autres beaucoup moins. Le congrès de l’AMF, qui se tient la semaine prochaine, et en particulier la plénière sur les finances locales qui aura lieu jeudi 24 au matin, seront l’occasion de poursuivre le débat.
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