Crise politique : blocage à tous les étages
Par Franck Lemarc
Trois informations sont à retenir au sortir de la réunion de trois heures qui a eu lieu hier à l’Élysée : un Premier ministre sera nommé « sous 48 heures » ; le président de la République souhaite ne pas dissoudre à nouveau l’Assemblée l’année prochaine ; et les partis réunis hier n’ont aucune intention de gouverner ensemble.
« Pas les mêmes valeurs »
Dans son allocution de la semaine dernière, Emmanuel Macron avait dit son intention de former un « arc de gouvernement » incluant les partis du Nouveau Front populaire (NFP) sans la France insoumise, le « bloc central » (Renaissance, MoDem, Horizons) et Les Républicains. Avec l’idée – qui a sa préférence depuis les résultats des élections législatives anticipées – d’un gouvernement d’union nationale, qui pourrait être un gage de stabilité dans une Assemblée sans majorité.
Cette option semblait bien peu probable avant la réunion d’hier, elle est devenue impossible après. Les divergences de fond sont tellement profondes entre les différentes forces politiques qu’un tel gouvernement ne pourra voir le jour, comme l’ont confirmé, au sortir de la réunion, les porte-parole de la gauche comme de la droite : impossible d’envisager « un contrat de gouvernement avec des gens avec lesquels on ne partage pas les mêmes valeurs », selon le LR Laurent Wauquiez ; « cela n’existe pas de mettre dans un même gouvernement des gens qui ne sont pas d’accord », pour l’écologiste Cyrielle Chatelain. Fermez le ban, il n’y aura pas de gouvernement d’union nationale.
Il reste alors une deuxième option, timidement soutenue par plusieurs participants : celle d’un accord réciproque entre le futur gouvernement et les partis. Le gouvernement s’engagerait à ne pas faire usage de l’article 49-3 et, en échange, les partis s’engageraient à ne pas voter de motion de censure. Si un tel accord était établi, ce serait en effet un gage de stabilité, puisque les seuls partis qui resteraient en dehors de l’accord – LFI et le RN – ne disposent pas à eux deux de suffisamment de députés pour obtenir la majorité absolue. Un accord de « non-censure » neutraliserait donc le RN et diminuerait considérablement son pouvoir de nuisance, ce qui semble être l’objectif principal d’Emmanuel Macron, qui ne pardonne pas au parti de Marine Le Pen d’avoir fait tomber le gouvernement Barnier malgré les très nombreuses concessions que celui-ci a acceptées.
Vœux pieux
Reste à savoir si un tel accord a un sens, et surtout s’il est applicable, au vu des divergences majeures qui existent entre les différents camps qui divisent l’Assemblée nationale. Dès le début de l’année, il faudra se mettre d’accord sur un budget et, au vu des débats de ces dernières semaines, on ne voit guère comment une loi de finances pourra être adoptée sans usage du 49-3. Le bloc central n’a en effet aucune intention de reculer sur les fondamentaux économiques du macronisme (la politique de l’offre). Cette politique est farouchement combattue par le NFP, qui souhaite des hausses d’impôts pour augmenter les recettes de l’État… quand les hausses d’impôts sont « une ligne rouge » à la fois pour les LR et pour le RN. Sans compter la question de l’abrogation de la réforme des retraites, totem pour le NFP et le RN, tabou pour les macronistes et la droite…
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il sera donc plus que difficile d’aboutir à un vote majoritaire sur le budget. Sans possibilité de recourir au 49-3, le gouvernement pourrait alors n’avoir d’autres options que de prendre un budget par ordonnance, au terme d’une nouvelle période de 70 jours de discussion budgétaire. Dans ce cas, les ordonnances budgétaires n'étant pas soumises à l'approbation du Parlement, en s’en tenant à un engagement de « non-censure », les partis d’opposition se couperaient eux-mêmes les ailes, se privant du seul moyen qu’ils auraient alors de s’opposer aux ordonnances en déposant une motion de censure spontanée.
On pourrait naturellement envisager que les partis – notamment ceux du NFP – renoncent à certains de leurs fondamentaux et fassent bouger leurs fameuses « lignes rouges ». Sauf que ce serait, pour eux, l’assurance d’ouvrir un boulevard au RN et à LFI, qui pourraient alors y gagner une image de seuls partis fidèles à leurs convictions et leurs électeurs.
La réunion d’hier, en présence du chef de l’État et à l’Élysée, sera « la dernière », a précisé Emmanuel Macron. Dès la nomination du Premier ministre, qui devrait donc intervenir d’ici demain soir, ce sera celui-ci qui sera chargé de discuter avec les partis avant la formation d’un gouvernement. Avec, finalement, deux options seulement : réitérer l’expérience Barnier (gouvernement bloc central et LR), avec le risque de connaître assez rapidement le même sort. Ou donner un coup de barre à gauche, en donnant des gages à celle-ci sur le plan économique et budgétaire – ce qui se heurtera, à l’Assemblée, à l’opposition des LR, du RN et sans doute d’une bonne partie du « bloc central ».
Dans ces conditions, il semble bien que la « volonté » du chef de l’État de ne pas dissoudre l’Assemblée nationale avant 2027 – volonté qui « ne vaut pas engagement », a prudemment précisé son entourage dans la journée d’hier – soit un pur vœu pieux.
L’AMF demande de la « stabilité »
Au milieu de ce « chaos », le Bureau de l'AMF, réuni hier, s'est inquiété d’un État « condamné à l’impuissance publique » par une crise institutionnelle « dont la responsabilité revient largement au président de la République », selon un communiqué de l'association « C’est de nouveau sur les épaules des maires, derniers élus ayant la confiance de la majorité des Français, que repose la charge de maintenir la cohésion nationale et d’assurer la pérennité des services publics du quotidien », souligne l’AMF. Mais les collectivités ont besoin de « visibilité et de constance pour construire leurs budgets ». Ce qui ne va pas être simple : les communes doivent bâtir leur budget d’ici le mois de mars, et rien ne dit qu’une nouvelle loi de finances aura été votée d’ici là.
L’association appelle « l’ensemble des forces politiques à faire de la question des collectivités locales un levier de redressement pour sortir du tumulte actuel ». Elle estime que seule « une nouvelle décentralisation » pourrait « remettre le pays sur le chemin de la stabilité, de l’efficacité et du progrès » : « Face à un pouvoir contesté et empêché, seule la proximité est gage de responsabilité, de confiance et de capacité d’agir. »
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