Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 22 juillet 2024
Gouvernement

Ce que peut (ou ne peut pas) faire un gouvernement chargé des affaires courantes

Depuis le mardi 17 juillet, le gouvernement de Gabriel Attal est démissionnaire. En l'absence de nomination d'un nouveau Premier ministre, il reste toutefois chargé d'expédier les affaires courantes. Une note du Secrétariat général du gouvernement est venue préciser ce que recouvre cette notion. 

Par Franck Lemarc

« Il est mis fin, sur la présentation de la démission du Gouvernement, aux fonctions de M. Gabriel Attal, Premier ministre, et des autres membres du gouvernement. ». Ce décret, signé de la main du chef de l’État le 16 juillet, est paru le lendemain au Journal officiel. C’est à partir du moment où ce décret a été publié qu’a débuté officiellement la période dite « d’expédition des affaires courantes ». 

Cette période, explique le Secrétariat général du gouvernement (SGG) dans une note élaborée début juillet, ne prendra fin qu’au moment où un nouveau gouvernement sera nommé, c’est-à-dire, plus précisément, au moment où sera publié le décret portant nomination des membres du gouvernement. 

Aucune disposition constitutionnelle ne fixe de durée maximale à cette période de gestion des affaires courantes. Le SGG remarque que pendant la Ve République, elles n’ont jamais excédé neuf jours, mais ont parfois duré plus d’un mois sous la IVe République. En théorie, toutefois, rien n’empêche d’un point de vue constitutionnel que cette période puisse durer plusieurs mois. 

Mesures réglementaires

Le SGG explique que sous le terme « affaires courantes »  se cachent en réalité deux « sous-ensembles » : les affaires ordinaires et les affaires urgentes. Ces deux sous-ensembles forment « l’ensemble des décisions dont on peut raisonnablement estimer que n’importe quel gouvernement les aurait prises, parce qu’elles sont entièrement dictées par une forme d’évidence ou par les circonstances ». Autrement dit, un gouvernement en affaires courantes ne peut prendre aucune initiative politique de son propre chef : s’il doit en prendre, elles doivent être dictées par une « impérieuse nécessité ». 

Mais le SGG note que, logiquement, « plus les périodes d’expédition des affaires courantes ont été longues, plus (cette notion) a été appréciée de façon extensive ». Lorsqu’un gouvernement démissionnaire ne reste aux affaires que quelques jours, comme cela a été le cas pendant toute la Ve République, il n’a guère que quelques décisions administratives à prendre. Mais si la situation se prolonge plusieurs semaines, voire plusieurs mois, il devient tôt ou tard obligatoire de prendre, à tout le moins, des décisions réglementaires (décrets ou arrêtés), pour « assurer la continuité de l’État », « l’édiction de mesures réglementaires ne pouvant être indéfiniment retardée ». 

Le SGG juge donc que des mesures  réglementaires peuvent être prises pour l’application d’une loi ou la transposition d’une directive, dans la mesure toutefois où leur rédaction « ne laisse qu’une faible marge d’appréciation au pouvoir réglementaire ». 

Il est aussi possible pendant cette période de prendre des mesures réglementaires « destinées à prolonger l’application à l’identique d’un régime qui viendrait à expiration dans des conditions de nature à créer un vide juridique ». Ce cas va se poser très concrètement dans les jours à venir : fin juin, le Premier ministre devait prendre un décret pour fixer les nouvelles règles d’indemnisation du chômage, mais il a fait le choix de surseoir à ce choix et s’est contenté de prolonger par décret les règles actuelles jusqu’au 31 juillet (lire Maire info du 2 juillet). Le 1er août, donc, si rien n’était fait, il n’y aurait plus de texte réglementant l’indemnisation des chômeurs, ce qui conduirait les Assedic à suspendre l’indemnisation. Dans la logique des « affaires courantes », si aucun gouvernement n’est nommé d’ici là, le gouvernement démissionnaire pourrait prendre un nouveau décret pour prolonger le statu quo de quelques semaines ou quelques mois – mais en aucun cas prendre un décret pour fixer de nouvelles règles d’indemnisation.

Un gouvernement démissionnaire a également la possibilité de prendre des décrets d’ordre individuel (nominations). Mais le SGG note que ces nominations ne doivent pas être « politiquement sensibles », comme par exemple « des nominations de directeurs d’administration centrale ». En cas de litige, il restera à l’appréciation du Conseil d’État de juger si une nomination est, ou non, « politiquement sensible »  – notion hautement subjective. Ainsi, le 18 juillet (après la démission donc), le ministre de l’Intérieur a signé deux arrêtés portant nomination d’un contrôleur général et d’une inspectrice générale des services de la police nationale. Nomination « politiquement sensible »  ou pas ? 

Dans quel cas un gouvernement démissionnaire peut légiférer ? 

Reste la question des textes législatifs. Un gouvernement démissionnaire peut-il, ou non, déposer des projets de loi devant le Parlement ? Cela pose, évidemment, un problème majeur : l’équilibre des pouvoirs tel qu’il a été pensé dans la Constitution suppose que le Parlement puisse contrôle l’action du gouvernement avec une arme lourde : la motion de censure. Or une telle option est impossible en l’espèce : une motion de censure conduit à la démission du gouvernement, et il est impossible de faire démissionner un gouvernement démissionnaire. Corollaire de cette impossibilité : le gouvernement démissionnaire ne peut pas non plus demander l’application de l’article 49-3. Ces éléments rendent de fait quasiment impossible le dépôt d’un projet de loi dans cette période. 

Pour autant, le SGG juge qu’on ne peut « catégoriquement l’exclure », dans au moins deux cas spécifiques.

Premièrement, la « nécessité de mesure financières urgentes ». Typiquement, si la situation devait se prolonger jusqu’à l’automne, le gouvernement aurait tout de même obligation de déposer devant le Parlement un projet de loi de finances. Ou, s’il ne le faisait pas, il serait a minima dans l’obligation de « demander d'urgence (au Parlement) l'autorisation de percevoir les impôts pour pouvoir ouvrir par décret les crédits ». 

Deuxièmement, si pendant la période « d’affaires courantes »  le gouvernement se voyait dans l’obligation de décréter l’état d’urgence (après un attentat par exemple, comme ce fut le cas en 2015), il devrait, pour pouvoir prolonger l’état d’urgence au-delà de 12 jours, demander l’autorisation du Parlement, sous forme d’un projet de loi. 

Le SGG liste quelques autres cas qui pourraient justifier le dépôt d’un projet de loi par un gouvernement démissionnaire, comme la nécessité d’éviter « la caducité d’une ordonnance »  ou celle de réparer une inconstitutionnalité constatée par le Conseil constitutionnel. 

En conclusion, on peut retenir que rien ne s’oppose à ce que le gouvernement de Gabriel Attal se maintienne en place pendant plusieurs semaines – peut-être jusqu’à la fin des Jeux olympiques et paralympiques, c’est-à-dire au moins jusqu’au 8 septembre… voire plus tard. Il n’y aura certes pas de paralysie totale de l’État – l’administration continuera de fonctionner – mais aucune initiative politique ne pourra être prise par le gouvernement. 

Pendant cette période, le Parlement lui-même peut-il fonctionner et, en particulier, examiner des propositions de loi ? En théorie, rien ne l’empêche. Mais avec quels interlocuteurs ? Lorsqu’une proposition de loi est débattue devant l’Assemblée nationale, il est d'usage que des membres du gouvernement participent au débat. Or une grande partie des ministres et secrétaires d’État sont aujourd’hui… élus députés, et donc, on peut le supposer, dans l’impossibilité de siéger au banc des ministres. Les ministres non députés pourraient-ils les y remplacer, en cas de besoin ? Il paraît pour le moins compliqué, dans ces conditions, d'imaginer comment pourraient se dérouler d'éventuels débats parlementaires, tant qu’un nouveau gouvernement n'aura pas été nommé. 

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