Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 12 février 2024
Outre-mer

Gérald Darmanin annonce la fin du droit du sol à Mayotte et la mise en place d'un « rideau de fer » maritime

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé hier plusieurs mesures radicales pour répondre à la colère des habitants et des élus de Mayotte, dont la fin des visas territorialisés, une nouvelle opération de démantèlement des bidonvilles et, surtout, la fin du droit du sol dans ce département. 

Par Franck Lemarc

C’est tout un symbole de la détérioration de la situation : acclamé lors de sa précédente visite à Mayotte, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a cette fois été accueilli par les quolibets des membres du collectif Forces vives. Et tandis que le ministre, accompagné de la nouvelle ministre chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux, se rendait à la préfecture, des échauffourées éclataient entre manifestants et forces de l’ordre. 

Mais l’ambiance a rapidement changé au cours de la journée, parce que le ministre n’est pas arrivé les mains vides. À la veille de son arrivée, le collectif Forces vives, qui organise les blocages et la quasi-paralysie de l’île depuis le 22 janvier (lire Maire info de vendredi), avait prévenu par voie de communiqué : « Votre visite ne sera tolérée que si elle apporte des engagements concrets répondant à nos revendications », faute de quoi elle sera considérée comme « une provocation ». « Vos opérations coup de poing antérieures, bien que grandement médiatisées, n’ont pas réussi à endiguer le flot constant de la criminalité et de l’immigration illégale. Les efforts que vous citez, tels que le plan Shikandra et Wuambushu semblent dérisoires devant l’ampleur de la crise que nous vivons ».

Quelques heures après l’arrivée de Gérald Darmanin, les collectifs annonçaient la levée des barrages pour mercredi. Que s’est-il passé entretemps ?

Nombreuses mesures sur l’immigration

L’annonce la plus spectaculaire faite par le ministre de l’Intérieur concerne le droit du sol. « Nous allons prendre une décision radicale qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle, a-t-il annoncé dès sa descente d’avion. Il ne sera plus possible de devenir Français si on n’est pas soi-même enfant de parents français. (…) Il ne sera plus possible de mettre un enfant au monde ici et d’espérer devenir Français de cette façon. (…) C'est une mesure extrêmement forte, nette, radicale, qui évidemment sera circonscrite à l'archipel de Mayotte. » 

La deuxième annonce concerne les visas territorialisés – cette spécificité mahoraise dont les collectivités exigent la suppression depuis des semaines : à Mayotte, les titres de séjour délivrés aux immigrants illégaux ne sont valables qu’à Mayotte, ce qui signifie que ceux-ci sont, en quelque sorte, « coincés »  sur l’île et ne peuvent en sortir. Ces visas territorialisés « n’ont plus lieu d’être », a annoncé hier Gérald Darmanin, et leur suppression sera proposée dans un projet de loi sur Mayotte qui sera présenté « dans les semaines qui viennent ». 

La troisième mesure annoncée concerne le regroupement familial : les dispositions de la toute récente loi Immigration qui durcit les conditions de celui-ci à Mayotte (minimum de 3 ans de séjour dans le département « sous couvert d'un titre d'une durée de validité d'au moins cinq ans » ) seront mises en place de façon « immédiate ». Le ministre espère que cette mesure conduira à « diviser par cinq les regroupements familiaux ». 

Enfin, Gérald Darmanin a annoncé l’organisation d’une nouvelle opération de démantèlement des bidonvilles, qu’il a baptisée « Wambushu 2 », et la mise en place d’un « rideau de fer »  autour de l’île pour empêcher les arrivées de migrants, avec « le concours du ministère des Armées », afin « d’empêcher le passage des kwassa-kwassa et des filières d’immigration irrégulière ». « Très concrètement dans les prochains jours, vous verrez un changement radical », a promis le ministre aux Mahorais. 

Enfin, Gérald Darmanin a promis « l’évacuation totale du camp de Cavani »  – autre revendication pressante des collectifs. « Les personnes qui ont l’asile vont pouvoir être rapatriées dans l’Hexagone, tous ceux qui n’ont pas eu l’asile (…) doivent dans les heures qui viennent être assignés à résidence (…) pour une expulsion immédiate, notamment vers l’Afrique des Grands lacs ou Madagascar ». 

Le ministre a également annoncé plusieurs dispositions pour lutter contre la délinquance des jeunes, avec notamment le renforcement de la présence du GIGN. 

Aucune mesure sociale n’a, en revanche, été annoncée pour ce département qui est, et de très loin, le plus pauvre de France. 

Problèmes constitutionnels

L’annonce concernant le droit du sol fait évidemment couler beaucoup d’encre depuis hier, entre louanges de la droite (dont une partie réclame l’extension de cette mesure à tout le territoire) et colère de la gauche, qui rappelle que le droit du sol est une constante du droit français depuis le Code Napoléon, sauf sous le régime de Vichy. 

On ignore, à cette heure, quand sera présenté ce projet de réforme constitutionnelle. Une fenêtre de tir va se présenter avec le projet de réforme constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie, qui a déjà été présenté en Conseil des ministres et devrait être discuté rapidement au Parlement (lire Maire info du 1er février). Le gouvernement pourrait-il ajouter un chapitre à ce texte pour y intégrer sa proposition sur Mayotte ? 

On peut d’ailleurs relever une forme de contradiction dans les propos tenus hier par Gérald Darmanin, qui déclarait, à propos des visas territorialisés, que cette mesure n’a « plus lieu d’être »  parce que « Mayotte est un territoire commun à l’ensemble de la République ». Brandir, d’une main, l’unité de la République pour supprimer les visas territorialisés et, de l’autre, les spécificités mahoraises pour y modifier la Constitution, promet d’âpres débats dans les semaines qui viennent. 

Sur un plan pratique, rappelons qu’une réforme constitutionnelle, pour être adoptée, doit d’abord être votée par les deux chambres, avant d’être examinée par le Congrès, c’est-à-dire l’ensemble des députés et sénateurs réunis à Versailles, qui devront l'adopter à la majorité des trois cinquièmes. 

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