Gel du paiement des loyers par la gendarmerie : les maires dénoncent une « double peine »
Par Franck Lemarc
Edmond Jorda, maire de Sainte-Marie-la-Mer et président de l’association départementale des maires des Pyrénées-Orientales, n’en revient toujours pas : « On a constaté que dans 25 communes du département, les gendarmeries ne payaient pas leur loyer. Dans certains cas, ces impayés concernent l’année entière ! ». Pour la commune de Cabestany, la dette s’élève à « 266 388 euros » ; à Elne, à plus de 100 000 euros. « On parle de communes qui ont dû dépenser 2 ou 3 millions d’euros pour construire une gendarmerie, en s’endettant pour cela », fulmine le maire de Sainte-Marie-la-Mer. À Elne, par exemple, la commune doit payer plus de 150 000 euros par an au titre du remboursement de l’emprunt qu’elle a contracté pour bâtir la gendarmerie. Autant dire que le trou de 100 000 euros laissé par les impayés la met dans une situation extrêmement difficile.
« Burlesque »
« C’est la double peine », explique Edmond Jorda. L’État a déjà demandé aux communes de construire elles-mêmes des gendarmeries, manquant de moyens pour le faire lui-même, et alors qu’on est ici dans le cadre d’une mission strictement régalienne. Et a expliqué aux communes qu’elles se rembourseraient sur le montant des loyers. « C’était déjà un déport de la dette de l’État vers les communes, souligne le président de l’association départementale, l’État externalise sa dette vers les collectivités. Mais en ne payant pas les loyers, il obère une deuxième fois la trésorerie des collectivités ! ».
Et tout cela sans prévenir ni communiquer d’aucune façon. « Si le ministère de l’Intérieur a de telles difficultés de trésorerie, regrette Edmond Jorda, il aurait pu engager en amont un travail sérieux avec l’AMF, il aurait été possible d’identifier les communes les plus fragiles, de prioriser… Mais rien. »
Après l’alerte portée par les maires des Pyrénées-Orientales, les langues se sont déliées, et il est apparu que le même problème se pose dans de nombreux départements, dans l’Yonne, en Normandie… Le président de la communauté de communes de l’Aillantais (Yonne), Mahfoud Aomar, a par exemple appris à la presse avoir reçu, en septembre, un simple mail des Affaires immobilières de la gendarmerie nationale, avec comme objet « Mise en pause des loyers ». Une situation que Mahfoud Aomar juge « burlesque », rappelant non sans ironie que ce sont les gendarmes qui sont normalement chargés de procéder aux expulsions de ceux qui ne payent pas leur loyer.
L’essence ou les loyers
Le fait que ces informations soient soudain rendues publiques a obligé le ministère de l’Intérieur à sortir du bois… et à révéler à l’AFP qu’il s’agit en réalité d’un choix général de « prioriser pour les semaines à venir les dépenses liées aux activités opérationnelles », comme « le carburant ». Les loyers de septembre, octobre et novembre seront donc « reportés ». Et pourquoi le ministère de l’Intérieur en est-il à devoir choisir entre l’essence et le paiement de ses loyers ? Réponse du ministère : « des dépenses engagées en raison des événements en Nouvelle-Calédonie qui n’avaient pas été anticipées » et « le paiement de dépenses liées à la sécurisation des Jeux olympiques qui n’avaient pas été évaluées à leur juste niveau ».
Le ministère assure cependant qu’il ne s’agit bien que d’un report, et que les loyers seront réglés après l’ouverture de crédits « en décembre ». « Tout doit rentrer dans l’ordre au début de l’année prochaine ».
Des informations qui corroborent celles qu’a obtenues le président des maires des Pyrénées-Orientales, à qui « le préfet et le colonel de gendarmerie ont assuré que le rattrapage aurait lieu en décembre ou janvier », éventuellement assorti d’intérêts moratoires lorsque les communes ont dû ouvrir des lignes de trésorerie. Le maire de Sainte-Marie-la-Mer s’étonne tout de même, et le mot est faible, que « des communes qui ont déjà de gros problèmes de trésorerie soient maintenant obligées de gérer aussi ceux de la gendarmerie nationale ».
Le ministère de l’Intérieur a cependant assuré, hier, que le report ne concernait que « les bailleurs dont la trésorerie est en mesure de supporter ces retards ». Sauf qu’en reconnaissant qu’il est prêt à payer des intérêts moratoires, il reconnaît que les choses ne sont pas tout à fait aussi simples.
Au moment où, côté gouvernement, est jouée une petite musique lancinante sur « le rôle des collectivités dans le déficit de l’État », cette affaire devrait donner à réfléchir à Bercy sur le rôle de l’État dans le déficit des collectivités.
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