Fuites sur les réseaux d'eau : les sénateurs réclament au gouvernement, en vain, des aides aux collectivités
Par Franck Lemarc
Le débat, initié par le groupe Les Républicains, avait pour thème « Gestion de l'eau : bilan de l'été 2024 et perspective pour mieux gérer la ressource ». Les sénateurs de chaque groupe se sont succédé au micro pour donner leur vision de la situation, avec une assez étonnante unanimité, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique : hormis une divergence profonde sur la question de bassines et méga-bassines, quasiment tous les orateurs ont souligné la nécessité de revenir au principe qui a été à la base de la politique de l’eau depuis des décennies : l’eau (c’est-à-dire la redevance) paye l’eau.
« Trop d’eau ou pas assez d’eau »
Le constat est largement partagé que malgré une année 2024 plutôt favorable sur le plan de la pluviométrie, c’est la question de la pénurie d’eau qui va se poser de plus en plus souvent. Ou plutôt, comme l’a souligné un sénateur, d’une alternance de période de « trop d’eau ou pas assez d’eau ». Ces derniers mois, le pays a connu en même temps des inondations exceptionnelles dans certains départements, concomitamment à des épisodes de profond « stress hydrique » dans d’autres.
En conséquence, plusieurs politiques doivent être menées de front : économiser l’eau –notamment en évitant les pertes – , désimperméabiliser les surfaces pour permettre une meilleure absorption de l’eau dans les sols, apprendre à réutiliser l’eau, voire à la partager entre territoires. Plusieurs sénateurs ont mentionné à ce titre le projet Aqua domitia, qui permet de transporter de l’eau du Rhône vers le Gard et l’Hérault, et qu’il est question de prolonger jusqu’aux Pyrénées-Orientales.
« Fonds bleu »
Presque tous les intervenants ont souligné le problème de la vétusté des réseaux et des pertes considérables qu’elle engendre : un milliard de mètres cubes d’eau potable sont perdus chaque année entre les usines de traitement et les robinets des usagers, du fait des fuites – soit un cinquième de la production. La résorption de ces fuites représente un mur d’investissement auquel bien des communes se heurtent, faute de moyens suffisants. C’est la raison pour laquelle plusieurs sénateurs ont exhorté le gouvernement à mettre en place un « Fonds bleu », sur le modèle du Fonds vert, pour aider les collectivités qui en ont besoin à faire face. Comme l’a rappelé Mireille Conte-Jaubert (RSDE, Gironde), au rythme de renouvellement actuel des réseaux (0,67 % du linéaire total par an), « il faudra plus d’un siècle pour tout renouveler ». Le « Fonds bleu » pourrait, selon elle, « être redistribué prioritairement aux communes et aux syndicats dont les infrastructures sont dégradées (…), souvent de petites collectivités ».
Mais quand on sait que le Fonds vert lui-même se retrouve lourdement amputé dans le projet de budget pour 2025, on a peu de raison d’espérer que le gouvernement accepte de créer un nouveau fonds, parallèle, pour soutenir les collectivités dans la modernisation du réseau d’eau.
Plafond mordant
Comme l’ont suggéré plusieurs parlementaires, un tel fonds pourrait être financé par les Agences de l’eau. Sauf que cela supposerait d’arrêter « de rediriger les recettes des Agences vers le budget de l’État » (Mireille Conte-Jaubert). Même point de vue chez l’écologiste Ronan Dantec (« Vous n'êtes pas obligés d'essorer les budgets des Agences de l'eau pour renflouer le budget de l'État, ce que l'on paye pour l'eau doit aller à l'eau ! » ) comme chez le Républicain Guillaume Chevrollier (« Nous déplorons le prélèvement sur recettes de 130 millions d’euros au détriment des agences de l’eau, à rebours du principe ‘’l’eau paye l’eau’’ » ).
Le projet de budget, rappelons-le, prévoit comme ceux des années précédentes un « prélèvement » direct sur les recettes des Agences de l’eau pour abonder le budget général de l’État, en plus du « plafond mordant », qui consiste à faire en sorte que toute recette dépassant un certain seuil, défini par le gouvernement, est là encore reversé au budget de l’État.
Ces demandes, largement partagées par les différents orateurs, n’ont pas trouvé l’oreille de la ministre Agnès Pannier-Runacher, qui a simplement promis que le « plafond mordant » serait « relevé » en 2026, et n’a pas répondu sur la question d’un fonds de soutien pour la rénovation des réseaux. Elle a toutefois annoncé que le gouvernement prévoyait de « doubler » le financement du Plan eau, « notamment en travaillant sur la redevance » – on suppose qu’il s’agit donc, en l’occurrence, d’augmenter celle-ci.
PTGE
Plusieurs sénateurs ont également évoqué la question de la gouvernance de l’eau et demandé l’accélération de la mise en place des PTGE (projets de territoires pour la gestion de l’eau), initiés par les Assises de l’eau de 2019. Il s’agit d’une démarche visant à réunir tous les acteurs d’un territoire, y a compris les usagers (agriculteurs, industriels, etc.) pour chercher comment « atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins et ressources disponibles en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques », peut-on lire sur le site du ministère de l’Agriculture.
Le sénateur écologiste Ronan Dantec a demandé que le nombre de PTGE soit porté à « une centaine », et de leur donner « la même force que les programmes d’actions de prévention des inondations ».
La ministre a indiqué que la question des PTGE serait évoquée lors de la « grande conférence nationale de l’eau » qui devrait être lancée « mi-décembre », et durera jusqu’au mois de juin, avec une phase de « débats territoriaux » au printemps.
Sur la gouvernance toujours, le sénateur Républicain Rémy Pointereau a à l’inverse déploré « une politique de l’eau devenue illisible », dénonçant une « organisation technocratique et chronophage ». « Comités de bassins, Sage, PTGE, Papi, préfet coordonnateur de bassin, comité national de l'eau... C'est un labyrinthe crétois ! Qui peut encore identifier le décideur ? » Autant de sujets qui, en effet, devraient pouvoir être débattus lors de la conférence nationale.
En attendant, et à plus court terme, les sénateurs vont pouvoir démontrer concrètement leur attachement au budget des Agences de l’eau et leur souhait de créer un fonds de soutien pour le renouvellement des réseaux, puisque le projet de loi de finances arrive cette semaine au Sénat. Ils auront donc la possibilité de déposer des amendements dans ce sens.
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