Maire-info
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Édition du mardi 9 septembre 2025
Gouvernement

François Bayrou sèchement renversé, l'Assemblée plus que jamais clivée

L'Assemblée nationale a très largement refusé d'accorder sa confiance au gouvernement de François Bayrou, hier, et le Premier ministre présentera aujourd'hui sa démission au chef de l'État. Celui-ci promet une nomination rapide d'un nouveau Premier ministre. Reste à savoir avec quelle stratégie. 

Par Franck Lemarc

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© Ass. nationale

Le résultat a été cruel pour François Bayrou : non seulement, comme prévu, la totalité des députés de la gauche et du RN ont voté contre lui, ainsi que la quasi totalité du groupe Liot (dont seuls 4 membres sur 23 ont voté la confiance) ; mais même chez ses alliés Républicains, il s’est trouvé presque la moitié des députés pour voter contre la confiance ou s’abstenir. Seuls les groupes MoDem et Horizons ont voté à 100 % la confiance, tandis que dans le groupe du parti présidentiel, il s’est trouvé une abstentionniste. 

Ce sont donc, au final, 364 députés qui ont voté pour renverser le gouvernement, contre seulement 194 qui ont voté la confiance. Mais si le rejet du Premier ministre a servi de plus petit dénominateur commun à l’essentiel des partis, les clivages restent absolus, sans espoir de solution politique à court terme. Cet épisode montre que, même si le chef de l’État annonçait prochainement une réforme du scrutin pour introduire une dose de proportionnelle, comme certains lui en prêtent l’intention, les partis politiques sont encore bien loin d’avoir la culture politique du compromis qu’un tel système rendrait nécessaire.

Le PS « prêt à gouverner » 

Ce vote a eu lieu après presque quatre heures de discours, d’abord de François Bayrou lui-même puis des onze présidents de groupe. À la tribune, c’est un Premier ministre résigné et conscient du caractère inéluctable de sa défaite qui s’est exprimé. Jugeant le moment « historique », François Bayrou a inlassablement répété que « le pronostic vital »  du pays est « engagé », du fait de la « silencieuse, souterraine, invisible et insupportable hémorragie »  que représente la dette publique : « Notre pays travaille et croit s’enrichir, mais s’appauvrit tous les ans un peu plus ». Le Premier ministre a demandé aux députés de permettre au pays de « retrouver le chemin de la liberté ». Rejetant les discours « simplistes »  qui visent à faire porter la responsabilité de la situation ou aux « immigrés », ou aux « riches », François Bayrou a appelé à recentrer l’effort sur ce qui lui paraît essentiel – la diminution de la dépense publique – et à trouver « des compromis »  plutôt que de choisir « l’épreuve de force ». « Vous avez le pouvoir de renverser le gouvernement, mais vous n’avez pas le pouvoir d’effacer le réel », a lancé le Premier ministre aux députés avant de leur demander « de choisir ensemble le courage ». 

Les orateurs se sont ensuite succédé à la tribune pour justifier leur choix de voter pour ou contre la confiance. Offensif, le socialiste Boris Vallaud a fustigé un Premier ministre qui a passé « quarante ans à dénoncer la dette, huit ans à la creuser comme jamais ». Il a répété que les socialistes étaient « prêts à gouverner », pour restaurer « le patriotisme économique et la justice fiscale » , promettant, si son parti est à Matignon, « de ne pas recourir au 49-3 »  pour faire adopter un budget. « Nous sommes prêts. Qu’(Emmanuel Macron) vienne nous chercher ! ». 

Laurent Wauquiez, pour les Républicains, a apporté au Premier ministre un soutien plus que nuancé, ne lui reconnaissant au fond que le mérite d’avoir « alerté »  sur l’état des finances publiques. Mais le président du groupe LR a surtout fustigé le manque d’ambition du plan Bayrou – fait non « de véritables économies mais d’augmentations d’impôts déguisées »  –, et critiqué certaines de ses mesures comme la suppression de deux jours fériés. S’il a dit qu’à titre personnel, bien que « sans enthousiasme », il voterait la confiance à François Bayrou, Laurent Wauquiez a jugé « tout aussi respectable de faire l’inverse ». On notera enfin, dans son intervention, une attaque frontale contre La France insoumise, désignée comme « premier danger politique contre notre République », Laurent Wauquiez affirmant que les LR seraient « le premier barrage face à cette menace ». Est-ce une façon d’amorcer la fin du « front républicain »  contre le Rassemblement national ? L’avenir le dira. 

Démission du chef de l’État pour LFI, dissolution pour le RN

La France insoumise, justement, par la voix de Mathilde Panot, a sans surprise violemment attaqué le président de la République, derrière la figure de François Bayrou. Attaquant une politique exclusivement « au service de l’oligarchie financière », Mathilde Panot a lancé au président de la République : « Avec vous, l’argent ne ruisselle qu’à la naissance, sur les bien-nés », notant que le gouvernement sortant comprend « 22 millionnaires ». « La vérité de votre politique se trouve là. »  Conclusion de député Insoumise : « Nous alertons solennellement : tous ceux qui tenteront de sauver le soldat Macron tomberont avec lui. »  Elle a confirmé que son parti ne participera à aucun gouvernement et qu’il souhaite la démission d’Emmanuel Macron : « Le président ne souhaite pas changer de politique, alors il nous faudra changer de président. » « Partez aujourd’hui, Monsieur Bayrou, Emmanuel Macron vous suit de près. » 

Marine Le Pen, elle, a constaté que l’hypothèse de la démission du chef de l’État est « a priori fermée », et appelé à une dissolution rapide. La présidente du groupe RN n’a quasiment pas dit un mot sur la situation budgétaire dans son discours, mais a pointé le danger d’une « crise de régime »  aux conséquences délétères. Se faisant la défenseuse fidèle des institutions de la Ve République, Marine Le Pen a dit craindre que le pays soit en train de « s’enfoncer dans la IVe République »  et demandé au président d’intervenir pour mettre fin à l’imbroglio politique actuel. « Tout laisse penser, juridiquement, politiquement, voire moralement, que la dissolution n’est pas pour (Emmanuel Macron) une option : elle est une obligation. (…) Un grand pays comme la France ne peut pas vivre avec un gouvernement de papier. »  Demandant au chef de l’État de ne pas « contribuer à la paralysie », Marine Le Pen a demandé un retour immédiat aux urnes. « S'il y a une dissolution, nous accepterons le verdict des urnes ; si le peuple nous fait l’honneur d’un mandat clair, c’est-à-dire d’une majorité absolue, nous irons à Matignon pour mettre en œuvre sans attendre la présidentielle un programme de redressement national. » 

Renaissance demande « un négociateur » 

Enfin, le président du groupe Ensemble pour la République, Gabriel Attal, a axé son discours sur la nécessité absolue selon lui de trouver des compromis, parce que « la politique est malade des lignes rouges, des ultimatums, des oukazes ». Chef d’un parti largement rejeté par les Français, comme le montrent les sondages, et de plus en plus minoritaire à l’Assemblée nationale, l’ancien Premier ministre a demandé « un accord d’intérêt général »  entre tous les partis, seul moyen selon lui pour que « les 18 mois devant nous ne soient pas ceux du blocage à répétition et de l’impuissance publique ». 

Gabriel Attal est allé plus loin, aussitôt le vote terminé, en s’adressant directement au chef de l’État pour lui demander de nommer « un négociateur »  chargé de « réunir les forces politiques »  pour trouver cet accord – négociateur qui s’engagerait à ne pas être lui-même Premier ministre. L’ex-Premier ministre propose de « renverser la méthode »  et de cesser de « faire tout à l’envers » : jusqu’à présent, depuis la dissolution, « des Premiers ministres ont été nommés sans savoir s’ils pourraient avoir un soutien au Parlement. (…) Commençons par parler de ‘’quoi’’ avant de parler du ‘’qui’’. »  Le « négociateur »  que Gabriel Attal propose de nommer pourrait réunir « les chefs des partis politiques »  pendant « quelques semaines »  pour se mettre d’accord sur « un socle de budget minimal », un Premier ministre n’étant nommé qu’après, pour garantir l’adoption et l’application de ce budget. Dans l’esprit de Gabriel Attal, il s’agit de tenir, avec une forme de stabilité, jusqu’en 2027, dans une situation dominée par l’éclatement de l’Assemblée nationale entre plusieurs grandes tendances, sans majorité absolue. L’élection présidentielle de 2027 sera ensuite l’occasion de « tout refonder ». 

Gabriel Attal parle-t-il au nom du président de la République – dont il fut naguère très proche ? Ou, au contraire, cette prise de position marque-t-elle sa rupture définitive avec lui ? 

Un premier élément de réponse à cette question se trouve dans le communiqué publié hier par l’Élysée – qui a « acté »  la défaite de François Bayrou et a surtout annoncé la nomination d’un nouveau Premier ministre « dans les tous prochains jours ». Exit donc, a priori, la proposition de Gabriel Attal d’un conclave de « quelques semaines »  pour faire émerger un projet de compromis. 

Reste à savoir quel sera son nom et, surtout, son profil. Il semble de moins en moins probable que le chef de l’État réponde aux propositions de la gauche et nomme un socialiste à Matignon, vu les équilibres qui se sont dessinés hier. Ce qui n’empêchera pas, pour autant, l’éventualité de l’entrée de certains socialistes dans un futur gouvernement. Restent deux options : la nomination, encore une fois, d’un proche d’Emmanuel Macron, comme Sébastien Lecornu ou Gérald Darmanin – qui risque fort de connaître sous peu le même sort que François Bayrou. Ou le choix d’un « technicien », spécialiste du budget mais éloigné des partis politiques – les noms de Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, ou de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, circulaient hier. 

Mais les jeux ne sont pas faits : le choix sera celui du seul président de la République. Et celui-ci nous a habitués aux surprises. 

Mais il reste à espérer que le futur Premier ministre saura, en tout cas, rompre avec la méthode Bayrou qui n’a – c’est peu de le dire – pas fait ses preuves : l’ex-Premier ministre aura passé l’essentiel de son passage à Matignon à culpabiliser tous les acteurs de la vie publique – ses prédécesseurs, les parlementaires, les collectivités locales, les assurés sociaux, les Français en général – jugés tous responsables de la situation des comptes publics... ce qui ne paraît pas la meilleure manière de créer le rassemblement autour de l'urgence de répondre à une situation grave. Et ce, sans avoir pris la peine d’écouter qui que ce soit – il faut noter qu’il n’a pas une fois reçu, par exemple, l'AMF durant son mandat. Ce mode de gouvernance n’a fait qu’accroître les clivages, et explique pour partie le vif rejet qu’a suscité le maire de Pau tant au Parlement que dans l’opinion publique. 

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