Les collectivités face à l'enjeu du reclassement des agentsÂ
Par Emmanuelle Quémard
Dans un contexte marqué par le vieillissement des agents et par la persistance de la pénibilité dans de nombreux métiers (notamment dans les filières technique, sociale et médico-sociale), la fonction publique territoriale se trouve particulièrement exposée à la problématique de l’inaptitude et du reclassement de ses agents. Une problématique intégrée de longue date dans les pratiques RH des collectivités, mais dont l’application sur le terrain devient de plus en plus complexe. En particulier en raison de l’explosion du nombre de cas à traiter chaque année et de la lourdeur des procédures administratives à mettre en œuvre. Partant de ce constat, l’Observatoire de la Mutuelle nationale territoriale (MNT) vient de publier une étude qui décrypte et analyse les mécanismes du reclassement au sein des organisations territoriales et explore des pistes concrètes « pour transformer le parcours de reclassement, souvent vécu comme une épreuve, en une opportunité de maintien en emploi ».
Ce 32e cahier, dont la réalisation a été confiée au sociologue Jérôme Grolleau et auquel a contribué le chercheur sur la formation Denis Cristol, s’appuie sur 33 entretiens conduits entre janvier et juin 2024 avec notamment des agents territoriaux, des managers ou référents RH, des spécialistes des problématiques de santé au travail ou des pilotes de démarches innovantes.
Des situations difficiles à appréhender
L’Observatoire MNT indique d’emblée les difficultés des collectivités pour bien appréhender les situations d’inaptitude au travail et pour engager le processus de reclassement des agents concernés. Souvent précédée d’arrêts maladie à répétition, la reconnaissance de l’inaptitude d’un fonctionnaire titulaire peut, en effet, faire l’objet de plusieurs modalités, chacune se traduisant par un dossier dont l’instruction peut s’avérer longue et complexe. Dans le cas d’une inaptitude au poste de travail, par exemple, l’employeur est tenu de prendre en compte les propositions d’aménagement du poste formulées par le médecin du travail, l’objectif étant de permettre à l’agent de poursuivre son activité. Cependant, si les nécessités du service ne permettent pas un aménagement du poste de travail, un changement d’affectation dans un autre emploi (correspondant au grade de l’agent et compatible avec son état de santé) peut être envisagé après avis du médecin du travail. Autre cas de figure : l’inaptitude aux fonctions du grade. Pour permettre le reclassement statutaire de l’agent, le conseil médical doit impérativement constater l’impossibilité de l’agent d’exercer les fonctions de son grade. Enfin, dans une situation d’inaptitude définitive à tout emploi, la collectivité peut proposer la radiation des cadres de l’agent concerné (toujours après avis du conseil médical) et mettre en place une procédure visant à la retraite pour invalidité après avis de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) ou à défaut, au licenciement pour inaptitude.
Les grandes collectivités plus exposées
En se basant sur des données extraites des Rapports sociaux uniques (RSU) publiés par les collectivités en 2021, l’étude souligne l’importance quantitative du phénomène chez les territoriaux. Ainsi, cette année-là, 1 964 demandes de reclassement ont été instruites à la suite d’inaptitudes constatées chez les agents. Des démarches qui se sont traduites par 1 233 reclassements effectifs. L’étude met, en outre, en évidence le lien entre le nombre de cas d’inaptitude reconnus et la taille des collectivités. Selon des données compilées par l’Association nationale des directeurs et directeurs adjoints des centres de gestion (ANDCDG) et la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), si la part des agents concernés par l’inaptitude ou le reclassement est de 0,8% des effectifs dans les communes comptant moins de 20 agents, elle atteint 1,1% dans les communes de 20 à 49 agents, puis 1,2% dans celles de 50 à 99 agents, passant ensuite à 1,7% dans les communes employant entre 100 et 349 agents, pour culminer à 3,2% dans les structures comptant 350 agents et plus. A noter que cette proportion est également très élevée dans les centres communaux d’action sociale (CCAS) avec un taux d’inaptitude de 3,6% ainsi que dans les métropoles (3,1%), les départements (4,1%) et les régions (7,1%).
Tout en reconnaissant que « le recours au reclassement d’un agent déclaré inapte dans sa fonction et son poste, fait partie intégrante de la culture de la fonction publique territoriale », l’étude note que le manque de possibilités de reclassement pèse lourdement sur le fonctionnement des collectivités. En effet, une précédente étude MNT, réalisée en 2023 auprès de 503 acteurs territoriaux, indique que le manque de possibilités de reclassement est cité parmi les dix principaux motifs d’absentéisme.
Cette situation conduit Jérôme Grolleau, par le biais de cette étude, à se prononcer en faveur d’une « nouvelle culture du reclassement » au sein de la territoriale et du « dépassement de la logique classique mais réductrice de l’inaptitude, pour anticiper, accompagner et repenser le travail des agents ». Dans le détail, une refonte du parcours de reclassement est proposée « afin qu’il devienne un levier de reconstruction, intégrant des étapes de soutien psychologique et des actions visant à maintenir les agents connectés à la vie professionnelle ».
Prévention, accompagnement et soutien collectif des agents
L’étude s’appuie, concrètement, sur plusieurs exemples de parcours réussis à travers différents dispositifs d’accompagnement. De la période préparatoire au reclassement (PPR) à d’autres démarches plus originales, elle fait apparaître l’importance d’un accompagnement personnalisé, citant notamment la nécessité « du soutien managérial et des pairs, des formations adaptées et une écoute bienveillante pour permettre à chaque agent de réussir sa reconversion et non de vivre un déclassement ».
A travers des recommandations pratiques à destination des décideurs et managers territoriaux, l’Observatoire MNT définit in fine « un modèle durable et inclusif » susceptible de « répondre aux défis de l’usure professionnelle ». La détection précoce des situations d’usure physique et psychologique des agents doit constituer l’une des priorités pour les collectivités. Il s’agit de « développer des réflexes de signalement dès les premiers signes d’usure professionnelle pour éviter la spirale de l’inaptitude ». Autre axe d’action mis en avant : le renforcement des dispositifs de maintien en emploi. L’auteur de l’étude préconise en particulier d’assouplir les règles de la PPR et de proposer à l’agent de maintenir le lien pendant son arrêt long selon les modalités qui lui conviennent. Par ailleurs, une « meilleure anticipation des risques », notamment en sensibilisant les agents aux dangers de leur métier dès l’embauche, puis lors de rendez-vous de suivi réguliers (pour les métiers les plus exposés), est jugée nécessaire. Il s’agit également d’ouvrir plus largement l’accès des agents à la PPR avant la déclaration d’inaptitude et de mettre en place des formations portant sur la prévention des risques d’usure professionnelle. Enfin, le maintien dans l’activité grâce au congé longue maladie fractionné est également recommandé afin de permettre « à l’agent de tester des solutions et de se réapproprier son travail ».
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