Retraites : la CNRACL tire le signal d'alarme sur le financement des pensions
Par Emmanuelle Quémard
Nouvelle donne réglementaire, pyramide des âges défavorable, explosion des créances, multiplication des procédures engagées contre des employeurs défaillants… Le 11 mars, le nouveau président de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) n’a pas caché les difficultés auxquelles est confronté l’établissement public en charge du régime de base des fonctionnaires de la territoriale et de l’hospitalière.
A l’occasion d’une conférence de presse, Richard Tourisseau a même évoqué « le déficit structurel atteint depuis les comptes 2020 » par l’organisme qui collecte aujourd’hui les cotisations de 2,19 millions d’agents (dont 64% de territoriaux) et les contributions de 42 367 employeurs publics (dont 95% de collectivités) et qui verse une pension à 1,42 million de retraités (dont 55,3% de territoriaux).
Effet ciseau démographique et changement de cap réglementaire
Alors que la campagne pour l’élection présidentielle a remis sur le devant de la scène le débat sur le financement des régimes de retraite, la situation de la CNRACL illustre parfaitement l’effet ciseau qui asphyxie les principaux régimes de retraite. Ainsi, la caisse des agents territoriaux et hospitaliers doit aujourd’hui faire face à la fois au flux croissant des actifs faisant valoir leurs droits à une pension, à l’allongement du temps pendant lequel la retraite est versée (la moyenne d’âge des pensionnés s’élève actuellement à 71,1 ans) et à la contraction des cotisations salariales et des contributions assurées par les employeurs.
Sur ce point, Richard Tourisseau a insisté sur les difficultés supplémentaires que fait peser sur la caisse le décret du 25 février 2022 qui détermine le seuil d'affiliation à la CNRACL à 28 heures hebdomadaires pour les fonctionnaires territoriaux nommés dans un emploi à temps non complet. Un décret qui s’applique depuis le 1er mars 2022.
« Ce texte, qui a été publié dans la foulée de l’ordonnance du 24 novembre 2021, confirme que l’État prend désormais la main sur le seuil d’affiliation au régime de retraite des agents territoriaux et hospitaliers. Jusqu’alors, cette prérogative relevait de la seule compétence du conseil d’administration de la CNRACL », a précisé le président de la caisse en observant que cette nouvelle situation va de facto priver de ressources l’organisme créé en 1945 et géré par la Caisse des dépôts depuis 1947. « Un grand nombre d’agents des collectivités travaillent à temps partiel. Ils ne pourront donc pas prétendre atteindre ce seuil de 28 heures », a souligné Richard Tourisseau.
Augmentation des créances
Autre sujet d’inquiétude pour le président de la CNRACL : la nette progression des créances liées à la défaillance de certains employeurs publics. En 2020, ce sont, en effet, plus de 318 millions d’euros de contributions qui n’ont pu être honorées. Un défaut de paiement essentiellement imputable à des structures relevant de la fonction publique hospitalière qui cumulent 258,6 millions d'euros de créances (81,14% du total des créances).
De leur côté, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux défaillants ne représentent que 18,6% des sommes dues à la CNRACL (59,5 millions d’euros). Trois employeurs défaillants affichent des créances particulièrement lourdes : le centre hospitalier d’Ajaccio (76,37 millions d’euros) qui ne verse plus sa contribution patronale depuis 2007, le Centre hospitalier universitaire de Martinique (40,72 millions d’euros) et la Ville de Fort-de-France (20,43 millions d’euros).
La CNRACL sur plusieurs fronts
Pour surmonter toutes ces difficultés qui menacent le système de répartition sur lequel se fonde l’action de la CNRACL, Richard Tourisseau a annoncé que plusieurs chantiers vont être engagés au cours des prochains mois. Ainsi, la caisse va systématiquement saisir la justice pour toute créance supérieure à 5 ans. Un premier jugement concernant la dette du centre hospitalier d’Ajaccio devrait d’ailleurs être rendu le 25 mars prochain.
Dans le même temps, la CNRACL va se mobiliser pour étendre l’assiette de ses cotisants. Sur ce point, elle entend livrer deux batailles : l’une visant à « faire respecter la lettre de l’ordonnance de 1945 », à savoir l’affiliation des emplois permanents, quelle que soit la durée du travail effectué ; l’autre ayant l’objectif de parvenir à l’affiliation des contrats à durée indéterminée « qui sont en fait de faux fonctionnaires ».
Le président de la CNRACL envisage aussi parmi les solutions une hausse progressive de 6 points de base des cotisations retraite payées par les employeurs, permettant de parvenir ainsi à un taux de 36,47%, soit 20% de hausse.
Enfin, Richard Tourisseau a indiqué que la caisse entendait remettre sur la table le dossier de la « compensation démographique » qui constitue, selon lui, « le vrai débat de fond pour l’avenir des retraites ».
« Aujourd’hui les trois principaux régimes de base - la Caisse nationale d’assurance vieillesse, le Service des retraites de l’État et la CNRACL - contribuent au financement des autres régimes alors qu’ils sont eux-mêmes déficitaires, soit 5,3 milliards d’euros à eux trois » , a-t-il souligné ajoutant que « la CNRACL, à elle seule, a contribué pour 28,5 milliards à la surcompensation et à hauteur de 48,8 milliards d’euros pour la compensation généralisée depuis sa création en 1974 ». En outre, pour Richard Tourisseau, il s’agit de reconsidérer « un système à bout de souffle auquel le Fonds de solidarité vieillesse devrait se substituer au nom de la solidarité ».
Autant de propositions que la CNRACL devrait mettre en débat lors des rencontres prévues avec ses partenaires de la sphère publique. « Je rencontre cette semaine les représentants de la Fédération hospitalière de France et ceux de la Coordination des employeurs publics territoriaux le 12 avril », confie Richard Tourisseau.
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