Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 18 novembre 2022
Fonction publique territoriale

Le gouvernement se retire brutalement du financement de l'apprentissage dans la fonction publique 

Par un amendement discrètement inséré dans le projet de loi de finances pour 2023, le gouvernement rompt, sans préavis, l'accord passé avec le CNFPT et les employeurs territoriaux sur le financement de l'apprentissage. « Un scandale absolu », juge le président du CNFPT, François Deluga. Explications. 

Par Franck Lemarc

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© CNFPT

C’était pourtant un bel accord. Il y a un an, le gouvernement, le CNFPT et les employeurs territoriaux, après de longues négociations, se mettaient d’accord sur un nouveau « mode de financement pérenne »  de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale, le mot « pérenne »  étant, en l’espèce, utilisé dans le communiqué publié par les ministres concernés. 

Accord tripartite

Cet accord prévoyait que sur les quelque 80 millions d’euros que coûtent la formation de l’apprentissage, en 2022, la moitié serait payée par une nouvelle cotisation versée par les collectivités (0,1 % de la masse salariale) et perçue par le CNFPT. Puis, 30 millions seraient payés par l’État (15 millions) et France compétences (15 millions). Le reste à charge de 10 millions d’euros étant payé par le CNFPT lui-même. 

Ces dispositions devaient faire l’objet d’une clause de revoyure en cette fin d’année 2022, notamment au cas où le nombre d’apprentis pour 2023 serait pressenti à la hausse.

Cet accord a été, en octobre 2021, unanimement accepté par les associations d’élus. Il a fait l’objet d’une signature officielle en janvier dernier et a été intégré dans le Code général de la fonction publique cet été, via la loi de finances rectificatives votée en juillet dernier. D’une part, le principe de la cotisation de 0,1 % de la masse salariale payée par les employeurs territoriaux a été gravé dans le marbre (article 451-19-1 du CGFP). D’autre part, le principe du financement tripartite a également été intégré au CGFP (article 451-11) : le CNFPT perçoit la cotisation des collectivités, et bénéficie « d’une contribution annuelle de [France compétences] et de l’État ». 

Vous avez dit « pérenne » ?

Mais le gouvernement ne semble pas disposé à tenir ses engagements. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, passé grâce au 49-3, il a inséré un amendement qui change totalement la donne. Il suffit pour cela d’un mot : l’amendement remplace, dans la phrase citée ci-dessus, l’expression « le CNFPT bénéficie d’une contribution »  par « le CNFPT peut bénéficier d’une contribution ». Autrement dit, la contribution de France compétence et de l’État ne deviendrait plus obligatoire. 

Dans l’exposé des motifs de cet amendement, le gouvernement se montre parfaitement clair : les modes de financement décidés l’an dernier « n’ont pas vocation à être pérennes ». Ce qui fera évidemment bondir les élus, dans la mesure où c’est une absolue contrevérité : Maire info a retrouvé le communiqué de presse conjoint d’Amélie de Montchalin et d’Élisabeth Borne, alors ministres de la Fonction publique et du Travail, daté du 15 octobre dernier, après conclusion de l’accord. On y lit bien : « Il s’agit de disposer, à compter de 2022, d’un mode de financement pérenne. » 

Et le gouvernement poursuit : « La maturité du dispositif permettra d’éteindre progressivement, d’ici fin 2025 au plus tard, la contribution complémentaire de l’État et de France compétences,  compensée par une prise en charge croissante par les collectivités territoriales et le CNFPT. »  Autrement dit : l’État et France compétences arrêteront de payer dans un à deux ans, et la charge des 80 millions reviendra entièrement aux collectivités territoriales. 

« Scandale absolu » 

C’est la raison pour laquelle François Deluga, trésorier de l’AMF et président du CNFPT, ne décolère pas. « C’est un scandale absolu, explique-t-il ce matin à Maire info, je suis absolument outré ! Cette décision du gouvernement a été prise de façon totalement unilatérale et arbitraire, elle est brutale et injuste. Où est le respect des engagements et de la parole donnée ? ». 

Le maire du Teich (Gironde) rappelle qu’il s’agissait bien d’un accord donnant-donnant : « Si les collectivités ont accepté de payer une cotisation supplémentaire de 0,1 %, c’est parce que l’État acceptait, en contrepartie, de financer avec France compétences l’autre moitié du dispositif. Si l’État devait arrêter de payer, cela signifierait que le pacte serait rompu, la parole de l’État ayant été trahie. »  Sauf que l’amendement du gouvernement ne supprime pas, naturellement, la cotisation obligatoire de 0,1 %. 

François Deluga insiste sur le caractère « incompréhensible »  de ce retournement : « On signe un accord en janvier, en juillet le gouvernement l’inscrit dans la loi de finances rectificative… et en novembre il revient dessus ! ». Même sur la forme, d’ailleurs, les manières du gouvernement ont de quoi surprendre, la décision ayant été annoncée aux employeurs territoriaux et au CNFPT par la bande. 

« Cela donne une idée du mépris porté aux collectivités, tempête François Deluga. Alors que c’est la politique volontariste des collectivités a permis de faire bondir le nombre d’apprentis, on nous traite comme cela ? Et le gouvernement nous dit maintenant que cela va être à nous de payer les 80 millions d’euros… mais on va les trouver où ? Au moment, en plus, où on nous ressort des contrats de Cahors qui limitent l’augmentation de la hausse des dépenses de fonctionnement ? C’est délirant ! » 

Nul doute que cette disposition sera débattue au Sénat lorsqu’arrivera l’examen de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2023. C’est sans doute à ce moment que l’on saura si le gouvernement tient bon sur cette mesure qui apparaît, au-delà de la mauvaise manière faite aux collectivités, comme un coup fatal qui serait porté au développement de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale. 
 

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