Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 1er octobre 2024
Fonction publique territoriale

La CNRACL lourdement déficitaire, notamment du fait de sa contribution à l'équilibre des autres caisses

Une fois de plus, l'État alerte sur le déficit préoccupant de la caisse de retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers qui pourrait dépasser les 10 milliards d'euros d'ici à 2030, selon un récent rapport. Plusieurs causes expliquent cette situation, dont le système dit de « compensation démographique », devenu particulièrement injuste.

Par Franck Lemarc

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© IGF-IGA

Les inspections générales des finances, des affaires sociales et de l’administration se sont mis à trois pour élaborer un rapport sur « la situation financière de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales »  (CNRACL), qui verse aujourd’hui des prestations vieillesse (de base et complémentaire) à environ 1,3 million de fonctionnaires retraités. Elle couvre également le risque invalidité, et verse au total quelque 26 milliards d’euros par an de prestations. 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les cotisations perçues par la CNRACL sont de 24,4 milliards d’euros (2023), soit 1,6 milliard de moins que les prestations versées. La caisse, qui était encore excédentaire en 2017, est aujourd’hui lourdement déficitaire et, par projection, on peut s’attendre à un déficit de 11 milliards d’euros à la fin de la décennie. 

Diverses causes identifiées

Quelles sont les causes de cette situation ? Selon le rapport, c’est avant tout « la dégradation du ratio démographique ». Alors qu’il y avait au début des années 1980 plus de 4,5 cotisants pour un pensionné, ce chiffre est aujourd’hui de 1,46. Ces chiffres s’expliquent par l’allongement de l’espérance de vie – et un tel basculement s’opère dans tous les régimes de retraites – mais ils sont accentués par la proportion plus importante de femmes employées par ce régime, les femmes étant très largement majoritaires dans la fonction publique hospitalière et dans la catégorie C de la fonction publique territoriale. Les femmes ont une espérance de vie supérieure à celle des hommes et, de surcroît, « elles bénéficient de départs anticipés dans une proportion importante », notent les inspecteurs. 

Une autre cause du déséquilibre est le fait que les embauches concernent de plus en plus des contractuels et non des fonctionnaires. Or les agents contractuels ne cotisent pas à la CNRACL, mais au régime général pour le régime de base et à l’Ircantec pour la complémentaire. 

Les inspections constatent par ailleurs que les recettes de la Caisse sont « trop peu diversifiées » : les prestations qu’elles versent sont financées « à 97 % par les cotisations »  des employeurs et des agents, quand ce chiffre n’est que de 66,6 % en moyenne pour les autres régimes. 

Compensation démographique

Mais l’un des problèmes de fond du fonctionnement de la CNRACL, que l’AMF ne cesse de pointer du doigt depuis des années, est le système de la « compensation démographique », « sujet d’incompréhension »  selon les inspections. Rappelons qu’en 1974, le système a été mis en place pour « compenser les déséquilibres démographiques et les différences de capacités contributives »  des différents régimes. En clair, les caisses ayant les capacités contributives les plus importantes compensent le déficit des autres, au nom d’un principe de « solidarité nationale entre les régimes vieillesse ». 

La CNRACL a très largement contribué à cette solidarité – peut-être même au-delà des estimations des employeurs, qui ont coutume de dire que le régime a été ponctionné de quelque 80 milliards d’euros depuis 1974. En réalité, les inspections estiment qu’il s’agit plutôt « d’au moins 100 milliards »  d’euros courants. « Cette compensation démographique est à l’origine de la part la plus importante du déficit du régime », notent les inspecteurs, qui expliquent que ces contributions ont « mécaniquement réduits les capitaux propres »  de la Caisse, jusqu’à ce qu’ils deviennent négatifs à partir de 2018. 

Mais le plus surprenant est que la CNRACL continue d’être ponctionnée à ce titre… alors même qu’elle est déficitaire ! Le fait qu’une caisse soit contributaire ou bénéficiaire de ce dispositif ne dépend pas, en effet, de la situation absolue de la baisse mais de sa situation relative par rapport aux autres caisses. En d’autres termes, la situation de la CNRACL est mauvaise, mais moins que celle des autres caisses de retraite. 

Au rythme où vont les choses cependant, la Caisse devrait devenir bénéficiaire du système de compensation « à court terme », jugent les inspections. 

« Les pistes de redressement » 

Remédier à cette situation ubuesque semble être la première mesure de bon sens à prendre pour redresser les comptes de la CNRACL. 

Ce n’est toutefois pas la première piste envisagée par les inspections – même si elles estiment que le Conseil d’orientation des retraites doit se pencher sur cette question. 

Elles préconisent d’abord une « individualisation des cotisations par risque (retraite de base, retraite complémentaire, invalidité) »  et un alignement des ressources externes sur celles des autres caisses, afin de diversifier les sources de recettes. Par ailleurs, il est proposé de « compenser le manque de cotisation issu du recours à des agents contractuels en instaurant un prélèvement au bénéfice de la CNRACL sur les salaires versés aux agents contractuels ». 

Enfin, il semble aux inspections qu’il ne sera pas possible d’échapper à une hausse importante des cotisations employeurs : même en prenant les mesures correctives listées plus haut, le rapport estime que ces cotisations devraient, a minima, passer de 31,65 % aujourd’hui à … plus de 45 %. Ce qui semble bien compliqué à faire admettre, à un moment où l’État répète matin, midi et soir que les collectivités doivent réduire leurs dépenses de fonctionnement. 

Pour faire passer une telle mesure, les inspections appellent l’État à faire un geste de son côté, en se chargeant « d’apurer le passif de la caisse et de réduire ses frais financiers », afin de « faire écho aux efforts demandés aux employeurs publics ». 

Rappelons qu'en juillet dernier, le Bureau de l'AMF a adopté, à l'unanimité, un Manifeste pour la reconnaissance d'un système de protection sociale à l'ensemble de la FPT cohérent, pertinent et spécifique (lire Maire info du 19 juillet). L'association plaide pour une remise à plat complète du système, et estime aussi impossible qu'inefficient de ne considérer le problème que sous l'angle du taux de cotisation des employeurs. 

Accéder au rapport.
 

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