Autorisations spéciales d'absence : non pour les règles douloureuses, oui pour une interruption de grossesse, juge un tribunal administratif
Par Franck Lemarc
En matière de « congés menstruels », les décisions se suivent et se ressemblent : après le tribunal administratif de Toulouse (lire Maire info du 27 novembre 2024), c’est celui de Grenoble qui a retoqué une délibération de la métropole d’instaurer des autorisations spéciales d’absence (Asa) dits de « santé menstruelle » pour les femmes souffrant de règles douloureuses.
Mais la même ordonnance du tribunal administratif autorise, en revanche, d’autres types d’Asa.
Trois nouvelles Asa à la métropole de Grenoble
C’est le 20 décembre dernier que le conseil métropolitain de Grenoble Alpes métropole a adopté, à l’unanimité moins 26 abstentions, une délibération instaurant trois nouvelles Asa, « conformément à son plan d’action 2025-2027 pour l’égalité femmes-hommes ». Premièrement, une Asa « congé 2e parent » : il s’agit de permettre au deuxième parent d’un enfant né après le 1er janvier 2025 de prendre un congé, dans la foulée du congé paternité, un second congé dont la durée serait alignée sur le congé maternité.
Deuxième nouvelle Asa : le « congé interruption de grossesse ». Deux jours d’absence seront accordés aux agentes ayant subi « une interruption de grossesse naturelle, médicale ou volontaire », « dans les 7 jours qui encadrent l’événement ».
Enfin, sur le modèle de ce qui existe déjà dans un certain nombre d’autres collectivités, Grenoble Alpes métropole a voté le principe d’un « congé de santé menstruelle », « à destination des agentes ou salariées souffrant de règles douloureuses, d’endométriose, de ménopause ou de pré-ménopause ayant un impact sur leur santé ». Cette autorisation d’absence, de 15 jours par an, étant soumise à la présentation d’un certificat médical.
Déféré du préfet
Avec une célérité tout à fait remarquable, le préfet de l’Isère s’est empressé de déférer ces décisions devant le tribunal administratif : le recueil des actes administratifs de la métropole indique que la délibération a été transmise à la préfecture le 23 décembre 2024, mais dès le 16 janvier, le préfet adressait une requête au TA de Grenoble pour demander l’annulation de ces délibérations. Le préfet s’est appuyé sur toute une série d’arguments : le conseil communautaire n’aurait pas la compétence d’instituer ces Asa, qui relèvent du chef de service ; elles sont « entachées d’une erreur de droit » dans la mesure où elles ne s’appuient sur aucune base législative ou réglementaire ; les collectivités territoriales « n’ont pas de pouvoir réglementaire autonome » ; et, enfin, cette délibération entraînerait un temps de travail inférieur à 1607 heures, ce qui serait interdit par la loi.
La décision du TA
Pour rendre sa décision, le tribunal s’est appuyé sur le fameux article L622-1 du Code général de la fonction publique : « Les agents publics bénéficient d'autorisations spéciales d'absence liées à la parentalité et à l'occasion de certains évènements familiaux. » Rappelons que les Asa sont de deux catégories : il y a les Asa « de droit », pour des motifs tels que l’exercice du droit syndical, les formations, certains motifs religieux, etc. ; et les Asa « discrétionnaires », définies par ce fameux article L662-1. Mais, contrairement à ce qui est prévu par la loi, aucun décret n’est venu fixer la liste des motifs ouvrant droit à ces Asa pour motifs « liés à la parentalité et à l’occasion de certains événements familiaux ».
Le TA de Grenoble regrette, une fois de plus, l’absence d’un tel décret, et estime que, « dans le silence des textes », il revient bien au chef de service de fixer la liste des événements ouvrant droit à ces autorisations. Le chef de service, en l’occurrence, est le président de la métropole – ce serait le maire, dans une commune. Le tribunal estime donc que le conseil métropolitain n’a aucune compétence pour prendre une telle délibération, ce qui la rend illégale.
Par ailleurs, s’il revient bien au chef de service de déterminer les motifs ouvrant droit aux Asa discrétionnaires, il convient, poursuit le tribunal, que ces motifs ne soient pas « sans rapport avec les catégories fixées dans la loi », à savoir, ici : des motifs liés à la parentalité.
La suite est logique : le tribunal estime que les Asa pour « congé 2e parent » et « interruption de grossesse » seraient recevables, dans la mesure où il s’agit bien d’événements qui « ne sont pas étrangers aux catégories ‘’parentalité’’ et ‘’évènements familiaux’’ ». En revanche, le motif « santé menstruelle » ne « présente aucun lien avec ces catégories », tranche le juge administratif.
Conclusion du tribunal : la délibération dans son ensemble doit être annulée, du fait de l’incompétence du conseil communautaire en la matière. Mais – et c’est un « mais » de grande importance –, le juge n’a pas repris les autres arguments du préfet, sur l’absence de « pouvoir réglementaire autonome » d’une collectivité ou l’entorse aux 1 607 heures. En conséquence, « rien ne s’oppose à ce que le président de Grenoble Alpes Métropole [en tant que chef de service, ndlr] institue et définisse le régime des autorisations spéciales d’absence dites ‘’2e parent’’ et ‘’interruption de grossesse’’ ». Seule l’Asa pour congé menstruel est impossible, en l’absence de base légale.
« Avancée historique »
Christophe Ferrari, le président de la métropole, a salué le cachet donné par le tribunal aux deux Asa 2e parent et interruption de grossesse, les qualifiant hier « d’avancée historique, inédite en France ». Cette décision du tribunal « conforte le droit fondamental à l’IVG, celui-ci devant pouvoir s’exercer sans tabou, sans honte, ni pertes de salaire ou de congés ».
Sur les congés menstruels, le président de Grenoble Alpes métropole regrette naturellement la décision du tribunal et annonce qu’il « continuera de défendre cette avancée ». « Nous interpellerons le gouvernement et les parlementaires à ce propos. L’égalité femmes-hommes n’était-elle pas une grande cause des quinquennats, une promesse du président de la République ? Il est temps de la traduire en actes. »
Rappelons que l’on est dans l’attente d’une décision du tribunal administratif de Strasbourg, après que le préfet du Bas-Rhin eut, lui aussi, déféré le congé menstruel décidé par l’Eurométropole de Strasbourg. Quant au maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane, premier élu à avoir pris cette décision en France, il a encore récemment appelé les parlementaires à s’emparer de la question et à élaborer « une législation nationale, (…) indispensable pour garantir que les droits des femmes souffrant de règles douloureuses soient reconnus de manière pérenne sur tout le territoire ».
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