La fiscalité locale, de plus en plus remise en question par la majorité ?
C’est une impression que Philippe Laurent, secrétaire général de l’AMF et fin connaisseur des finances locales, dit ressentir depuis plusieurs mois : « Ce que veut l’État, au fond, c’est la suppression de la fiscalité locale ». Y a-t-il réellement une telle volonté au gouvernement et dans la majorité ? Après la taxe professionnelle, puis la taxe d’habitation, le gouvernement va-t-il s’attaquer à la taxe foncière et aux impôts économiques – pour aller vers la suppression des impôts locaux, ne laissant aux collectivités comme seules recettes que de la dotation décidée par le Parlement ou des parts d’impôts nationaux ? Maire info a interrogé, à l’occasion du congrès, plusieurs responsables de la majorité, et leurs réponses ont de quoi inquiéter les élus locaux attachés à « l’autonomie fiscale » des collectivités.
Une « fausse liberté » ?
Une petite phrase prononcée par le président de la République, pendant son discours du mardi 19 novembre devant les maires, a particulièrement retenu l’attention : « Nous avons un fétichisme français, l’autonomie fiscale. Les grands pays décentralisés autour de nous sont beaucoup plus décentralisés que nous, or ils n’ont pas d’autonomie fiscale. Ils ont une Chambre, qui, chaque année en effet, discute des ressources fiscales qui sont affectées aux collectivités, chaque niveau avec des règles claires. Peut-être faut-il en arriver à cela et j’y suis favorable. »
Interrogé sur ce sujet, le lendemain, par Maire info, le député du Gers Jean-René Cazeneuve, président de la Délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, n’a pas dit autre chose : « Est-ce que le Graal, c’est de faire en sorte que les collectivités puissent elles-mêmes lever l’impôt ? » Le député du Gers a rappelé que l’autonomie fiscale des collectivités n’est pas un principe constitutionnel, contrairement à l’autonomie financière, et que cette dernière ne se dégrade pas, voire « augmente ». « Regardez les régions. Elles n’ont pas d’autonomie fiscale, n’ont pratiquement aucun impôt sur lequel elles ont un pouvoir de taux. Elles sont complètement dépendantes d’impôts nationaux. Leurs finances sont-elles mauvaises ? Non. Ont-elles moins d’argent qu’avant ? Non. Moins de compétences ? Non. Il ne faudrait pas que ce soit un point de blocage. »
Le ministre des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, a lui aussi répondu à nos questions sur ce thème et a dit avoir « exactement la même position » que le président de la République, allant même plus loin puisqu’il estime que le pouvoir de taux est « une fausse liberté ». Prenant l’exemple des « grands pays décentralisés » que sont l’Espagne et l’Allemagne, il a souligné qu’ils ne connaissent pas l’autonomie fiscale. « Moi comme maire, je me fiche de savoir si j’ai besoin d’autonomie fiscale : j’ai besoin d’autonomie financière. J’ai besoin de moyens. Le plaisir de lever les taux est assez mineur. C’est une fausse liberté : connaissez-vous un maire qui va faire campagne en disant ‘’je vais augmenter les impôts’’ ? Il n’y en a aucun. Alors, quand vous partez du postulat que vous ne voulez pas augmenter les impôts, à quoi sert le levier ? ». Marc Fesneau a tout de même reconnu qu’il « faut une part d’impôt local ». « Il faut moins dépendre des dotations, car cela crée une tutelle, mais je préfère avoir une part d’impôt national, qui est dynamique, qui est débattue au Parlement. » Et de conclure : « Je pense que l’on a raison de parler de fétichisme. Ce qu’il faut, c’est sortir d’une vision de l’État qui dit ‘’je vous donne la compétence, mais je ne vous donne pas les moyens’’. C’est une forme d’infantilisation. »
Deux visions de la décentralisation
Le fait même que ces deux représentants de la majorité aient utilisé, dans leurs réponses, les exemples de l’Allemagne et de l’Espagne, prête à la réflexion. Car rappelons-le, ces deux pays sont des États fédéraux, ce que n’est pas la France. Au-delà, l’argument selon lequel une « véritable » décentralisation consisterait à ôter aux collectivités locales le pouvoir de décider elles-mêmes du taux de leurs impôts n’est absolument pas partagé par tous. « La décentralisation sans liberté, ce n’est plus de la décentralisation, expliquait par exemple Christine Pires Beaune, députée du Puy-de-Dôme, lors du Congrès. Il faut donner les moyens : qui paye commande, et qui commande paye. »
Gérard Larcher, président du Sénat, défend la même position : s’il s’agit du fait que « décentralisation, cela veut dire responsabilité, moyens financiers et dynamique de ces moyens financiers, je suis d’accord. Mais nous ne sommes pas un État fédéral ». Dans son discours devant le congrès, le président du Sénat s’est montré formel : « La liberté d’organiser et de créer suppose de disposer de ressources financières propres. Je continue de m’interroger sur la perte du lien fiscal entre une commune et une partie de ses habitants. Rompre totalement le lien fiscal, c’est s’exposer à transformer le citoyen en un simple résident consommateur de services publics. Les communes ne sont pas (…) des opérateurs de l’État, les communes ne sont pas des Maisons France service. »
Il y a donc deux visions qui s’opposent – et ce de plus en plus clairement : d’un côté, ceux qui estiment que la décentralisation se fera à travers une forme de nationalisation de la fiscalité locale, avec des ressources dédiées, certes, mais décidées au niveau de l’État ; et, de l’autre, ceux qui pensent comme Gérard Larcher que « l’autonomie fiscale des collectivités est la condition de leur liberté » et vont jusqu’à demander – comme le fait l’AMF – l’inscription de cette autonomie fiscale dans la Constitution. Celle-ci rappelle d'ailleurs que les prélèvements obligatoires locaux sont moins élevés en France, à 5,9 points de PIB, que dans le reste de l'Europe où la moyenne est de 6,5 points de PIB.
Il ne fait aucun doute que ce débat va trouver son apogée à l’occasion de la préparation du grand projet de loi de décentralisation, dit projet de loi 3D, promis pour le premier semestre 2020.
Franck Lemarc
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