Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 24 mars 2022
Finances

Une ordonnance met fin à la « responsabilité personnelle et pécuniaire » des comptables publics dans sa forme actuelle

Une ordonnance relative « au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics » a été présentée hier, en Conseil des ministres. Publié dès ce matin au Journal officiel, ce texte important pour les ordonnateurs comme pour les comptables publics entrera en vigueur le 1er janvier 2023.

Par Franck Lemarc

C’est un texte technique et complexe, mais d’une grande importance, puisqu’il vise à harmoniser le régime des peines applicables aux comptables et aux ordonnateurs publics, et supprime, dans sa forme actuelle la fameuse RPP (responsabilité personnelle et pécuniaire) des comptables publics – ce qui ne signifie en aucun cas la disparition de toute forme de responsabilité pécuniaire pour ceux-ci. 

Évolution majeure de la RPP

Rappelons qu’en finances publiques, il existe une séparation très stricte entre, d’un côté, les ordonnateurs, qui sont les décideurs financiers – les exécutifs locaux par exemple ; et, de l’autre, les comptables publics, qui manient les fonds, en tant que caissiers ou en tant que payeurs. Ces comptables publics sont responsables à titre personnel des deniers publics qu’ils manient, ce qui signifie que s’ils manquent à leurs obligations, ils peuvent être condamnés à rembourser les conséquences de ce manquement avec leurs fonds personnels : c’est que l’on appelle la responsabilité personnelle et pécuniaire. 

Le nouveau dispositif met en place un régime unifié pour l’ensemble des gestionnaires publics. L’ordonnance, à l’article 3, remplace le régime actuel de RPP par une infraction spécifique, « faute grave ayant causé un préjudice financier significatif dans l’application dans l’application des règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État ou des collectivités territoriales ». Cette qualification peut être appliquée aussi bien aux ordonnateurs qu’aux comptables, et au-delà à « tout agent public susceptible d’être l’auteur d’une faute grave causant un préjudice financier ». L’ordonnance crée une nouvelle juridiction au sein de la Cour des comptes chargée de la répression de ces fautes et fixe un nouveau régime de sanctions pouvant aller jusqu’à « six mois de rémunération annuelle de la personne ». La sanction des fautes purement formelles ou procédurales relève désormais d’une logique de responsabilité managériale.  

L’ordonnance précise également que les élus locaux –parmi lesquels les maires et les présidents d’EPCI – ne sont « pas justiciables »  devant la nouvelle juridiction de la Cour des comptes. Le dispositif relatif à la gestion de fait est maintenu et l‘ordonnance réaffirme le principe essentiel de séparation entre l’ordonnateur et le comptable ainsi que les missions de contrôle qui incombent à ces derniers. De même, la procédure de réquisition d’un comptable par l’ordonnateur est maintenue.

Lors de l’examen de ce texte devant le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), le ministère rapporteur a précisé que la réforme « impliquera pour les personnes publiques de s’assurer encore davantage de la qualité de leur dispositif de maîtrise des risques, du moins pour les plus importants. La mise en place dans les plus grandes collectivités territoriales de mécanismes de contrôle interne pourrait ainsi être nécessaire ». La DGFiP a assuré qu’elle fournirait « un soutien pédagogique et documentaire »  aux collectivités « en vue de s’assurer que les risques sont correctement gérés et ne puissent pas conduire à des mises en cause devant la juridiction financière ». 

Les élus globalement favorables

Lors de cette séance du Cnen, le 3 mars, les représentants des élus se sont unanimement déclarés « en accord »  avec l’objectif poursuivi par le gouvernement de « recentrer les infractions, et donc les sanctions, sur les seules fautes graves de nature à entrainer un préjudice significatif, conformément au principe de proportionnalité ». Ils ont toutefois regretté que le gouvernement n’ait pas souhaité aller plus loin en renversant le paradigme applicable en matière financière, paradigme qui « induit la prévalence de la logique de faute sur celle de bonne foi et de confiance ». Alors que le « droit à l’erreur »  a été consacré, pour les contribuables, par la loi Essoc de 2018, les élus auraient souhaité qu’un tel droit à l’erreur soit aussi reconnu aux gestionnaires publics. 

Tout en saluant « la qualité de la concertation préalable »  menée par le gouvernement pour élaborer ce texte, aussi bien avec les associations d’élus qu’avec celles des directeurs généraux des services et des administrateurs territoriaux, les représentants des élus ont émis quelques doutes sur « la capacité »  de la DGFiP à apporter l’aide promise aux collectivités dans ce dossier, faute de moyens humains. Le représentant du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance s’en est défendu, rappelant que quelque « 1 200 conseillers aux décideurs locaux »  avaient été déployés, ce qui selon lui « marque la volonté [de la DGFiP] renforcer durablement sa présence au sein des territoires et de développer une offre de conseil au plus près des attentes des décideurs publics ». 

Par ailleurs, l’AMF s’est opposée à l’élargissement des signalements de faits délictueux aux services des inspections générales de l’État : ces nouvelles compétences des   services d’inspection sont en effet sans rapport avec leurs activités qui se distinguent clairement des contrôles juridictionnels. Le rôle des services d’inspection est aussi d’aider les organismes en cause à atteindre les objectifs qui leurs sont assignés et à améliorer leur gestion. L'atmosphère de confiance, indispensable à une démarche d'évaluation risque selon l’AMF d’être plus difficile à instaurer par les inspecteurs s’ils disposent de la possibilité de signalements aux juridictions financières.

Le texte étant applicable à partir du 1er janvier 2023, il reste maintenant une dizaine de mois à l’État comme aux associations d’élus pour le faire connaître et comprendre, ce qui, vu la complexité de l’ordonnance, nécessitera en effet une bonne dose de « pédagogie ». 

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