La Cour des comptes estime qu'il va falloir économiser 50 milliards d'euros d'ici 2027, les collectivités ne seront pas épargnées
Par Franck Lemarc
Le rapport 2023 de la Cour des comptes sur « la situation d’ensemble des finances publiques » n’est pas tendre avec le gouvernement. Celui-ci est clairement accusé d’avoir construit son budget pour 2024 sur la base de prévisions trop optimistes « malgré les avis du Haut Conseil des finances publiques et des organisations internationales » . Mais, comme on le sait, le gouvernement a été rattrapé par la réalité économique et a dû, moins de deux mois après avoir adopté sa loi de finances pour 2024, annoncer une première salve de 10 milliards de coupes budgétaires. Dans ce contexte, la Cour estime que la trajectoire fixée par le gouvernement à l’horizon 2027va être extrêmement difficile à tenir.
50 milliards à économiser
La situation des finances publiques de la France est « parmi les plus dégradées de la zone euro » et « le restera » en 2024, jugent les magistrats financiers, qui rappellent que l’année 2023 a été « une année blanche » en termes de réduction du déficit et de maîtrise des dépenses. Ils estiment que la trajectoire financière établie par la loi de programmation des finances publiques du 18 décembre 2023, qui ne prévoit un passage du déficit public sous les 3 points de PIB qu’en 2027, est extrêmement « fragile » et soumise au moindre aléa économique : « Toute mauvaise surprise macroéconomique, toute réalisation budgétaire en deçà des ambitions affichées aboutiraient à hausse du ratio d’endettement public au cours de la période de programmation et à un maintien du déficit au-dessus de 3 %. » Pour tenir la trajectoire, il faudra, selon la Cour des comptes, procéder pendant les trois dernières années de la programmation (2025, 2026 et 2027) à un « infléchissement » des dépenses « qui n’a pas d’exemple dans l’histoires récente » , avec au moins « 50 milliards d’euros d’économies » sur cette période.
Il est à noter que ce rapport a été établi avant l’annonce d’une deuxième salve d’économies budgétaires par Bercy (lire Maire info du 7 mars), de l’ordre de 20 milliards d’euros pour le budget 2025.
L’effort sera donc « considérable » et d’autant plus difficile à mener que plusieurs secteurs – dont la défense et la transition écologique – vont mécaniquement voir leur dépenses augmenter dans les années à venir. Il va donc falloir « faire preuve de sélectivité dans les dépenses » , conclut la Cour des comptes, et « compenser tout surcroît de dépense ou toute baisse d’impôt par des économies ou des hausses de recettes » . Les magistrats appellent également à engager « des réformes ambitieuses dans certains secteurs clés » , pour « infléchir durablement le rythme de la dépense » – ils pensent, notamment, aux différentes branches de la Sécurité sociale.
Et les collectivités ?
Les finances des « administrations publiques locales » n’occupent qu’une place très marginale dans cette édition du rapport de la Cour des comptes. Les magistrats notent que les dépenses de fonctionnement de celles-ci devraient diminuer de 0,4 % en volume en 2024 (après - 0,1 % en 2023), tandis que les investissements seraient en hausse de 6 %. « Les administrations publiques locales qui étaient à l’équilibre en 2022, deviendraient déficitaires (- 0,3 point de PIB en 2023 puis - 0,2 point de PIB en 2024) » . Cette dégradation s’explique, pour la Cour des comptes, par un haut niveau d’investissement dû « au cycle électoral communal » et par la crise du logement, qui implique un effondrement des DMTO.
La Cour juge donc peu crédibles les prévisions établies dans la loi de programmation des finances publiques, qui tablent sur une « contraction » des dépenses des collectivités de 1,9 % en volume en 2026 et 1 % en 2027, d’autant plus que ces prévisions, regrettent les magistrats, « ne sont associées à aucun mécanisme contraignant ».
La très faible place donnée aux collectivités locales dans le rapport de la Cour des comptes ne doit pas laisser penser que celles-ci vont être épargnées lorsque l’État va mettre en œuvre les « 50 milliards » d’euros d’économies sur 2025-2027. En prévision de la construction de son projet de loi de finances pour 2025, Bercy a commandé à la Cour des comptes un rapport spécifique sur les dépenses des collectivités territoriales, pour alimenter la « revue de dépenses » prévue par le gouvernement, a précisé hier Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes. Ce rapport spécifique devra faire le point sur « la participation des collectivités au redressement des comptes publics » et devrait être rendu en juin.
Bruno Le Maire à l’offensive
Rappelons que lors de son audition devant une commission du Sénat, le 7 mars dernier, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait été parfaitement clair : « Oui, tout le monde devra contribuer. On ne peut pas dire qu’il y a d’un côté le méchant État et de l’autre les gentilles collectivités locales, (…) et que les collectivités n’ont aucune responsabilité. Oui, les collectivités augmentent leurs dépenses. Je suis ouvert au débat, mais il faut que j’ai en face de moi des gens qui acceptent de débattre. (…) J’espère que les représentants des collectivités accepteront de se mettre autour de la table. » Et, comme il l’avait fait devant les députés la veille, Bruno Le Maire a reposé la question de savoir « s’il n’y a pas lieu aussi de simplifier les strates locales » entre « communes, commuanautés de communes, EPCI (sic), départements, régions. (…) Car oui, j’ai la conviction que l’accumulation de strates administratives a un coût vertigineux ».
Ces propos ont particulièrement irrité le président de l’AMF, David Lisnard, qui a répondu sur X (Twitter), rappelant que « les collectivités respectent la règle d’or, que le total des dépenses de toutes les collectivités en France, malgré celles qui sont mal gérées et le fameux millefeuille, est nettement inférieur par rapport au PIB que la moyenne européenne ; que le problème des comptes publics en France est dû aux comptes sociaux et aux comptes d’un État qui emprunte pour son fonctionnement » . Le maire de Cannes juge les propos de Bruno Le Maire « démagogiques » et destinés à « détourner l’attention des problèmes ».
Quant au « refus de débattre » des associations d’élus pointé par Bruno Le Maire, qui a déclaré qu’il avait fait « six propositions de dates » aux représentants des collectivités pour une réunion du Haut conseil des finances publiques locales, et essuyé six refus « pour des raisons d’agenda » , le président de l’AMF tient à rétablir les faits : « C’est Bercy qui a annulé la réunion du HCFPL deux heures avant sa tenue alors que le représentant de l’AMF était dans le train, sans même un mot d’excuses. »
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