Maire-info
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Édition du mardi 10 septembre 2024
Finances

Dépenses des collectivités et déficit public : les députés remettent en cause les chiffres de Bruno Le Maire

Auditionné hier par la commission des finances de l'Assemblée nationale, le ministre démissionnaire de l'Économie a, une nouvelle fois, fait le lien entre le niveau d'endettement des collectivités locales et celui de la France. Le rapporteur du budget a notamment dit « ne pas comprendre » les données fournies par ce dernier.

Par A.W.

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« Je ne souhaite faire de procès à personne. »  Après avoir mis en cause les collectivités dans la dégradation du déficit public du pays, le ministre démissionnaire de l’Économie, Bruno Le Maire, a tenté d’apaiser les relations avec les élus locaux lors de son audition, hier, par la commission des finances de l’Assemblée nationale, auprès de laquelle il est venu défendre une « dernière fois »  sa politique budgétaire. 

Estimant que la France pouvait encore tenir ses objectifs de déficit public malgré des menaces importantes de dérapages, l’ancien député de l’Eure a, toutefois, rapidement pointé, une nouvelle fois, une « difficulté »  et un « risque »  sur les comptes publics de 2024 (parmi deux autres) : les « dépenses dynamiques »  des collectivités (en plus de recettes fiscales de l'État « moins élevées que prévu »  et le « choix »  fait par le précédent gouvernement de ne pas présenter de loi de finances rectificative).

« Alerte »  sur les dépenses des collectivités

S’il assume que « ce n’est pas une critique »  il a, dans la foulée, affirmé que lorsque « le niveau d’endettement des collectivités locales augmente, cela pèse sur le niveau d’endettement global de la France ». Outre l'annulation d'une partie des 16,5 milliards d’euros de crédits gelés depuis quelques mois et la taxation plus forte des compagnies d’énergie et des rachats d’actions, il préconise ainsi de « réunir rapidement le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFP) [qui a été créé l’an passé par Bruno Le Maire] pour examiner avec les représentants des collectivités, dans le dialogue, pas dans la contrainte, ce qui peut être fait pour éviter que ce qui est annoncé en début d’année se poursuive d’ici la fin d’année 2024 ». Et cela, « sans affecter, en particulier, les petites communes ou les départements qui peuvent être en grande difficulté ».

Sur « la base des données disponibles à fin juillet 2024 »  et « si l’on poursuit la dynamique observée par les dépenses des collectivités », le ministre chargé  des Comptes publics, Thomas Cazenave, également présent lors de l’audition, a estimé que leur « déficit »  - « concept »  qu’il a tenu à défendre - pourrait atteindre « un niveau historique de - 20 milliards d'euros ».

Cet « aléa qui affecte la situation des finances publiques »  s’expliquerait par « l’accélération des dépenses de fonctionnement des collectivités de plus de 7 % »  en juillet - et non 4 % comme attendu - et celle des dépenses d’investissement « de plus de 15 % », alors la trajectoire budgétaire prévoyait une accélération de 8 %.

Au global, « la prévision de croissance des collectivités devrait être augmenté de plus de 16 milliards d’euros par rapport à la trajectoire initiale », a justifié celui qui est également député de Gironde (Ensemble pour la République), en notant, lui aussi, que « cela viendra, mécaniquement, creuser le solde projeté pour les collectivités et le déficit public en général ».

Les données de Bercy mises en doute

Un chiffre qui a déjà été présenté par le gouvernement démissionnaire à l'occasion de la transmission de la note du Trésor aux parlementaires, la semaine dernière, et qui a été vivement critiqué par les collectivités qui ont jugé cette donnée de Bercy « fallacieuse ».

Celle-ci a, également, fait tiquer à la fois le président de la Commission des finances de l’Assemblée, Éric Coquerel (LFI), et le rapporteur général du budget, Charles de Courson (Liot) qui « n’arrive pas à comprendre »  ce chiffre de 16 milliards d’euros de dérapage.

Sur la base du document public relatant la « situation comptable mensuelle des collectivités »  et publié chaque mois par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), l'élu de la Marne a rappelé qu’à fin juillet, l’épargne brute et l’épargne nette des collectivités « baissent uniquement de 1,2 milliard »  et « de 1,4 milliard »  d’euros, respectivement. 

« Alors, même en extrapolant sur l’année, on est peut-être autour de 3 milliards d’euros. Ce qu’envisageait d’ailleurs à l’époque la direction du Trésor puisque, dans sa note, [elle évoque] 3,4 milliards d’euros. Ce qui paraît parfaitement réaliste », a-t-il fait remarquer.

D’autant qu’il ne « voit pas le problème de s'endetter pour investir. Au regard de nos engagements européens, ce qui importe, ce n’est pas le niveau de la dépense mais le solde », a-t-il défendu, estimant que le « grand dérapage »  est plutôt à regarder du côté « de la chute extrêmement brutale des recettes »  de l’Etat.

Même analyse du côté d’Eric Coquerel qui a jugé que « le déficit qui s’accroit en France depuis des années n’est pas dû à la hausse des dépenses publiques, mais à la baisse des recettes », citant notamment « la baisse de l’impôt sur les sociétés et les cadeaux fiscaux au capital ».

Le modèle social français, le vrai « risque » 

S’il n’a pas fait la lumière sur les chiffres que « n’arrivent pas à comprendre »  les députés, Bruno Le Maire, a, cependant, expliqué que « les notes des budgets économiques d’été »  ont « systématiquement surévalué les risques de déficit par rapport à ce qui a été réalisé »  et étaient « à prendre avec beaucoup de prudence ».

Et le ministre de l’Économie de rappeler que les dépenses des collectivités locales « c’est 20 % de la dépense publique, l’Etat c’est 30 %, la Sécurité sociale c’est 50 % ». « Donc, notre modèle social, c’est ça qui risque de faire vraiment déraper nos comptes publics dans les années à venir », a finalement assuré le ministre dans un revirement inattendu. 

Les « interrogations fondamentales »  devront donc porter, selon lui, sur « le modèle social français »  et les « abus constatés depuis plusieurs années », a-t-il déclaré. En citant le patron de la Cnam, Bruno Le Maire a ainsi pointé du doigt « les indemnités journalières et les petits arrêts maladie [qui] ont explosé ces derniers mois : 5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires sur les indemnités journalières en dix ans. Ça veut dire que, sur les dix prochaines années, c’est 50 milliards d’euros de dépenses supplémentaires à cause des arrêts maladie ».

Des arrêts maladie sur lesquels Bruno Le Maire se questionnait déjà, en mars dernier… Et notamment sur la « légitimité »  du nombre de jours d’absence des personnels des collectivités locales (plus élevé qu’ailleurs), qu’il semblait ne trouver ni « juste »  ni « raisonnable » 

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