Filet de sécurité pour les collectivités : pour le CFL, c'est « trop peu, trop tard, trop compliqué »
Par Franck Lemarc
C’est l’argument majeur du gouvernement face à l’explosion des prix : en loi de finances rectificative, au mois de juillet, le principe d’un nouveau « filet de sécurité » a été acté (article 14 de la LFR), doté de 430 millions d’euros. Objectifs, rappelés par le gouvernement dans le projet de décret : « compenser certaines dépenses nouvelles occasionnées par la réévaluation de la valeur du point d’indice intervenue au 1er juillet 2022 (…) et par la hausse des dépenses alimentaires et d’énergie due aux effets de l’inflation ».
Louable intention. Mais le CFL a jugé, une fois encore, qu’il y a loin des intentions aux actes.
Le dispositif
Pour bénéficier de la dotation, les communes et EPCI devront remplir trois conditions « cumulatives ». Leur niveau d’épargne brute devra avoir représenté en 2021 moins de 22 % de leurs recettes réelles de fonctionnement ; ils devront avoir perdu « au moins 25 % d’épargne brute » entre 2021 et 2022, « principalement du fait » de la hausse du point d’indice et de l’inflation ; enfin, ne seront éligibles que les structures présentant « un potentiel financier inférieur au double de la moyenne de leur strate démographique en 2021 », pour les communes, ou de leur groupe, pour les EPCI.
Pour les communes et groupements qui rempliront toutes ces conditions, la dotation couvrirait 50 % des coûts liés à la revalorisation du point d’indice et 70 % de la hausse de « leurs charges d’énergie, d’électricité, de chauffage urbain et d’alimentation ».
La dotation sera versée… au 31 octobre 2023 « au plus tard ». Forcément : la dotation ne pourra être calculée qu’après la clôture définitive des comptes de l’exercice 2022 (soit à l’été 2023). Le gouvernement a toutefois prévu la possibilité d’un acompte de 30 %, qui devra être sollicité avant le 15 novembre prévu. Si cela s’avère nécessaire en octobre 2023, le « trop-versé » devra être rendu.
Les raisons d’un rejet
Au CFL, la quasi-totalité des membres a voté contre ce projet de décret ou s’est abstenue, à l’exception d’une députée de la majorité.
Comme l’expliquait à Maire info, au sortir de la réunion, André Laignel, président du CFL, ce refus a d’abord été motivé par le fait que ce dispositif est « mal dimensionné, sous-dimensionné : c’est trop peu et trop tard ». Sur la seule question du point d’indice, le décalage est flagrant entre les coûts réels supportés par les collectivités (2,3 milliards d’euros en année pleine) et les 430 millions du filet de sécurité, dont une partie seulement sera consacrée aux surcoûts liés au point d’indice.
Et quoi qu’il en soit, ce n’est pas en octobre 2023 que les collectivités ont besoin d’aide pour tenir la tête hors de l’eau, c’est tout de suite.
Le dispositif a également été jugé « inutilement compliqué » par les membres du CFL : entre conditions cumulatives et dossier complexe à fournir, « il y a un fort risque de découragement des élus, notamment dans les petites communes ». D’autant que beaucoup chercheront à rester prudents devant la perspective de devoir reverser un trop-perçu dans un an, après la clôture de leurs comptes en juin prochain. Comme le disait un sénateur, hier après-midi, « l'inquiétude des élus se transformera en colère en juin 2023, quand les comptes administratifs seront bouclés ».
On doit noter au passage que le nombre de communes bénéficiaires du dispositif a fondu comme neige au soleil. Alors que l’été dernier, pendant la discussion du projet de loi de finances rectificatives, le gouvernement parlait d’un filet de sécurité qui pourrait bénéficier à 22 000 communes, plusieurs sénateurs ont évoqué hier un chiffre ramené à « 8 000 ou 9 000 », du fait des critères choisis. Un chiffre contesté par la ministre chargée des Collectivités territoriales, Caroline Cayeux, qui a dit devant le Sénat hier que selon ses services, « plus de la moitié des communes seront éligibles et les trois quarts de groupements ». Soit, donc, au moins 18 000 communes.
Soit dit en passant, si ces estimations sont justes, c’est-à-dire si près de la moitié des communes sont en très grande difficulté financière, on se demande pourquoi Bercy s’acharne à expliquer que tout va bien du point de vue des finances locales, que les associations d’élus pleurent la bouche pleine, et qu’à peine « 500 communes » sont en difficulté (lire Maire info du 3 octobre). Un sénateur, hier, lors des questions au gouvernement, a d’ailleurs noté que « les collectivités goûtent assez peu les fuites de notes confidentielles affirmant qu'elles seraient en pleine santé ».
Sanctionner les bons gestionnaires
Enfin, le CFL a pointé le fait que le dispositif, tel qu’il a été construit, « pénalise la bonne gestion », puisque l’un des critères est appuyé sur la quantité d’épargne brute des collectivités. « Ceux qui ont réussi à dégager de la capacité d’autofinancement, comme le demande l’État depuis des années, pour soutenir la relance économique et investir dans la transition écologique, vont être pénalisés par un moindre accès au filet de sécurité », note André Laignel. C’est aussi la position du sénateur Charles Guené (LR, Haute-Marne), qui a lancé hier à Caroline Cayeux : « Les collectivités ont fait des efforts de gestion. Tirer argument de cette bonne gestion pour les sanctionner, ce n’est pas la bonne méthode ! ».
Le projet de décret sera prochainement examiné par le Conseil national d’évaluation des normes. Il est peu probable que son sort soit différent de celui qu’il a connu au CFL. L’AMF, pour sa part, continue de demander en guise de première mesure d’urgence l’indexation de la DGF sur l’inflation.
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