Devant « l'emballement » de leurs dépenses en 2024, les collectivités devraient « davantage contribuer » à la réduction du déficit, affirme la Cour des comptes
Par A.W.
« Dérive inédite » des comptes publics, « emballement » des dépenses des collectivités et risque de décrochage durable du pays. La Cour des comptes a mis, hier, en garde la France sur les graves conséquences à venir si elle ne rétablissait pas ses comptes publics rapidement. Et, comme depuis plusieurs années, elle réclame une participation accrue des collectivités pour y parvenir.
À l’occasion de la présentation de son rapport sur la situation des finances publiques, le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, s’est ainsi dit « très inquiet » de la situation financière du pays et a fustigé une dépense publique « en roue libre » et « hors de contrôle » depuis deux ans. D’autant que « le cœur de la dépense devrait continuer de progresser à un rythme proche de sa tendance d’avant-crise », a-t-il prévenu.
Un effort « au moins jusqu’en 2029 »
Malgré l’effort prévu par le gouvernement pour réduire le déficit public (à 5,4 % du PIB en 2025), Pierre Moscovici estime que le budget français est « déjà sur le fil du rasoir ». L’ancien ministre de l’Économie de François Hollande critique un effort qui ne porte « quasi exclusivement » que sur « des mesures fiscales nouvelles ou en hausse » et des économies sur les dépenses « très insuffisantes », et « essentiellement » le fait du budget de l’État.
Face aux « mesures d’économies d’ampleur indispensables » sur les dépenses, il estime que « les dépenses sociales et locales peuvent et doivent davantage contribuer à l’avenir au redressement des finances publiques, pour que l’effort soit mieux partagé et réparti ». « Toutes les administrations publiques » doivent y participer, selon lui, « y compris les administrations sociales et les collectivités locales ».
Un effort qui devra d’ailleurs être réalisé « pendant encore plusieurs années, au moins jusqu’en 2029 », a mis en garde le Premier président de la Cour des comptes, tout en considérant que « la solution n’est pas de raboter les dépenses de ces administrations essentielles ». Mais plutôt de « faire des économies intelligentes, basées sur des revues de dépenses méthodiques et systématiques ».
Bien qu'il soit prévu de ponctionner les recettes des collectivités de 2,2 milliards d’euros dès cette année (via le « Dilico » pour quelque 2 000 collectivités et le gel du montant de la TVA transférée), Pierre Moscovici les a toujours dans son collimateur puisqu’il estime « indispensable d’adopter des mesures pour maîtriser la dynamique » de leurs dépenses au regard de « la dérive [de celles-ci] dans le dérapage des déficits de 2023, et plus encore de 2024 ».
Surplus de dépenses de 10,7 milliards d’euros
Au-delà de la croissance qui a été surestimée et des recettes – notamment de TVA – « très en deçà » de ce qui était prévu, « la principale cause » de la dégradation du déficit en 2024 serait donc bien le fait de « la dynamique de la dépense publique », selon la Cour qui pointe notamment un dépassement de « 10,7 milliards d’euros de surplus » de dépenses des collectivités locales et de « 3,9 milliards d’euros » sur la sphère sociale.
« Les dépenses des administrations locales, en particulier leurs dépenses de fonctionnement, se sont emballées, en l’absence de tout mécanisme contraignant visant à faire contribuer les collectivités au redressement des finances publiques », affirme Pierre Moscovici qui estime l’impact du dépassement des dépenses locales sur la dégradation du déficit à « 0,2 point de PIB ».
Si la Cour reconnaît « l’absence d’économies structurelles dans les dépenses de l’État », son Premier président assure que les dépenses locales contribueraient « de manière significative au creusement du déficit public ». « Les dépenses des collectivités locales ont augmenté de 3,6 % en volume entre 2023 et 2024 et les dépenses de fonctionnement en particulier ont progressé de 2,6 %, un record depuis au moins dix ans. Elles ont même dépassé la forte augmentation enregistrée en 2021, en contrecoup de la crise sanitaire ! », charge l’ancien ministre de l’Économie alors que l’on peut rappeler que, contrairement au budget de l’État, les budgets des collectivités locales ne peuvent jamais être en déséquilibre.
En cause, les achats qui progresseraient de 9,4 % par rapport à 2023, « correspondant à des dépenses supplémentaires d’environ 3 milliards d’euros comparées à la cible prévue », « la hausse des coûts de l’énergie et des produits alimentaires du deuxième semestre 2023 [s’étant] répercutée sur toute l’année 2024 », selon les magistrats financiers. La masse salariale aurait, elle, augmenté de 4,5 % par rapport à 2023, « soit un dépassement de l’ordre de 1,8 milliard d’euros » dû en partie aux « mesures indiciaires mises en place depuis juillet 2023 ».
Par ailleurs, les dépenses d’investissement auraient également progressé de 5,7 milliards d’euros par rapport à 2023. « Ce qui s’explique largement par le cycle électoral municipal », rappelle la Cour, qui note également « la chute des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et l’atonie des recettes de TVA ».
Des « analyses simplistes » et « stigmatisantes »
Contestant ces « analyses simplistes » de la Cour sur « la supposée responsabilité » des collectivités dans le déficit du pays, l’AMF rappelle, ce matin, que ces dernières ne « représentent que 0,6 point de PIB dans les 6,1 points du PIB du déficit public ». « En réalité, explique-t-elle, le déficit public est nourri par le déficit de fonctionnement du budget de l’Etat » (pour environ 5 points de PIB), celui-ci ne cessant de « se creuser d’année en année depuis un demi-siècle ».
L’association regrette ainsi les conclusions de la Cour qui « tendent à stigmatiser » les collectivités, alors que la dette de ces dernières reste « contenue » - « à moins de 9 % du PIB depuis 1995 » - et « circonscrite au financement des investissements ». Contrairement à celle de l’État.
« Ce rapport semble ainsi détourner l’attention de l’opinion publique de la responsabilité de l’État dans cette situation », dénonce l’AMF qui rappelle que, « depuis 2010, le bloc communal a déjà supporté un effort financier considérable, avec une perte cumulée de DGF de 71 milliards d’euros ».
« Pendant ce temps, l’État a poursuivi une trajectoire de dépenses qui a largement grevé les finances publiques, notamment par des nationalisations d’impôts locaux », fustige-t-elle, en assurant que « les 6 milliards d’euros de nouvelles restrictions de la loi de finances pour 2025 [ponction de 2,2 milliards sur les recettes des collectivités, baisse du Fonds vert, hausse de la CNRACL…] risquent d’aggraver le déficit public en augmentant de façon mécanique le besoin de financement des collectivités, et donc au-delà du dynamisme des investissements ».
Rappelons que les gouvernements précédents de Gabriel Attal et de Michel Barnier avaient accusé, à tort, les collectivités de faire dérailler le déficit du pays de 16 milliards d'euros du fait de leurs dépenses en 2024. Le rapporteur du budget à l’Assemblée, Charles de Courson (Liot), l’évaluait, pour sa part, hier encore, à plutôt « 5 ou 6 milliards d’euros » , lors de l’audition de l’ancien ministre de l’Economie, Antoine Armand, devant la commission d’enquête chargée d’examiner les raisons de l’aggravation brutale du déficit public en 2023 et 2024.
Consulter le rapport de la Cour.
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