CNRACL : le gouvernement impose une augmentation de 12 points des cotisations, au mépris de toute concertation
Par Franck Lemarc

En plein milieu de la commission mixte paritaire qui doit trouver un compromis sur le budget pour 2025, le gouvernement a choisi de montrer son sens du dialogue à sa façon : il a fait paraître au Journal officiel un décret « relatif au taux de cotisations vieillesse des employeurs des agents affiliés à la CNRACL », qui rend effectif le projet annoncé depuis l’automne dernier : faire exploser les cotisations des employeurs à la CNRACL (caisse de retraite des agents hospitaliers et des collectivités locales).
+ 3 % chaque année pendant quatre ans
Chaque année, à partir de maintenant et jusqu’en 2028, ces cotisations augmenteront au 1er janvier de 3 points. Fixé jusqu’à présent à 31,65 %, le taux de cotisation passe donc immédiatement à 34,65 %, et continuera d’évoluer jusqu’à atteindre 43,65 % au 1er janvier 2028.
Pour cette année, la mesure est rétroactive, puisqu’elle s’applique « aux cotisations de Sécurité sociale dues au titre des périodes courant à compter du 1er janvier ». Alors que les traitements de janvier ont déjà été versés, il faudra donc que les employeurs fassent un rattrapage le mois prochain.
Cette mesure, annoncée en octobre (lire Maire info du 10 octobre dernier), avait dès le début provoqué la colère des employeurs territoriaux. À l’origine, le gouvernement prévoyait une augmentation de 12 points sur trois ans (dont 4 points par an). La seule concession qu’il a bien voulu faire, annoncée par Michel Barnier au congrès des maires, a été de l’étaler sur quatre ans, avec quatre augmentations de 3 points.
Cette mesure a bien évidemment été rejetée par les représentants des élus au Conseil national d’évaluation des normes – avis dont le gouvernement, comme souvent, n’a tenu aucun compte.
Le gouvernement passe par-dessus le Parlement
Outre la mesure elle-même, encore qualifiée ce matin « d’inique » par Murielle Fabre, la secrétaire générale de l’AMF, sur X, la méthode a de quoi surprendre.
Certes, la hausse du taux de cotisation à la CNRACL est une mesure réglementaire, qui peut donc en effet être prise par décret. Mais le gouvernement avait tout de même pris la peine de la faire figurer dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 afin de la faire valider par le Parlement, ce qui parait tout de même la moindre des choses eu égard aux enjeux financiers. À l’article 14 de ce projet de loi figurait donc l’approbation d’un « rapport annexe », lequel rapport contenait la mesure de hausse sur plusieurs années de la cotisation CNRACL.
Sauf que le PLFSS n’a jamais été voté, que le gouvernement Barnier a été renversé, et que le gouvernement Bayrou n’a pas eu plus de succès puisque le PLFSS a à nouveau été rejeté, mercredi dernier, en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
Qu’importe ! Faute de PLFSS et d’approbation du Parlement, le gouvernement a choisi le passage en force en publiant ce décret – décret qui est d’autant plus choquant qu’il prévoit bien d’un seul coup, sans aucune concertation avec les principaux concernés, une hausse étalée sur les quatre prochaines années.
Ce n’est pourtant pas faute, du côté des employeurs, d’avoir demandé à discuter. Le 18 décembre dernier encore, la Coordination des employeurs territoriaux et la Fédération hospitalière de France prenaient la plume pour écrire au nouveau Premier ministre, pour lui demander d’ouvrir « un espace de dialogue », non seulement sur cette hausse « porteuse d’incidences extrêmement lourdes pour les employeurs », mais plus généralement sur la situation financière de la CNRACL, pour aller vers une « remise à plat structurelle du système de retraite des agents ».
Le Premier ministre n’a même pas pris la peine de répondre.
Refus de discuter du fond
Sur le fond, les employeurs territoriaux et hospitaliers rappelaient que la situation financière de la CNRACL est de plus en plus désastreuse, avec « un solde 2024 (qui) devrait être déficitaire de 3,7 milliards d’euros, et un déficit projeté à 11,1 milliards d’euros en 2030 ». Le gouvernement a choisi de faire porter la charge de cette situation aux seuls employeurs, à un moment où la situation financière des collectivités est particulièrement contrainte, ce qui est déjà un problème – mais de surcroît, cette décision n’aura qu’un impact mineur sur les finances d’une caisse « devenue structurellement déficitaire ».
Les causes du déficit de la caisse sont en effet bien connues : on est passé, de 1980 à aujourd’hui, de 4,5 cotisants actifs pour un retraité à 1,4. Le nombre de plus en plus important de contractuels, qui ne cotisent pas à la CNRACL mais au régime général, pose également problème. Sans oublier que depuis les années 1970, la CNRACL est appelée à contribuer, au nom de la « compensation démographique », au redressement d’autres régimes de retraites déficitaires. La ponction opérée sur les finances de la caisse à ce titre s’élève au total à 100 milliards d’euros, ce qui l’a privée de toute possibilité de constituer un fonds de réserve. « Si ces prélèvements n’avaient pas été effectués, note d'ailleurs ce matin Philippe Laurent, maire de Sceaux et porte-parole de la Coordination des employeurs territoriaux, la CNRACL disposerait de réserves suffisantes pour tenir aux moins une dizaine d’années à taux de cotisation constants ». Le pire étant que la CNRACL, pourtant aujourd’hui déficitaire, continue de se voir prélever des fonds pour financer les autres régimes !
Ce sont donc bien « les collectivités (qui) vont devoir payer la mauvaise gestion de ce régime par l’État », s'indigne l'AMF dans un communiqué publié en fin de matinée. Car face à toutes ces problématiques cumulées, plutôt que d’accepter de lancer une réflexion de fond, le gouvernement a répondu par un coup de massue sur les employeurs territoriaux et hospitaliers, qui va se chiffrer en milliards d’euros. Et qui constituera, comme l’écrit ce matin la sénatrice des Yvelines Ghislaine Senée dans un communiqué ulcéré, « un transfert de dette de la CNRACL vers les collectivités et les hôpitaux ». Sans compter qu’à l’heure où le gouvernement ne cesse de demander aux collectivités de diminuer leurs recettes de fonctionnement, cette hausse va mécaniquement – et fortement – augmenter celles-ci.
Les employeurs avaient demandé au gouvernement, en décembre, de « surseoir » à la signature du décret le temps d’une réflexion sur une remise à plat globale du système de retraite des agents territoriaux et hospitaliers. Ils demandent notamment, rappellent l'AMF, de faire cesser les transferts financiers de la CNRACL vers les autres caisses, « de revoir l’équilibre démographique du régime et intégrer notamment les contractuels, d'aligner le financement de la politique familiale et d’invalidité sur les autres régimes... ».
Le gouvernement a répondu, à sa façon, préférant « céder à la facilité de la seule augmentation des taux de cotisation », comme l'écrit Philippe Laurent. Comment s’étonner, après, que la confiance des élus locaux envers l’État s’effrite à chaque fois un peu plus ?
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