Finances locales : certaines décisions de l'État provoquent « l'asphyxie » des plus petites collectivités, selon un rapport sénatorial
Par A.W.
« De nombreuses décisions unilatérales de l’État affectent, directement ou indirectement » les collectivités territoriales en « compromett[a]nt l’équilibre des finances locales dans un contexte budgétaire déjà largement contraint ». C’est la conclusion d’un rapport sénatorial publié en début de semaine, dans lequel ses auteurs formulent une dizaine de recommandations afin de « redonner aux élus locaux les capacités d’agir ».
Des élus qui deviennent des « auxiliaires de l’État »
A l’origine de ce travail, la mission d’information sénatoriale sur l’impact des décisions règlementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités territoriales, créée par le groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) – lui-même porté majoritairement par les Radicaux - , a ainsi analysé « l’impact concret » des décisions réglementaires et budgétaires de l'État.
Des décisions qui conduisent, pour certaines, à « l'asphyxie » des collectivités, et « singulièrement les plus petites d’entre elles », en les plaçant « dans une situation difficilement soutenable financièrement et qui accentue le sentiment général de découragement et de "désenchantement" chez les élus locaux ».
Certains d’entre eux considèrent ainsi qu’ils sont devenus des « auxiliaires » ou des « opérateurs » de l’État et qu’ils se retrouvent de facto privés de marges de manœuvres pour conduire les politiques publiques locales pour lesquelles ils ont été élus.
« Fièvre normative »
La mission - présidée par le sénateur LR Jérôme Bascher - confirme, dans un premier temps, « l’impact très négatif de la prolifération des normes règlementaires » pour les finances locales.
Et s’il n’existe toujours pas de « thermomètre [qui] permette de mesurer la fièvre normative », le triplement de volume du Code général des collectivités depuis 2002 est, à lui seul, révélateur de la « progression inquiétante des codes qui régissent l’activité des collectivités ».
Ces décisions réglementaires « imposent aux collectivités locales des contraintes de plus en plus abondantes, au risque de submerger les élus, voire de les placer face à des "injonctions paradoxales" en présence de normes contradictoires », explique l’auteure du rapport, la sénatrice de Lozère Guylène Pantel (RDSE).
En résulte l’apparition « de nombreux coûts induits pour les collectivités » estimés à 2,5 milliards d'euros en 2022, l'obligation croissante de faire appel à des juristes, mais également « la modification, le report, voire l’abandon des projets ». 82 % des élus interrogés estiment ainsi que « leur action est entravée ».
Entre « la règle du ZAN qui impose aux élus des contraintes disproportionnées » et « le principe selon lequel « le silence vaut accord » qui a été assorti de quelque 3 000 dérogations », les élus auditionnés ont rapporté à la mission de nombreux exemples, dont certains particulièrement « ubuesques ». C’est le cas « du poulailler mobile qu’un maire des Yvelines tente désespérément d’installer sur sa commune, se heurtant à la rigidité des règles d’urbanisme, ou encore celui d’un bénitier qu’on a demandé à un maire d’abaisser pour le rendre accessible aux personnes à mobilité réduite ».
Système de financement « de plus en plus instable »
Une « situation préoccupante » qui s’explique également par les décisions budgétaires de l'État, celles-ci ayant généré « un système de financement de plus en plus instable, caractérisé par une imprévisibilité des ressources et une perte progressive de l'autonomie fiscale des collectivités », du fait notamment de la suppression des impôts locaux.
Entre 2010 et 2023, ce sont « plus de 70 décisions » qui ont été prises sur la fiscalité locale complexifiant le financement des collectivités. D’autant que « la plupart des réformes budgétaires et fiscales ont été prises sans consultation des élus ou, lorsqu’il y a eu consultation, sans prises en compte des réserves émises par ces derniers ».
Concernant les ressources, les élus se retrouvent perdus « dans le maquis des règles applicables », que ce soit les critères de répartition de la DGF (« trop nombreux » et « mal compris » ) ou bien les « filets de sécurité » (trop « complexes » dans leur application).
Pour ce qui est des dépenses, les sénateurs soulignent que « nombre de décisions de l'État ont eu pour effet de les augmenter [revalorisation du point d’indice ou incitation à investir dans le cadre du plan de relance et du fonds vert, par exemple] tout en tentant, paradoxalement, de les encadrer », avec notamment les contrats de Cahors et leurs avatars successifs.
Réformer la DGF et l’indexer sur l’inflation
Afin de « mieux mesurer et de limiter l’impact des décisions règlementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités », la mission propose dix recommandations.
Elle recommande, d'abord, de renforcer le dialogue État-collectivités en rapprochant, voire en fusionnant le Comité des finances locales (CFL) et le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), mais aussi en expérimentant des « conférences de dialogue » dans certains départements et en simplifiant la procédure relative au droit de dérogation du préfet.
En parallèle, elle suggère de redonner des « marges de manœuvres financières et fiscales » à travers notamment « la redynamisation de la fiscalité locale » et la révision « en profondeur » des modalités de répartition de la DGF, ce dernier point étant un « préalable nécessaire à une indexation de [la DGF] sur l’inflation ».
Par ailleurs, la mission préconise l’inscription dans la Constitution d'une compensation financière équivalente pour toute nouvelle compétence entraînant une hausse des dépenses des collectivités.
« Seule une forte volonté politique permettra de redonner aux élus le "pouvoir d’agir", au cœur des principes de libre administration et de l'efficacité de l'action publique locale jusqu’au dernier kilomètre », estime la rapporteure, rappelant au passage que le Sénat et le gouvernement ont signé, le 16 mars dernier, « une charte inédite d’engagements, à l’occasion des États généraux de la simplification ». Et celle-ci de préciser que, « lors de son audition, Dominique Faure, ministre en charge des Collectivités territoriales a confirmé cette démarche, annonçant en outre la création expérimentale de conférences de dialogue élus/préfets ».
« Au regard des enjeux, ces premières étapes devront en appeler d’autres », conclue l’auteure du rapport.
Consulter le rapport « Etat et collectivités : les bons comptes feront les amis ! ».
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