Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 9 avril 2021
Laïcité

Financement des lieux de culte : le gouvernement veut « protéger les maires des ingérences étrangères »

Le gouvernement a présenté hier, au Sénat, un amendement au projet de loi portant sur le respect des valeurs de la République, clairement inspiré par la polémique née à Strasbourg après le vote, par le conseil municipal, d'une subvention à une mosquée dirigée par une association controversée. L'amendement a été adopté. Explications. 

Par Franck Lemarc

Dans un communiqué publié hier soir, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’est félicité de l’adoption « à l’unanimité »  par le Sénat de son amendement « renforçant la transparence sur les avantages accordés par les collectivités locales en vue de la construction de lieux de culte ». 

Ce qu'il s’est passé à Strasbourg

Lors de la discussion de cet amendement, hier, en séance publique, il est clairement apparu que la polémique de Strasbourg était au cœur du débat. Certains sénateurs l’ont reproché à Gérald Darmanin (« on ne fait pas de bonnes lois à partir d’une revue de presse », a cinglé le socialiste Jean-Pierre Sueur), à qui le ministre a répondu que « l’actualité nous éclaire utilement : je n’imaginais pas que dans notre République, une collectivité locale (…) décide de subventionner une ingérence étrangère sur le sol de la République. » 
Il faut donc rappeler ce qui s’est passé à Strasbourg : le 22 mars, le conseil municipal a voté une subvention de 2,5 millions d’euros pour permettre de relancer la construction de la future plus grande mosquée d’Europe, dans le quartier de la Meinau, la mosquée Eyyub Sultan, dont le chantier est à l’arrêt depuis cet hiver. Un tel financement, qui ne serait pas envisageable dans la plupart des communes du pays, est possible en Alsace-Moselle, concordat oblige. En soi, cette subvention n’est donc pas illégale. En revanche, ce qui pose problème au ministère de l’Intérieur, c’est que le projet de mosquée est porté par une association turque, Milli Görüs, considérée non seulement comme islamiste radicale mais également comme politiquement très proche du gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan. Cette association a refusé de signer la charte des principes pour l’islam de France et est considérée par les services de renseignements comme une organisation politique coupable « d’ingérence ». 
Cette délibération du conseil municipal de Strasbourg, dirigé par la maire écologiste Jeanne Barseghian, a provoqué la colère du ministre de l’Intérieur, qui assure que la maire avait été mise au courant par la préfète du caractère sulfureux de cette association. Le gouvernement a donc demandé à la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, de saisir le tribunal administratif de cette « délibération litigieuse », dont l’État « conteste la légalité ». Problème : on ne sait pas sur quel terrain juridique la « légalité »  de la délibération peut être attaquée, le ministre de l’Intérieur ayant lui-même déclaré sur BFMTV, fin mars, qu’en Alsace une collectivité « a le droit »  de prendre une telle décision. D’ailleurs, hier, au Sénat, le ministre a déclaré se faire « peu d’illusions »  sur la décision du tribunal administratif dans cette affaire, « le droit actuel étant insuffisant ». 

Mécanisme d’information

Au Sénat, une partie du débat a porté sur la délibération de Strasbourg, avec une vive polémique entre la sénatrice EELV Esther Benbassa accusant le gouvernement de faire de « l’écolo-bashing »  et affirmant que la maire de Strasbourg, « n’ayant pas de services de renseignements », ne pouvait connaître les activités de l’association en question ; et le ministre Darmanin, qui a soutenu que la maire avait été prévenue par la préfète et par lui-même, « personnellement ». 
La suite du débat a porté sur l’amendement lui-même. Celui-ci impose un mécanisme d’information obligatoire du préfet trois mois avant la conclusion de baux emphytéotiques administratifs par les collectivités locales « en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public, afin que le préfet puisse vérifier si l’association peut toujours être qualifiée d’association cultuelle ». « Un mécanisme similaire d’information préalable du préfet est prévu pour les garanties que les communes et les départements peuvent accorder aux emprunts contractés par les associations cultuelles pour financer la construction de lieux de culte », peut-on lire dans l’exposé des motifs. Ce dispositif serait étendu « à tout le territoire », y compris en Alsace-Moselle pour les garanties d’emprunt aux établissements publics du culte. 
Rappelons que les baux emphytéotiques et les garanties d’emprunt pour la construction de lieux de culte ne sont possibles, actuellement, que dans les territoires dits « en développement », c’est-à-dire ceux où l’augmentation rapide de la population nécessite la création de lieux de culte, comme l’a rappelé hier le sénateur de la Manche Philippe Bas. L’amendement propose l’extension de cette possibilité sur « tout le territoire », mais avec le « verrou »  de l’information du préfet qui garantira « la qualité cultuelle de l’association ». 

Pas de contrôle de légalité a priori

Gérald Darmanin s’est longuement exprimé sur cet amendement, rappelant qu’il souhaitait, à l’origine, « que le maire soit dépossédé du permis de construire sur les lieux cultuels au profit du préfet ». C’est en effet ce qui figurait dans le projet de loi initial. Mais le ministre a changé d’avis (« à regret » ), d’une part parce que « l’AMF ne le souhaitait pas  », et d’autre part parce qu’il « n’y a pas, en droit de l’urbanisme, de spécialisation, et cela aurait pu conduire à une censure du Conseil constitutionnel ». 
Le dispositif introduit par amendement permettrait, selon le ministre, que « avant le bail emphytéotique et la garantie d’emprunt, le préfet (puisse) retirer à l’association sa qualité cultuelle ». Ce qui permettrait de « ne pas toucher au droit des collectivités territoriales », sans instaurer « un contrôle a priori de légalité ». 
La plupart des sénateurs qui se sont exprimés ont affirmé leur soutien à ce dispositif, « profitable aux collectivités », « renforçant la protection des maires », « apportant une sécurité aux élus locaux ». 

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