Fessenheim : l'inquiétude des élus face à la « double peine »
Le gouvernement a donc confirmé mercredi, en Conseil des ministres, la fermeture totale de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) cette année, en deux temps : le premier réacteur sera éteint fin février, le second en juin. Du côté des élus locaux de la région, l’inquiétude croît face aux conséquences « cataclysmiques » de cette fermeture pour l’économie locale.
C’est Gérard Hug, maire de Biesheim et président de la communauté de communes Pays Rhin Brisach, qui parle de « cataclysme » pour le territoire. « Ce n’est bien sûr pas une surprise, explique-t-il ce matin à Maire info, puisque cela fait sept ou huit ans que l’on en parle. C’est une décision politique et non technique que l’État a prise… sans apporter de réponse aux questions que se posent les élus. » L’élément le plus urgent, pour les élus, est la question fiscale.
On se rappelle que depuis la suppression de la taxe professionnelle en 2009-2010, le gouvernement avait mis en place un système de compensation composé de deux parties, la DCRTP (dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle) et le FNGIR (fonds national de garantie individuelle de ressources). Les communes et EPCI qui, avec la création de la nouvelle CET (contribution économique territoriale), ont touché davantage que ce que leur rapportait la taxe professionnelle, considérées comme « gagnantes de la réforme » versent le surplus au FNGIR, qui redistribue ensuite les montants aux communes et EPCI lésés. Le système paraît juste… sauf que les montants (pour les « gagnants » comme pour les « perdants » ) sont figés. Autrement dit, si une entreprise quitte un territoire, la commune continuera de verser au FNGIR, et dans l’autre sens, si une entreprise s’installe sur un territoire, celle-ci continuera d'être attributaire du FNGIR.
C’est précisément ce dispositif qui pourrait frapper de plein fouet le territoire autour de Fessenheim : considérés comme « gagnants » dans la réforme de la TP, la commune et la communauté de communes versent, à eux deux, quelque 2,9 millions d’euros au FNGIR… et continueront donc de les verser après la fermeture, dénoncent les élus. « À long terme, cette centrale coûtera plus cher au territoire que ce qu'elle a pu rapporter durant sa période d'exploitation », souligne Gérard Hug. La continuation de ce prélèvement après la fermeture mettra les communes, explique l’élu, « dans une impasse financière grave ».
Cette question n’est pas nouvelle : bien des sénateurs et députés ont déjà interpellé le gouvernement sur ce qu’ils considèrent comme « une aberration ». L’un d’eux, Jean-Noël Cardoux, sénateur LR du Loiret, s’était attiré cette réponse pour le moins étonnante du ministère de l’Action et des Comptes publics, en novembre 2017 : confirmant que les montants des prélèvements et réversements sont « désormais figés », le ministre assénait : « Le dispositif du FNGIR n'a pas vocation à remédier aux conséquences fiscales des fermetures d'entreprises, ce qui contreviendrait aux principes d'autonomie fiscale et de territorialisation des ressources qui fondent le pouvoir fiscal des collectivités territoriales. »
Rappelons néanmoins que certaines mesures ont été adoptées dans la loi de finances pour 2019 à l’initiative du gouvernement, justement pour réduire l’impact de la fermeture de la fermeture de centrales nucléaires ou thermiques sur les collectivités concernées. L’article 79 de la loi de finances pour 2019 a en effet renforcé le dispositif de compensation des pertes « importante » ou « exceptionnelle » de contribution économique territoriale (CFE et CVAE), créé un dispositif de compensation similaire pour les pertes d’IFER et mis en place un dispositif de compensation horizontale sur 10 ans des pertes d’IFER nucléaire et thermique financé par les collectivités qui perçoivent l’IFER nucléaire ou thermique elles-mêmes. Cette compensation horizontale est totale pendant 3 ans, puis dégressive pendant 7 ans.
Si ce dispositif ne règlera pas le problème du FNGIR, il permettra au moins d'en atténuer les effets pour les communes ou les EPCI concernés.
« Double peine »
L’autre problème qui va frapper de plein fouet le territoire de Fessenheim est celui de l’emploi. La centrale représente « 1 500 emplois directs et indirects », explique Gérard Hug. Avec une spécificité : lorsqu’une usine ferme, les travailleurs deviennent certes chômeurs, mais ils ne quittent pas forcément le territoire. Alors que dans ce cas, les agents EDF vont être redéployés ailleurs, ainsi que toute une série de sous-traitants. Comme ils seront forcément accompagnés de leurs familles, cela représentera au final une véritable hémorragie d’habitants – avec toutes les conséquences que l’on imagine sur le commerce local, la fiscalité, l’animation des territoires. La seule chose à laquelle on puisse comparer un tel phénomène est la fermeture des casernes – Gérad Hug se rappelle d’ailleurs avec amertume qu’une des communes de la communauté a vu fermer, il y a 25 ans, une caserne d’un régiment du génie, et « qu’elle en paye encore aujourd’hui les conséquences ».
Face à cette « double peine » (fiscalité et exode massif des habitants), les élus se disent totalement démunis. L’élu souligne que « même la question du démantèlement de la centrale n’est pas claire ». Le seul élément certain est que la centrale, une fois fermée, sera « sacralisée » pendant … « un certain temps », que les élus ne connaissent pas, mais ce qui permettra au moins à la commune de continuer à percevoir de la taxe foncière. S’ils ont déjà mis au point un projet de revitalisation économique du territoire appuyé sur une nouvelle zone économique de 200 hectares, avec l’idée de créer une zone portuaire sur le Rhin, les élus attendent toujours les réponses à leurs questions. « Nous serions rassurés si l’État nous disait : ‘’Nous allons procéder à une revitalisation exemplaire’’. Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. »
F.L.
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