Fermeture des commerces de proximité : « l'incompréhension » des maires
Depuis vendredi et tout au long du week-end, la polémique a enflé : la décision de fermer certains petits commerces jugés « non essentiels » pendant le nouveau confinement, alors que les grandes surfaces restent ouvertes et leur font une concurrence directe, passe très mal auprès des commerçants et suscite « l’incompréhension » de bien des maires.
Distorsion de concurrence
On le sait depuis la parution du 29 octobre : si un certain nombre de commerces peuvent rester ouverts – notamment le commerce alimentaire, informatique, la téléphonie, les tabacs… – d’autres ont dû fermer leurs portes, en particulier les librairies, les magasins de jouets, les fleuristes (après le week-end de la Toussaint). Mais les hypermarchés qui, eux, peuvent rester ouverts, proposent le plus souvent dans leur rayons livres, jouets ou fleurs. Cette « distorsion de concurrence » a été dénoncée dès vendredi non seulement par les fédérations de commerçants mais par plusieurs maires, dont certains sont allés, ce week-end, jusqu’à prendre des arrêtés autorisant l’ouverture des commerces « non essentiels » sur le territoire de leur commune.
Ces arrêtés sont surtout « des messages envoyés au gouvernement », a expliqué ce week-end Philippe Laurent, maire de Sceaux et secrétaire général de l’AMF. Les maires qui les ont pris savent en effet qu’ils ne sont pas légaux et seront cassés par les préfets, puisqu’un maire ne peut pas prendre un arrêté remettant en cause un dispositif pris par décret. Mais beaucoup de maires ont voulu ainsi relayer l’angoisse profonde de certains commerçants, dont certains sont au bord de la faillite – voire, témoigne une maire ce lundi matin, « envisagent de mettre fin à leurs jours ».
Associations d’élus au diapason
C’est également vendredi que l’AMF a pris position dans ce débat, en publiant un communiqué appelant le gouvernement à « réexaminer la notion de commerce de première nécessité ». Sans prôner, évidemment, la prise d’arrêtés illégaux – les maires, expliquaient plusieurs d’entre eux ces dernières heures, se devant d’être « exemplaires » en tant que représentants de l’État dans leur commune – l’AMF relaye « l’incompréhension » que suscitent ces mesures et relève que « les critères ayant conduit à distinguer les commerces de première nécessité (…) et les autres sont à l’évidence difficiles à justifier au regard de l’application qui en est faite concrètement ». « Le commerce de centre-ville déjà fragilisé par le premier confinement est animé par des entreprises de petite dimension qui n’ont pas la capacité de résister à une chute brutale et persistante de leur activité sans que soit mise en danger leur existence même, poursuit l’association. Elles ne comprennent pas que des activités identiques aux leurs puissent être autorisées pour des entreprises de la grande distribution ou de la vente à distance, elles se trouvent ainsi placées dans une situation de grave déséquilibre de concurrence. »
En conséquence, les responsables de l’AMF « demandent au gouvernement de revoir rapidement la définition de commerce de première nécessité et de l’élargir, dès lors que les conditions de sécurité sanitaire permettent de préserver la santé des commerçants, de leurs salariés et de leurs clients ».
Cette position de l’AMF a été rejointe par la plupart des autres associations d’élus : l’APVF (petites villes) a par exemple demandé au gouvernement, à tout le moins, que soit préservé « le principe d’une concurrence équitable entre les grandes surfaces et les commerces de proximité ». Villes de France a appelé le gouvernement à « préserver les commerces de centre-ville », faisant elle aussi part de son « incompréhension » et pointant « la détresse des commerçants ». L’association appelle le gouvernement « à réviser sa position sur l’ouverture des commerces en centre-ville. »
Enfin, samedi, cinquante élus – de toutes tendances – des grandes villes ont demandé au gouvernement de « travailler rapidement à une solution » dans ce dossier.
Demande de concertation
La réponse du gouvernement est venue dimanche soir, au cours de l’interview du Premier ministre, Jean Castex, sur TF1. Elle n’a pas été celle que beaucoup de maires attendaient : les commerces jugés non essentiels resteront fermés au moins jusqu’au 15 novembre – date à laquelle le gouvernement a prévu une clause de revoyure. Le chef du gouvernement a promis un soutien « massif » aux commerçants, « pour ne pas qu’ils mettent la clé sous la porte ».
En contrepartie, Jean Castex a annoncé que le décret du 29 octobre allait être modifié, dès demain, pour que « la vente des produits qui sont d’ores et déjà interdits dans les commerces de proximité » soit également « interdite dans les grandes surfaces ».
Côté AMF, on souligne ce matin, après une réunion du comité directeur de l'association, que la priorité absolue des maires « reste naturellement la lutte contre l'épidémie », dont leur présence quotidienne sur le terrain leur fait ressentir toute l'urgence. L'association souhaite à présent que la clause de revoyure prévue par le gouvernement à la mi-novembre soit l'occasion de procéder à des « ajustements », dans un esprit de « concertation ». Car si des élus comme Philippe Laurent déploraient ce matin que le décret ait été pris sans concertation ni avec les maires ni avec les fédérations de commerçants, il reste possible que la clause de revoyure soit l'occasion de corriger le tir. Les responsables de l'AMF attendent donc d'être associés à ces discussions. Il y a là, insiste Philippe Laurent, « un vrai enjeu de confiance ».
Franck Lemarc
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