Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 23 avril 2025
Finances locales

Faute de budget adopté, le département de la Charente est dessaisi de ses pouvoirs budgétaires par la préfecture

Fait « très exceptionnel », le conseil départemental de Charente a échoué à trois reprises à voter son projet de budget du fait d'un blocage politique. La préfecture l'a donc mis sous tutelle en prenant la main sur ses finances. Ce sera à la Chambre régionale des comptes d'établir un nouveau budget pour ce territoire de 350 000 habitants.

Par A.W.

Le sursis accordé par la préfecture n’aura pas suffi. Pour la troisième fois en moins d’un mois, le conseil départemental de Charente n’a pas réussi, hier, à voter son budget pour l’année 2025 lors d’une réunion de la dernière chance. 

Avec 18 voix contre, 15 pour et cinq abstentions, la collectivité néo-aquitaine a donc vu son projet de budget de 615 millions d’euros définitivement retoqué, sur fond de blocage politique persistant au sein d'une majorité de gauche fissurée, dont certains élus ont préféré s’abstenir. 

Trois rejets

Prenant « acte de ce rejet », le préfet a annoncé, hier soir, qu’il mettait le département sous tutelle en prenant la main sur les finances charentaises. Une procédure rarissime, si ce n'est inédite pour un exécutif de cette envergure. Dans la foulée, il va charger les magistrats de la Chambre régionale des comptes (CRC), l’instance locale de contrôle financier, d’établir un nouveau budget pour ce territoire de quelque 350 000 habitants qui n’aura d’autre choix que de l’exécuter. 

Englué dans une crise politique, le président du département, Philippe Bouty (DVG), avait déjà été mis en minorité fin mars, avant d’être confronté, la semaine dernière, lors d’un deuxième vote perçu à ce moment-là comme le dernier possible, à un boycott de la part d’une majorité d’élus de l'assemblée locale. Ce qui avait empêché d’atteindre le quorum et donc l’adoption du projet de budget. 

Si l'exécutif avait en principe jusqu’au 15 avril pour faire adopter sa copie, la préfecture lui avait accordé un sursis afin de convoquer une ultime séance dans le but de faire voter son texte, en vain. Et cela en s’appuyant sur « une jurisprudence de 2007 »  qui actait que « dépasser la date fatidique du 15 avril n'est pas si grave, tant que le budget de la collectivité est adopté dans un "délai raisonnable" », selon Ici Charente, le nouveau nom de France Bleu.

Sans compter que le Code général des collectivités territoriales dispose que les nouvelles délibérations devenaient désormais « valables quel que soit le nombre de présents ». L’atteinte du quorum n’était donc plus nécessaire.

Pas de shutdown 

Que va-t-il se passer désormais ? Une fois saisie, la CRC aura un mois pour élaborer un nouveau projet de budget. « Il appartiendra ensuite au préfet, par arrêté, de régler le budget primitif et de le rendre exécutoire dans un délai de 20 jours », a rappelé la préfecture dans un communiqué.

« C’est une situation très exceptionnelle pour un département », avait déjà reconnu au début du mois le président de la Chambre régionale, Vincent Léna, dans un entretien à La Charente libre, celui-ci indiquant que « personne ne se souvient d’une telle procédure au cours de la décennie, même dans d’autres régions ». Selon La Croix, la Charente serait bien « le premier département à se retrouver dans cette situation », plus « habituelle […] pour des petites communes, pour des Ehpad », a souligné Vincent Léna, qui en dénombrait « plusieurs dizaines chaque année ».

Ce dernier s’est, toutefois, voulu rassurant puisqu’il « n’y aura pas de "shut down" en Charente ». Durant les presque deux mois qui vont venir, les dépenses de fonctionnement de l’année précédente seront prolongées : « On pourra lever les ordres de recettes, engager les paiements. Les actes de gestion au quotidien ne seront pas affectés. Le placement des enfants de l’ASE, le paiement des salaires des agents, le versement du RSA seront effectués », a-t-il expliqué, précisant que la CRC « n’intervien[dra] pas dans les choix politiques du département. On reconduit en fait a minima le budget de l’année précédente ».

Selon une note des services de l’État, si « l’assemblée délibérante est dessaisie de ses pouvoirs budgétaires dès la saisine de la CRC, [...] ce dessaisissement n’a ni pour objet ni pour effet d’interdire à l’assemblée délibérante et à son organe exécutif de prendre les actes de gestion nécessaires au fonctionnement de la collectivité ».

« Notre but, c’est que la collectivité retrouve le plus vite possible son pouvoir budgétaire. Mais elle ne pourra le faire que lorsque le budget aura été mis à exécution. Ce n’est qu’après qu’ils pourront voter une décision modificative, s’ils trouvent une majorité. Et voter un nouveau budget. À l’équilibre », a indiqué le président de la Chambre régionale.

Impasse politique persistante

En attendant, la crise politique s’approfondit puisque le groupe des élus de la majorité de gauche sécessionnistes et l'opposition demandent la démission de Philippe Bouty qui « n'a plus de majorité, ni de confiance au sein de l'assemblée ». Le chef de file de l’opposition, Jérôme Sourisseau (MoDem) a, en outre, annoncé vouloir « provoquer une session pour retirer ses délégations »  au président du département.

« Je ne me sens pas acculé à la démission pour une simple et bonne raison : ce budget était sincère », a avancé ce dernier, assurant qu’il demeure « garant de cette institution ». Rappelant « la situation [financière] de tous les départements de France », il a ainsi fait valoir qu’il allait « travailler très rapidement avec le préfet pour que les impacts soient les plus mesurés, ligne par ligne, point par point ». « La vie va continuer, le conseil départemental continue d’exister », a-t-il expliqué au micro de Charente libre TV, insistant sur les 2 400 agents du département qui sont « le véritable moteur de la collectivité… et le moteur va continuer à tourner ».

Reste que l’assemblée départementale semble, pour l’heure, se trouver dans une impasse politique. Si Philippe Bouty a estimé qu’il n’y a « pas de fracture »  définitive dans le groupe de la majorité, la sénatrice et conseillère départementale « sécessionniste »  Nicole Bonnefoy (PS) a, elle, considéré que la « rupture »  était bel et bien « consommée » .

 

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