Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 22 janvier 2025
Mayotte

Expropriations à Mayotte : l'Assemblée nationale rejette unanimement les propositions du gouvernement

Lors d'un vote qui a fait l'objet d'une rare unanimité transpartisane, les députés ont supprimé, hier, l'article 10 du projet de loi d'urgence pour Mayotte, qui laissait une grande latitude à l'État pour mener des expropriations sur l'île. Le ministre des Outre-mer a promis de retravailler cet article avec les parlementaires lors de la navette. 

Par Franck Lemarc

Il ne s’est trouvé qu’un seul et unique député, sur 167 votants, pour voter contre la suppression de l’article 10 du projet de loi d’urgence pour Mayotte. C’est dire si le dispositif proposé par le gouvernement a fait l’unanimité contre lui, des bancs les plus à gauche aux bancs les plus à droite de l’hémicycle.

L’article 10

De quoi s’agit-il ? L’article 10 prévoyait d’autoriser le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance « toute mesure relevant du domaine de la loi relative à l’occupation temporaire ou à l’expropriation définitive d’emprises foncières à Mayotte, dans l’objectif d’y faciliter la réalisation, dans les meilleurs délais, des ouvrages publics, des opérations d’aménagement, d’équipement, de démolition, de construction et de relogement ainsi que des travaux nécessaires à l’extraction des matériaux de construction indispensables à la réalisation de ces opérations ». 

Au moment du dépôt de ce texte, le gouvernement avait expliqué qu’il s’agissait de « lever certains obstacles liés aux spécificités mahoraises en termes de propriété foncière ». En effet, soulignait l’exécutif, il est souvent difficile à Mayotte « d’identifier formellement les propriétaires des terrains ». Or les procédures de droit commun, en matière de reconstruction, « requièrent l’identification préalable du propriétaire ». C’est donc tout simplement pour accélérer les choses, plaide le gouvernement, qu’il propose ces mesures d’expropriation. 

Mais cette proposition a soulevé l’indignation des élus mahorais, qui y ont vu une tentative de l’État de « mettre la main sur le foncier »  de Mayotte – l’ancien député Mansour Kamardine allant jusqu’à parler d’un dispositif « colonial »  et « raciste ».

Foncier à Mayotte : une cascade de difficultés

La question de la gestion foncière est particulièrement complexe à Mayotte, pour des raisons qui tiennent à l’histoire et aux pratiques coutumières. L’existence d’un cadastre suppose en effet celle d’archives remontant suffisamment loin en arrière – or de telles archives n’existent pas ou plus à Mayotte, pour plusieurs raisons. D’abord, à cause de la séparation de Mayotte des Comores lors de l’indépendance de celles-ci, en 1975. Petit rappel historique : jusqu’à cette date, ce que l’on appelait l’archipel des Comores était constitué de quatre îles, Grande-Comore, Mohéli, Anjouan et Mayotte, et constituait une colonie française. En 1974, lors d’un référendum d’indépendance, les habitants de Mayotte décident de rester français, alors que ceux des trois autres îles demandent leur indépendance, qui deviendra officielle un an plus tard. 

Avant cette date, la capitale de l’archipel était donc Maroni, sur l’île de Grande-Comore, et c’est là qu’étaient conservées les archives cadastrales de Mayotte depuis 1843. La plus grande partie de ces documents a été perdue au moment de l’indépendance des Comores, sauf quelques-uns qui ont été rapatriés à Mamoudzou. Pour ne rien arranger, lors des journées d’émeutes de février 1993, des manifestants ont incendié un certain nombre de bâtiments publics, dont celui qui contenait les quelques archives restantes, qui ont été irrémédiablement perdues. 

Par ailleurs, une tentative d’attribution des terres aux familles locales a été menée dans les années 1930 par l’État, de façon particulièrement désinvolte – ce qui a conduit à ce qu’aujourd’hui, selon une enquête officielle, deux tiers des titres de propriété à Mayotte « présentent des dysfonctionnements »  et quelque 60 000 parcelles seraient tout simplement dépourvues de titres de propriété. 

Dernière difficulté : des pratiques coutumières qui favorisent la division héréditaire des terres sans passer par les canaux notariaux, décrites ainsi en 2018 par le député Serge Letchimy : « Des cascades de successions ouvertes et de partages officieux sur plusieurs générations, rassemblant des centaines d’ayants droit indivisaires. »  Exemple le plus frappant, cité par le ministre Manuel Valls à la tribune de l’Assemblée hier : la commune de Chiconi, au centre-ouest de Mayotte, où « l’indivision concerne les trois quarts du territoire communal, couvert par deux titres de propriété seulement ! ». Ces deux titres regrouperaient quelque 75 indivisaires… Malgré le régime particulier applicable à Mayotte, dit « régime d’immatriculation », « de nombreux Mahorais ont poursuivi les transmissions informelles de biens, de façon tout à fait légale mais intraçable », a poursuivi Manuel Valls. 

C’est la somme de ces difficultés qui a poussé le gouvernement à proposer cet article 10 dans le projet de loi, puisque « la difficulté à identifier les propriétaires des terrains à acquérir à Mayotte rend quasiment impossible, ou à tout le moins très difficile, la mise en œuvre des expropriations », plaide Manuel Valls. Il a donc proposé cette ordonnance qui permettrait d’éviter « un blocage lié à l’identification définitive des propriétaires, qui pourrait demander plusieurs années et empêcher le lancement des opérations qui s’imposent ». 

« Mettre la main sur le foncier » 

Las : cette disposition a fait bondir de nombreux députés. « Le fait que le gouvernement souhaite passer outre l’obligation d’identifier et d’indemniser les propriétaires avant de les exproprier pour mener des opérations de reconstruction nous paraît donc disproportionné et attentatoire au droit. (…) Elles donneraient lieu à une véritable dépossession », a plaidé la députée LFI Nadège Abomangoli (Seine-Saint-Denis). Estelle Youssoufa, députée mahoraise, s’est montrée particulièrement véhémente, soulignant que le gouvernement, en rédigeant l’article 10, n’a même pas mentionné que ces expropriations hors droit commun ne devraient se faire que dans le cadre des dégâts dus au cyclone. Résultat, selon la députée : « L’article 10 a bien pour but de rendre possibles les expropriations à Mayotte, ce qui permettrait de construire n’importe quoi et de mener à bien des projets qui n’ont rien à voir avec le cyclone. »  Et d’aller plus loin : « L’État est minoritaire, en matière de possession foncière, à Mayotte : ne possédant que 15 % du foncier mahorais, il essaie de s’approprier le reste depuis plusieurs décennies. (…) L’État, minoritaire, cherche à mettre la main sur le foncier, au détriment de populations dont c’est la seule richesse. » 

Maud Petit (Les Démocrates, Val-de-Marne), a reconnu que « les Mahorais craignent de ne plus pouvoir conserver leurs terres. »  Philippe Gosselin, pour Les Républicains, s’est montré plus nuancé que certains de ses collègues, affirmant qu’il faut tout de même que « l’État puisse avancer ». Mais, a-t-il poursuivi, « nous ne sommes pas prêts à donner le sentiment que l’État serait tout-puissant et pourrait exproprier à tour de bras ». Le député GDR de La Réunion, plus direct, a annoncé que son groupe ne laisserait pas « l’État faire main basse sur les terres mahoraises ». 

Face à cette avalanche de critiques, et tout en niant avec véhémence avoir des intentions cachées, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a accepté de revoir sa copie, reconnaissant même des « imprécisions »  dans la rédaction de cet article. Il s’est engagé à récrire cet article lors de la navette, avec les parlementaires et en tenant compte de l’avis des élus locaux, pour « trouver la bonne solution, sans imposer ». 

Il n’avait de toute façon guère le choix : les amendements de suppression de l’article 10 ont été votés à la quasi-unanimité. 

Le projet de loi d’urgence sur Mayotte sera adopté par l’Assemblée nationale cet après-midi avant de partir au Sénat. Maire info reviendra sur le texte issu des travaux de l’Assemblée dans une prochaine édition. 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2

S'ABONNER GRATUITEMENT NOUS ÉCRIRE
PARTAGER
IMPRIMER
Retrouver une édition

  • avril 2025
    lumamejevesadi
    31123456
    78910111213
    14151617181920
    21222324252627
    2829301234
    567891011
  • 00:00
Accéder au site