Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 14 mai 2024
Nouvelle-Calédonie

Explosion de violence en Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie, et plus particulièrement l'agglomération du Grand Nouméa, est depuis hier le siège de violents affrontements, d'émeutes et de pillages. Le couvre-feu a été décrété hier soir. Ces événements sont en lien avec le débat parlementaire qui a lieu, en métropole, sur le « dégel » du corps électoral. Explications. 

Par Franck Lemarc

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© NC La 1ere

La situation s’est brutalement tendue hier, lundi 13 mai, en Nouvelle-Calédonie, à la fin d’une manifestation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle actuellement en cours de discussion au Parlement. En quelques heures, les choses ont dégénéré dans toute l’agglomération de Nouméa : ce matin, selon le Haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, le bilan fait état de 50 commerces ou entreprises brûlés, 11 policiers et 35 gendarmes blessés et des dizaines d’interpellations. Les images qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des incendies très violents, dont un a ravagé l’une des principales usines de l’agglomération et un autre un supermarché, et une épaisse fumée noire au-dessus de Nouméa. Un complexe sportif celui du quartier Magenta de Nouméa, aurait été entièrement détruit par les flammes. Des pillages ont eu lieu, et les forces de l’ordre disent avoir essuyé des tirs « d’armes de gros calibre ». 

Un couvre-feu a été prononcé de 18 h à 6 h, qui sera reconduit « autant que nécessaire », les rassemblements sont désormais interdits sur toute l’agglomération du Grand Nouméa, et la vente d’alcool est interdite sur tout l’archipel. Le Haut-commissaire appelle « la population à rester à son domicile dans les heures à venir ».

Tous les internats de la province nord ont été fermés « en raison de nombreuses perturbations ». Tous les établissements scolaires du grand Nouméa ont été fermés et la maire de Nouméa, Sonia Lagarde, a dit cette nuit craindre une situation de « guerre civile ». Le Haut-commissaire Louis Le Franc ne se montre guère plus optimiste, en déclarant que l’archipel « court tout droit vers l’abîme ». 

Depuis Paris, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a annoncé cette nuit l’envoi en urgence de renfort du Raid et de la CRS-8, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines. 

Appels au calme

De nombreux appels au calme ont été lancés ces dernières heures, y compris par les autorités coutumières : le Sénat coutumier lance ce matin « un appel solennel à la jeunesse du pays »  pour « préserver la paix sociale », demandant aux jeunes de faire preuve « de retenue et de civisme ». Le Sénat coutumier, néanmoins, ne mâche pas ses mots pour accuser le gouvernement d’avoir jeté de l’huile sur le feu et de chercher « le passage en force ». 

De même, le Conseil national des chefs – institution kanake – vient de lancer un appel « au calme et la sagesse », tout en implorant les parlementaires français « de faire preuve de lucidité et de sagesse afin d’éviter l’embrasement de la situation et le chaos dans le pays ». 

L’intersyndicale de l’industrie du nickel, enfin, a communiqué en début de matinée (heure de métropole) et se dit « extrêmement choquée par le déferlement de violence en cours ». 

« Dégel »  du corps électoral

Cette explosion de violence survient alors que l’archipel est secoué, depuis des semaines, par des manifestations organisées par les indépendantistes contre la réforme constitutionnelle actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale. La volonté du gouvernement, rappelons-le, est d’organiser le « dégel »  de la liste électorale « spéciale »  mise en place après les accords de Nouméa de 1998. 

Rappelons que la Nouvelle-Calédonie, depuis les accords de Nouméa de 1998, a la particularité d’avoir non pas une mais deux listes électorales : la liste générale, qui ouvre le droit de participer aux élections nationales (présidentielle, législatives, etc.) ; et la liste spéciale, qui permet de voter aux élections provinciales. Pour être inscrit sur la liste spéciale, plus restreinte que la liste générale, il fallait remplir un certain nombre de conditions fixées en 1998 : à l’époque, notamment, il fallait être établi en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans. 

En 2007, il a été décidé de « geler »   cette liste spéciale en l’état où elle était en 1998. Elle n’a donc pas bougé depuis et reste bloquée à environ 178 000 électeurs, à comparer aux presque 221 000 que compte la liste générale. 

Cette différence est le nœud du problème : le gel de la liste aux chiffres de 1998 signifie que tout citoyen français qui s’est installé en Nouvelle-Calédonie se voit privé du droit de participer aux élections provinciales, même s’il y réside constamment depuis 26 ans, voir s’ils y sont nés. En 2007, il n’y a avait qu’environ 8 000 électeurs inscrits sur la liste générale mais ne pouvant participer aux élections provinciales. Aujourd’hui, ce nombre dépasse les 42 000. Une situation que l’exécutif juge « intenable ».

Du côté des indépendantistes, cette réforme est vue comme une manœuvre pour augmenter l’influence et le poids électoral des adversaires des « loyalistes »  et « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak ». 

À la colère contre cette réforme se mêlent la colère sociale dans un archipel où plus de 25 % des jeunes sont au chômage et où la crise du nickel – principale ressource économique de la Nouvelle-Calédonie – provoque les plus vives inquiétudes. Témoin de cette crise : la « mise en sommeil », le 1er mars, de l’une des trois plus grosses usines du secteur, KNS, dont les actionnaires ont jeté l’éponge face à la baisse générale des cours et au développement fulgurant de leurs concurrents indonésiens. 

Incident de séance

Pendant ce temps, en métropole, le débat parlementaire joue les prolongations : hier, l’avalanche d’amendements venus de l’opposition de gauche a empêché l’adoption de la réforme constitutionnelle en première lecture dans le calendrier imparti : le vote solennel qui devait avoir lieu cet après-midi pourrait être repoussé. 

Hier soir, à l’Assemblée nationale, les débats ont été marqués par un incident ubuesque : le déclenchement d’une alerte FR-Alert, sur tous les téléphones des députés et alors que le ministre de l’Intérieur était en train de s’exprimer. Ce dispositif, qui permet de faire retentir une sonnerie stridente sur tous les smarphones bornant dans une zone donnée, même s’ils sont en mode « avion », est fait pour être utilisé en cas de risque extrême (catastrophe naturelle, attentat, etc.). L’alerte d’hier soir, envoyée dans plusieurs arrondissements parisiens dans le périmètre de sécurité de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques – périmètre dont fait partie l’Assemblée nationale –, se contentait de … donner le lien permettant aux riverains de demander un « pass »  pour accéder au secteur pendant les Jeux. 

Le fait d’utiliser ce canal d’extrême urgence pour faire passer un simple message d’information a de quoi interroger, alors qu’elle n’a en revanche pas été utilisée, récemment, pour des incidents autrement plus graves, comme l’énorme incendie de l’usine de batteries de Viviez, dans l’Aveyron, le 17 février dernier. D’autant que le ministre de l’Intérieur, qui a tenté d’éteindre l’alerte sur son smartphone pendant qu’il s’exprimait dans l’hémicycle, n’était manifestement pas au courant de cette initiative de la préfecture de police de Paris. 

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