Écologie : comment les sénateurs veulent verdir le numérique
Responsable de « 3,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde en 2018 », le numérique, dont la croissance s’accélère avec la montée en puissance de l’internet des objets et les émissions des data centers, pourrait, si rien n’est fait, polluer en France en 2040 davantage que le transport aérien en 2019 (6,7 % des émissions de gaz à effet de serre contre 4,7 % pour le transport aérien). Un croisement des courbes lourd de sens qui oblige à une « prise de conscience », selon un rapport de la mission d’information sénatoriale sur l’empreinte environnementale du numérique, publié le 24 juin.
« Prise de conscience des utilisateurs du numérique »
Or force est de constater que le numérique est, jusqu’à présent, réduit au rang « d’angle mort des politiques environnementales et climatiques ». Il n’est d’ailleurs sous le coup d’aucune « stratégie transversale publique visant à en atténuer les impacts environnementaux », déplorent Patrick Chaize (Ain, Les Républicains), Guillaume Chevrollier (Mayenne, Les Républicains) et Jean-Michel Houllegatte (Manche, PS). Les sénateurs proposent d’y remédier et formulent 25 propositions pour un numérique plus vert, dont les collectivités et tout un chacun pourront se saisir.
Pour accompagner le numérique « vers un modèle plus vertueux », proposition qui figure également parmi celles de la Convention citoyenne pour le climat, « la connaissance du public sur ce sujet doit être développée » via une « grande campagne de sensibilisation incitant les utilisateurs à adopter les gestes numériques éco-responsables », affirment les sénateurs qui proposent aussi le développement d’une application « leur permettant de calculer leur empreinte carbone individuelle ».
Les acteurs publics « doivent également intégrer l’enjeu environnemental dans leur stratégie numérique », poursuivent-ils. Cette intégration passerait par la construction « d’un cadre méthodologique d’évaluation environnementale des projets smart, mis à disposition des collectivités territoriales, avec un soutien financier de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ».
Une limitation du renouvellement des terminaux
La réduction de l’empreinte carbone du numérique en France passera, par ailleurs, « par une limitation du renouvellement des terminaux, alors que la durée de vie d’un smartphone est aujourd’hui de 23 mois ». La fabrication et la distribution (la « phase amont » ) de ces terminaux utilisés en France engendrent, en effet, 86 % de leurs émissions totales et sont « responsables de 70 % de l’empreinte carbone totale du numérique en France ». Une proportion « bien supérieure aux 40 % que l’on observe au niveau mondial ».
Les sénateurs invitent donc le gouvernement à « taxer les externalités négatives liées à la fabrication des terminaux par l’introduction d’une taxe carbone aux frontières européennes », à « renforcer les sanctions existantes pour obsolescence programmée » et « la lutte contre l’obsolescence logicielle » et « surtout à favoriser le réemploi et la réparation des terminaux, via la mise en place d’un taux de TVA réduit sur ces activités ». L’activation du levier de la commande publique pourrait aussi contribuer à renforcer les marchés de réemploi et de réparation. Ainsi, « une clause de réemploi ou un lot réemploi pourrait être intégré dans les appels d’offres publics d’achats numériques ».
Les données, « une ressource nécessitant une gestion durable »
Preuve que le sujet gagne en importance : l’Arcep a, pour la première fois, consacré un chapitre à l’impact environnemental du numérique dans son rapport sur l’état de l’internet en France et annoncé la publication prochaine d’un « baromètre vert » pour « mettre à disposition du public les données les plus pertinentes sur l’empreinte environnementale des réseaux, des terminaux et des usages ».
De la même façon que pour les terminaux, les sénateurs, considérant les données comme « une ressource nécessitant une gestion durable », préconisent la limitation de certains usages. La régulation de l’offre des forfaits téléphoniques, « par l’interdiction des forfaits mobiles avec un accès aux données illimitées », ou un encadrement des usages vidéo (le streaming « provoque un important phénomène de fuites carbone » ) sont des pistes à suivre pour les sénateurs. Comme celle d’améliorer l’écoconception des sites et services numériques, en la rendant « obligatoire à moyen-terme pour les administrations et les grandes entreprises ».
« Sobriété » des data centers et « évaluation de l’impact environnemental de la 5G »
La mission d’information appelle, en outre, « à améliorer la performance énergétique et la sobriété des data centers (centres informatiques) », responsables de 14 % de l’empreinte carbone du numérique en France (elles pourraient croître à 86 % d’ici 2040), et des réseaux. Elle recommande ainsi de « favoriser l’installation de data centers en France – qui dispose d’un mix énergétique peu carboné – en renforçant l’avantage fiscal existant et en le conditionnant à des critères de performance environnementale et de faire des data centers des leviers de flexibilité énergétique permettant de stocker l’électricité des installations d’énergies renouvelables intermittentes » et insiste sur la nécessité d’atteindre les objectifs du plan France très haut débit pour améliorer la connectivité fibre, « réseau le moins énergivore ».
Pour ce qui concerne la 5G, dont les enchères permettant son déploiement devraient être organisées en septembre 2020, les sénateurs « regrettent qu’aucune évaluation de l’impact environnemental de cette nouvelle technologie mobile n’ait encore été mise à disposition du public et des parlementaires ». Ils demandent, par conséquent, que la 5G fasse l’objet d’une étude d’impact complète, « intégrant les effets de la technologie sur les consommations énergétiques des opérateurs, mais aussi les effets induits sur la fabrication et sur le renouvellement des terminaux, ainsi que les impacts sur les consommations des data centers ».
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a demandé le 10 avril au Haut Conseil pour le climat de procéder à cette étude réclamée par de nombreux élus écologistes. A peine avait-il fini de célébrer sa victoire à l’élection municipale dimanche soir que le futur maire écologiste de Bordeaux (Gironde), Pierre Hurmic, défendait, sur RTL, l’idée que « la 5G mérite un vrai débat » qui ne doit pas être « le fait du prince » et qu’il faut « indiquer à nos concitoyens quels sont ses dangers ». La métropole bordelaise fait partie des territoires français retenus par l’Arcep pour tester une plateforme d’expérimentation 5G dans les prochains mois.
Ludovic Galtier
Télécharger le rapport des sénateurs.
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