Territoires d'industrie : un bilan mitigé pour un programme qui n'a pas su enrayer le déclin de nombreuses régions
Par A.W.
Un renforcement de la coopération locale, mais des financements insuffisamment priorisés et un impact sur l’emploi encore « difficile à mesurer ». Devant l’absence d’évaluation globale du dispositif « Territoires d’industrie », et alors qu’une nouvelle phase du programme a été lancée en 2023 avec 183 intercommunalités labellisées (contre 149, lors de la première phase), la Cour des comptes vient de réaliser et de publier son propre état des lieux.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas aussi louangeuse que le précédent gouvernement lorsque, il y a un an, l’ancien ministre de l’Industrie, Roland Lescure, vantait l'« excellent » bilan du programme en assurant que cette démarche était « extrêmement efficace ».
Pour rappel, ce programme vise à accompagner les territoires les plus industriels du pays dans leur démarche de reconquête industrielle, en favorisant l’accès prioritaire des entreprises et des collectivités aux services et aux financements proposés par l’État. Pour la deuxième phase, qui doit se poursuivre jusqu’en 2027, il a été prévu une enveloppe de 500 millions d’euros sur cinq ans provenant du Fonds vert (dont le montant devrait être largement réduit en 2025).
Coopération locale renforcée
Point satisfaisant tout d’abord : le programme a eu un « effet positif » sur la coopération locale et la mobilisation des acteurs locaux. Celui-ci a, en effet, notamment permis de créer « un espace d’échange sur les enjeux industriels ».
Alors qu’ils ne regroupaient que 48 % des entreprises industrielles, « les territoires d’industrie ont représenté plus des deux tiers des projets bénéficiaires du fonds » d’accélération des investissements industriels, « signe du renforcement de la coopération locale », constate la Cour.
« La logique initiale, visant à territorialiser les politiques industrielles de l’État en s'appuyant sur les coopérations locales et les initiatives des entreprises, a prouvé son efficacité, bien que des ajustements significatifs soient nécessaires pour mieux mobiliser les opérateurs », relève ainsi l’institution de la rue Cambon.
Financements : pas de priorité pour les territoires labellisés
Sur sa capacité à débloquer des financements, le rôle du programme semble avoir été bien plus « limité », aux yeux de la Cour. L’institution observe ainsi que « la priorisation » des financements (à hauteur de 1,4 milliard d’euros) annoncée par le gouvernement en 2018 en direction des Territoires d’industrie « n’a pas eu lieu, ni dans le nombre et le montant des interventions, ni dans les délais d’instruction des dossiers ».
De manière générale, les opérateurs n’ont pas donné la priorité à ces territoires puisqu’ils n’ont « pas intégré la géographie du programme dans leur activité et n’ont pas fait évoluer leurs modalités d’intervention ».
Les régions pas concertées au démarrage
En parallèle, le programme a pâti d’un « suivi financier insuffisant » et d’une « faible association » des régions au démarrage, notent les magistrats financiers.
« Alors que la loi a renforcé le rôle des régions en matière de développement économique, l’État ne les a pas associées ou même consultées lors de la conception et du déploiement du programme, dont il leur a pourtant donné le pilotage », déplorent-ils, constatant, dans ces conditions, qu’elles ont « accueilli avec réserve voire réticence ce qui pouvait être considéré comme une volonté de l’État de déployer un programme sans moyen supplémentaire et dont la gestion opérationnelle reposerait sur les collectivités territoriales ». La crise sanitaire a, toutefois, davantage permis d’impliquer les régions via le Fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires, qui a « fortement bénéficié aux Territoires d’industrie ».
Reste que les intercommunalités labellisées ont « notablement augmenté » leurs dépenses d’action économique sur la période 2018-2023 (+ 16 %) alors que, dans le même temps, « ces dépenses diminuaient (- 8 %) dans les autres territoires ».
Impact non visible sur l’emploi
Sur le front de l’emploi, là aussi le bilan n’est pas particulièrement flatteur. Malgré la fin des destructions d’emplois industriels à l’échelle nationale, « de nombreux territoires d’industrie ne sont pas parvenus à enrayer le déclin des années précédentes et ont continué à détruire des emplois industriels », contrairement aux autres territoires.
Résultat, cette situation a « accentué le déséquilibre territorial » puisque si les territoires d’industrie ont concentré 44 % des créations d’emplois industriels, ils ont aussi rassemblé 71 % des destructions entre 2018 et 2023.
« Ces territoires ont non seulement été plus marqués par la désindustrialisation mais ils ont aussi plus faiblement profité de la reprise des créations d’emplois, ce qui a accentué le déséquilibre entre territoires », expliquent les magistrats financiers qui constatent que, « depuis 2018, l’industrie a créé 47 782 emplois, situés pour 89 % hors des territoires d’industrie, qui n’ont bénéficié que de 5 445 créations nettes d’emplois ».
« Alors que l’emploi industriel a progressé en moyenne de 0,4 % par an entre 2018 et 2022, il n’a augmenté que de 0,1 % par an dans les territoires labellisés, contre 0,8 % dans les autres territoires », ajoutent ces derniers.
Cependant, le nombre d’entreprises industrielles diminue un peu moins dans les territoires labellisés et leur situation financière y est « en moyenne meilleure que dans les autres territoires », constate la Cour, pour qui cette amélioration pourrait être liée à « une modernisation de l’appareil productif industriel, que de nombreux dispositifs publics nationaux et locaux visent à accompagner ».
Il n’est, toutefois, « pas possible » d’établir des liens de causalité avec le programme, expliquent les magistrats financiers, qui notent que les impacts sur l’emploi industriel et les trajectoires des entreprises restent « difficiles à mesurer, nécessitant plus de temps ».
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