La transition écologique risque d'aggraver les inégalités territoriales en matière d'emploi, selon un rapport
Par Franck Lemarc
L’économiste Jean Pisani-Ferry a été missionné en septembre dernier par la Première ministre pour coordonner un rapport d’évaluation sur « les impacts macroéconomiques de la transition climatique ». Ce rapport a été élaboré avec l’Inspection générale des finances et France Stratégie. Remis hier à Élisabeth Borne, ce travail se décline en onze rapports thématiques, dont un, réalisé avec la Dares, se penche sur la question de l’emploi.
Réallocation
La transition écologique va à la fois détruire et créer des emplois. Tout l’enjeu des années à venir est « d’anticiper » ces mutations et de travailler à la « réallocation » des emplois. C’est la principale conclusion du rapport thématique publié hier.
L’impact de la transition écologique se fait déjà sentir dans un certain nombre de secteurs, notamment industriels : l’industrie automobile, avec le passage du véhicule thermique au véhicule électrique, s’apprête à payer un lourd tribut en termes d’emplois. Il en ira probablement de même, dans les années à venir, dans les secteurs de l’aéronautique et de l’énergie.
Parallèlement, de nouveaux secteurs vont se développer, certain de façon provisoire, d’autres de façon plus pérenne. S’il est évident que la rénovation thermique des bâtiments va amener de très nombreuses créations d’emplois, ce chantier n’aura qu’un temps : une fois l’ensemble du parc rénové, les besoins seront mécaniquement moindres. En revanche, des métiers comme la production et la mise en œuvre d’installations de production d’énergie renouvelable, l’économie circulaire, le traitement de déchets, etc., semblent promis à un avenir plus durable.
Toute la question qui va se poser dans les décennies à venir, expliquent les auteurs du rapport, est celle de la réallocation des emplois, autrement dit : comment réorienter les travailleurs dont l’emploi va disparaître vers les nouveaux métiers qui seront accélérés par la transition écologique ?
Le rapport identifie un certain nombre de « barrières », comme par exemple le fait que « les métiers les plus concernés par des créations d’emplois induites par la transition peuvent en effet être des métiers peu attractifs, de par leurs conditions de travail ou leur niveau de rémunération ».
Autre difficulté à venir : la dimension « territoriale ». Les réallocations d’emploi vont certainement supposer une certaine mobilité géographique. Au risque de voir des régions où, aujourd’hui, sont concentrés de nombreux emplois industriels, subir une nouvelle vague de désindustrialisation et de chômage. On pense par exemple à la région du Valenciennois, où sont concentrés de grosses usines de montage de l’automobile (Toyota, Renault, PSA-Stellantis) : « Si le développement d’activités de réassemblage permettrait de maintenir ou de développer des emplois dans quelques bassins d’emploi industriels, certaines filières très concentrées territorialement pourraient voir leur emploi se réduire assez nettement », craignent les rapporteurs.
Gagnants et perdants
Tout n’est pas sombre cependant : toutes les études prises en compte dans le rapport prévoient, à un degré ou à un autre, un effet positif de la transition écologique sur l’emploi – une des études citées évoque, d’ici 2050, la destruction de 800 000 emplois et la création de 1,1 million d’emplois, soit un solde positif de 300 000.
Une grande partie des emplois créés le seront dans la construction, mais aussi dans l’agriculture, si celle-ci devient moins intensive, dans l’économie circulaire et dans le secteur du bois. A contrario, outre l’industrie automobile, le secteur des transports devrait très largement pâtir de la transition écologique. La diminution des transports routiers devrait déjà faire perdre quelque 10 000 emplois à ce secteur d’ici 2030, mais ce chiffre pourrait atteindre les 100 000 emplois détruits à plus long terme, du fait d’une baisse importante de la mobilité, due notamment au développement du télétravail et des circuits courts.
En conclusion, l’étude estime donc que la transition écologique aura un impact « relativement faible » sur « le niveau agrégé d’emploi », c’est-à-dire le nombre total de travailleurs, puisque les destructions seront compensées par des créations. En revanche, les réallocations de main-d’œuvre entre secteurs pourraient créer « des frictions plus ou moins marquées sur le marché du travail ». L’un des enjeux essentiels sera celui de la répartition territoriale des destructions et des créations d’emplois : « La transition écologique pourra conduire à un renforcement des fragilités territoriales existantes si les emplois détruits sont concentrés dans des zones peu denses et/ou déjà touchées par la désindustrialisation des années 2000 ».
Dans ce contexte, concluent les rapporteurs, « les politiques publiques devront se concentrer sur l’anticipation des nouveaux besoins en compétences, l’accompagnement des demandeurs d’emploi, l’amélioration des conditions de travail des salariés exposés et l’adéquation des offres de formation aux besoins des entreprises et aux territoires. »
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