Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 26 juin 2020
Ecole

La proposition de loi sur les directeurs d'école repose la question de la répartition des compétences

La proposition de loi « créant la fonction de directeur d’école », portée par la députée LaREM du Val-d’Oise Cécile Rilhac avec le plein soutien du gouvernement, a été adoptée à l’Assemblée nationale dans la nuit de mercredi à jeudi. Après son passage en commission et en séance publique, elle a été largement remaniée, et certains éléments qui « inquiétaient fortement »  l’AMF – dixit Agnès Le Brun, maire de Morlaix, auditionnée sur le sujet par les députés – ont été modifiés. 
Si un nom a été prononcé à de nombreuses reprises pendant le débat en séance publique, c’est celui de Christine Renon – cette directrice d’école de Pantin (Seine-Saint-Denis) qui s’est donnée la mort à 58 ans le 23 septembre dernier dans le hall de son école. Christine Renon laissait derrière elle une lettre en forme de réquisitoire, disant son « épuisement », sa « solitude »  dans l’exercice de son métier, avec cette conclusion terrible : « Je n’ai pas confiance dans le soutien et la protection que devraient nous apporter notre institution. Je laisse à la cellule [de crise] de l’Éducation nationale le soin de gérer au mieux le mal-être qui va faire suite au choix du lieu de ma fin de vie. » 

Cheval de Troie
L’auteure de la proposition de loi comme le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ont rendu hommage à la directrice d’école en présentant ce texte, le ministre rappelant qu’après ce suicide, il avait décidé de remettre à plat la question de la fonction des directeurs d’école selon plusieurs axes : recentrer leurs missions sur « le pilotage de l’école », « accroître leur autonomie »  et « renforcer leur accompagnement », « simplifier au maximum leurs tâches administratives ». 
Le texte présenté par Cécile Rilhac mettait en musique une partie de ces orientations. Le texte initial s’articulait autour de plusieurs mesures telles qu’une augmentation de l’indemnité de direction, une affirmation du rôle « décisionnaire »  du directeur d’école, la création d’un emploi fonctionnel, une décharge complète des heures d’enseignement pour les directeurs d’écoles de plus de huit classes. Il proposait aussi, était-il détaillé dans l’exposé des motifs, « que le directeur d’un établissement scolaire puisse cumuler sa fonction avec celle relevant de la compétence des collectivités territoriales en ce qui concerne l’organisation du temps périscolaire ». 
Plusieurs des formulations du texte initial avaient soulevé l’inquiétude de l’AMF dont la rapporteure de la commission éducation, Agnès Le Brun, a été auditionnée le 9 juin par les députés. Avec une préoccupation – exprimée avec constance par l’association depuis deux ans : « Ne pas aboutir à la transformation des écoles primaires en établissements publics », projet assumé par plusieurs gouvernements depuis le début des années 2000. 
« Nous sommes naturellement très favorables à la revalorisation du métier de directeur d’école, expliquait hier Agnès Le Brun à Maire info. Mais nous souhaitons que chacun reste dans son rôle, l’Éducation nationale et les communes, dont les compétences ne doivent pas être remises en cause. »  C’est la rédaction initiale de l’article 1er du texte qui a fait se poser ces questions à l’association : alors que jusqu’à présent, le directeur d’école devait « donner son avis »  lors du Conseil d’école « sur les principales questions de la vie scolaire », le texte proposait que désormais, il « entérine les décisions qui y sont prises et le met en œuvre », en tant que « délégataire de l’autorité académique ». Pour Agnès Le Brun, c’est une ligne rouge : « L’avis du Conseil d’école ne doit pas devenir obligatoire sur des sujets qui relèvent de la pleine compétence des communes, comme le périscolaire ou la cantine. » 
La possibilité donnée au directeur d’école, comme le proposait l’article 4 du texte initial, « d’organiser le temps périscolaire »  va dans le même sens. Pour Agnès Le Brun, pas question de « rebattre les cartes »  sur ce sujet en « laissant entrer l’Éducation nationale dans l’organisation des activités périscolaires ». La proposition de loi, sur ce terrain, est apparue à l’association comme une sorte de cheval de Troie permettant de commencer à retirer aux collectivités leur pleine compétence sur ce sujet – un « glissement »  qui pourrait faciliter le déploiement du dispositif 2S2C cher à Jean-Michel Blanquer. On se dirigerait à la fois vers une plus grande implication de l’Éducation nationale dans des activités qui relèvent jusqu’à présent des communes, et vers le fait de demander aux communes d’organiser, via les 2S2C, des activités sur le temps scolaire… qui ne relève pas de leur compétence ! D’un côté, « les collectivités ne sont pas des opérateurs du ministère », rappelle Agnès Le Brun, et de l’autre, l’éducation doit rester « nationale », c’est-à-dire relevant de l’État. 
Enfin, le texte présenté par Cécile Rilhac met potentiellement à la charge des communes un certain nombre de tâches nouvelles, comme celle de recruter des personnels susceptibles d’aider les directeurs dans l’exercice de leurs fonctions, notamment administratives. Une demande qui apparaît « totalement irréaliste »  et « pas envisageable »  à Agnès Le Brun.

Un texte remanié
Ces questions ont bien entendu été abordées lors du débat parlementaire. Michel Larrive, député LFI de l’Ariège, a accusé l’État de vouloir une fois de plus « se défausser sur les collectivités territoriales »  avec la mise en place du dispositif 2S2C. Il juge en outre « hypocrite »  de « demander aux communes de fournir du personnel aux écoles alors que l’emploi public territorial a été réduit et que l’organisation des services des collectivités a été fragilisée par la suppression de 200 000 contrats aidés ». Même point de vue pour Yannick Favennec  (Libertés et territoires, Mayenne), favorable à la « mise à disposition d’une aide administrative », dès lors qu’elle est « prise en charge par l’État et non par les communes ». 
La rapporteure du texte, lors du débat, a voulu se montrer rassurante sur un éventuel transfert de compétence qui ne dit pas son nom : « Cela va de soi : les communes sont propriétaires des bâtiments des écoles et continueront à décider de ce qui les concerne. » 
Au final, la rédaction du texte adopté, après l’adoption d’une trentaine d’amendements, pourrait laisser penser que certains dangers sont en partie écartés. À l’article 1er, il est maintenant inscrit que le directeur se contente « d’organiser les débats sur les questions relatives à la vie scolaire ». 
Une nouvel article 2 bis donne cependant toujours la possibilité, de façon facultative, aux communes et EPCI, « dans le cadre de leurs compétences respectives, (de) mettre à disposition des directeurs d’école les moyens permettant de garantir l’assistance administrative et matérielle de ces derniers. »  Mais le gouvernement, par amendement, a retiré le dernier article du texte qui permettait la compensation des charges supplémentaires pour les collectivités par une augmentation de la DGF. En l’état actuel des choses, il est donc proposé aux communes de fournir au volontariat une assistance aux directeurs, sans compensation. 

Des doutes qui demeurent

Un autre amendement, rédigé pour lever, selon son auteure, tout doute sur une éventuelle « atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales », a permis une nouvelle rédaction de l’article 4, qui semble donner plus de poids aux communes dans la décision : il est à présent écrit que le directeur d’école « peut être chargé (…) de l’organisation du temps périscolaire par convention conclue avec la commune ou le groupement de communes dont relève l’école. » Toutefois, le principe d’une possible intervention de l’Education nationale dans l’organisation des activités périscolaires, qui relève du champ de compétence des communes, demeure. 
Enfin, notons que l’article 6, consacré à l’établissement des plans de mise en sûreté des élèves et des personnels face aux risques majeurs, a lui aussi été récrit pour intégrer les communes ou EPCI à leur conception. « Cette précision intervient notamment dans le cas où des travaux dans les locaux seraient nécessaires », a précisé Anne Brugnera (LaREM, Rhône), auteur de l’amendement. Ces travaux « demeurant à la charge de la collectivité territoriale, il est important que celle-ci soit pleinement associée à la réalisation de ce document ». 
Le texte adopté va maintenant être transmis au Sénat, où il pourrait toutefois ne pas être débattu avant la rentrée.

Franck Lemarc

Accéder au texte adopté.

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