Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 2 décembre 2021
Ecole

Harcèlement scolaire : les députés créent un nouveau délit spécifique

L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une proposition de loi qui rend passible de prison ce nouveau délit. Ce texte prévoit également la mise en oeuvre de formations pour les agents des collectivités concernés. Le Sénat doit désormais l'examiner.

Par A.W.

Alors que plus de 700 000 enfants sont victimes de harcèlement scolaire, chaque année, l'Assemblée nationale a adopté, hier, en première lecture, la création d'un délit spécifique de harcèlement scolaire sous l’impulsion de la majorité. 

Le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a assuré que cette proposition de loi permettrait « d’avancer encore d’un grand pas »  dans la lutte contre un phénomène qui engendre des « traumatismes durables et, dans les cas les plus graves, mènent au suicide des victimes ». Le texte doit, toutefois, encore être discuté au Sénat, en vue d'une adoption définitive d'ici la fin des travaux parlementaires, prévus en février prochain.

« Poser un interdit clair » 

Il s’agit de « poser un interdit clair, susceptible de fonder une action pédagogique de prévention », a expliqué le rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, Erwan Balanant (MoDem), à l’origine de ce texte. Celui-ci a ainsi pour « vocation première »  de rendre « parfaitement explicites les contours de cette règle sociale », alors qu’aujourd’hui le harcèlement scolaire ne peut être appréhendé que par le biais de l’infraction de harcèlement moral. 

Avec ce texte, le député du Finistère étend au passage à l’enseignement privé et à l’enseignement supérieur le « droit à une scolarité sans harcèlement scolaire [comme] une composante du droit à l’éducation ». « Afin d’englober toutes les hypothèses de harcèlement, il est prévu que l’infraction de harcèlement scolaire [soit] également caractérisée même si les faits n’ont pas été commis à l’intérieur ou aux abords d’un tel établissement », indique le texte. En outre, l'auteur du harcèlement pourra être aussi bien un élève qu’un adulte exerçant dans l'établissement.

« Ce texte n'est pas une loi d'émotion », mais « le fruit d’un long travail d’analyse juridique et d’un choix politique assumé », a assuré Erwan Balanant, rappelant que si « le phénomène n’est pas nouveau, il est aujourd’hui nettement aggravé par le développement des nouvelles technologies », et notamment par les réseaux sociaux qui « démultiplient la capacité des agresseurs à atteindre leurs victimes ». Avec eux, « le harcèlement n’a plus de limite de temps ni de lieu »  et « ne laisse plus aucun répit à nos enfants ». 

Jusqu’à dix ans d’emprisonnement

Avec ce nouveau délit spécifique, le harcèlement scolaire sera punissable de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsqu’il causera une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours, même s’il n’entraîne pas d’ITT (et de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, si elle excède huit jours). Celle-ci pourra même aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque les faits auront conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire. 

« Les peines maximales sont théoriquement aggravées, mais elles n’ont pas vocation à être automatiquement appliquées », a reconnu Erwan Balanant. « Comme vous le savez, notre justice pénale des mineurs prend en compte non seulement la minorité mais l’ensemble de la situation du jeune. Si on en arrive là, c’est que tout le reste aura échoué, ce que je ne souhaite pas. » 

« Nous ne voulons pas non plus que la réponse pénale soit au centre de ce combat »  car « cela signifie qu’il est déjà trop tard », a abondé Grégory Labille (UDI, Somme), estimant que « c’est au sein même de l’école qu’il nous faut intervenir, notamment par une meilleure prévention ».

Des stages de « responsabilisation à la vie scolaire »  pourront ainsi être proposés à la fois comme « mesure alternative aux poursuites et comme peine correctionnelle ».

Ce texte doit également garantir une « formation adéquate »  à l’ensemble des professionnels qui peuvent être amenés à rencontrer ce type de situation : que ce soit les personnels de l’éducation nationale, les personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs, le corps médical et paramédical, les assistants sociaux, les magistrats ou encore les forces de l’ordre. Les agents des collectivités territoriales et les personnels de l'enseignement privé ont été intégrés à ce dispositif par voie d’amendement.

Les obligations imposées aux acteurs de l’internet, et en particulier les réseaux sociaux, seront aussi renforcées.

« Surenchère pénale »  et manque de moyens

La gauche a toutefois émis de fortes réserves sur ce texte, Sabine Rubin (Seine-Saint-Denis, LFI) estimant que ce nouveau délit de harcèlement scolaire conduisait à « une véritable surenchère pénale […] illusoire et démagogique », pointant notamment la « grave indistinction pour caractériser les faits »  entre élèves et personnels majeurs exerçant au sein des établissements.

« En l’absence d’engagements fermes sur les moyens financiers et humains », ce texte sera « fortement déséquilibrée », a assuré la députée des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon (PCF), dénonçant ainsi le « réflexe répressif »  de la majorité, avant de demander « un plan et des moyens dédiés à la médecine scolaire ».

« Suffisamment de rapports ont montré que la médecine scolaire était en déshérence, situation que nous constatons partout dans nos territoires. Comment d’ailleurs les médecins scolaires pourraient-ils exercer les missions qui leur sont confiées quand chacun doit s’occuper en moyenne de 12 500 élèves ? Et il en va de même pour les infirmiers et infirmières scolaires… », a-t-elle fustigé.

« Il y a un réel problème que je suis le premier à souligner », a reconnu le ministre de l’Éducation nationale puisque « sur 1 505 postes [de médecins scolaires], seuls 631 sont pourvus ». « Des mesures restent à prendre pour valoriser leur métier. Il faudra le faire dans les temps qui viennent, et nous avons d’ailleurs commencé en augmentant leurs salaires et leurs primes », a-t-il soulignant, assurant vouloir « continuer en ce sens ».

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2